4 février - 10 heures

2 minutes de lecture

Gabrielle du Plessis songeait à ses enfants et était incapable de s'habiller pour la journée.

Elle songeait aussi au chef de la Sûreté et en espérait des nouvelles.

Ce ne fut pas M. Lenormand qui rédigea la lettre qu'elle reçut ce matin-là.

Plusieurs feuillets la composaient, couverts d'une écriture élégante tracée à l'encre violette. Des haïkus étaient joints ainsi qu'une broche de diamants.

Санкт-Петербу́рг [Saint-Petersbourg], vendredi 27 janvier 1910,

Ma tendre amie,

La vitesse du temps qui passe m'épouvante et me glace. Dix jours déjà se sont écoulés depuis que Sa Majesté le Tsar m'a rappelé, m'obligeant ainsi à quitter Paris.

Dix jours déjà que le souvenir émerveillé, plus encore que de la finesse du grain de votre peau, de vos yeux tendres et moqueurs ourlés de soie tour à tour m'exalte et m'accable, m'enfonce et m'élève.

Ma si douce amie, l'existence quotidienne qui est la mienne privée de la magie de votre présence manque de couleurs et de chaleur. La poésie et la ferveur en sont absentes et la vie de votre tout dévoué serviteur n'est qu'une poignante réminiscence douloureusement habitée par l'odeur et la saveur exquises de votre peau dont la souvenance douce-amère hante les nuits exaspérantes de désir et de manque.

Ah, ma si jolie amie, que ne donnerais-je pour le privilège de contempler vos boucles rousses dans l'ambre de la lumière du matin inondant ma chambre !

Que ne serais-je prêt à sacrifier pour l'honneur de vous emmener admirer la Néva gelée pour la joie de voir votre visage rosir de froid et de plaisir, vous qui portez l'érubescence comme un bijou. L'amarante de vos joues, puisse-t-elle rester fraîche à jamais, ferait pâlir d'envie les belles des tableaux de ce Toulmouche que vous appréciez tant, et déjà je vois les roses tenter d'égaler la pureté de votre teint.

J'arde, ma charmante amie, de vous montrer la vigueur et l'intensité de ce désir qui de si loin vous appelle et vous réclame.

Hélas ! Les Moires sont cruelles et les fils qu'elles tissent sont des chaînes qui nous retiennent, vous à Paris et moi ici, à des milliers de lieues de vous.

J'avais espéré, les capricieuses fileuses par la volonté de sa Majesté m'imposant d'être et rester en Russie, pouvoir au moins vous écrire régulièrement. Malheureusement, le devoir ne me laisse que peu d'instants de répit, tous passés, soyez-en, ma précieuse amie, assurée, à songer avec regret à la dernière fois où mes yeux ont eu le privilège de se poser sur vous et à rêver au jour béni de nos retrouvailles.

Je ne sais, ma belle amie, quand je pourrai à nouveau me poser pour vous écrire, mais vous habitez chacune de mes pensées.

Fervement vôtre,

Alexei Sernine

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