9 février - 10 heures

6 minutes de lecture

" NOM : Du Plessis, PRENOM : Gabrielle, ADRESSE : chez madame Magloire, PROFESSION : artiste lyrique " débitait une voix sèche et procédurière.

Le talon d'une bottine râcla le sol et une petite voix répondit :

" Oui, inspecteur.

- MARQUE PARTICULIERE : porte un grain de beauté sur le sein gauche ?

- Oui, inspecteur. Je l'ai dit à votre collègue ce matin. Il est là. Vous voulez voir ?"

Le policier souffla et se recentra sur le rapport posé devant lui. Complété par son malheureux collègue de la Police des Moeurs.

" Non, merci.

- Que vous faut-il de plus, inspecteur ?

- CHEVEUX : bouclés, couleur châtain à reflets roux.

- NON, NON ! Effacez le roux, inspecteur !

- Pourtant, madame...

- Non. Ils ne sont pas roux. Regardez !"

Gabrielle du Plessis défit son chignon et une cascade de boucles cuivrées dévala sur ses épaules nues. L'officier perdit le fil de la conversation.

" Pas roux. Très bien, balbutia-t-il en râturant terriblement le dossier.

- Merci, inspecteur, sourit largement Gabrielle.

- YEUX : marrons.

- Ils ne sont pas verts ? Vous êtes sûr, inspecteur ?

- Ben madame...

- Non, non. Ils sont verts. Regardez-mieux ! On m'a toujours dit qu'ils étaient verts avec des reflets dorés.

- Ben...

- Regardez !"

Gabrielle s'approcha et une bouffée de parfum frappa le flic. Il resta bouche bée.

" Effectivement... En regardant bien... Ils sont dorés...

- Ha ! Vous voyez !"

Ce fut là que le policier comprit qu'il n'était pas de taille.

" TAILLE : 160 cm.

- QUOI ? Non, je m'insurge ! Je fais 170 cm.

- Enlevez les bottines, madame.

- HA ! Sans talons ?"

Gabrielle se tut, mouchée.

" MENSURATIONS..."

Il y eut un silence hostile et le policier termina ainsi :

" 90, 60, 90."

S'attirant un sourire satisfait. Confiant, il poursuivit :

"POIDS :...

- NON !, le coupa aussitôt la cocotte, scandalisée.

- Mais...

- NON NON NON !

- Pourtant, il faut...

- ON NE MARQUE PAS MON POIDS !

- MAIS MADAME ! NE DECHIREZ PAS LE RAPPORT OU J'APPELLE DES COLLEGUES !

- Je vous préviens, inspecteur. Le chef de la Sûreté ne sera pas content !

- Appelez-le alors, si vous êtes si maligne !

- Ne me tentez pas, inspecteur ! J'ai été gentille avec vous ! Mais je vous arrache les yeux si vous osez écrire mon poids !

- POIDS : 50 kilos ?

- Ha !"

La femme s'apaisa aussitôt et sourit.

" Ha d'accord alors."

Le policier se frotta le front et annonça :

" Donc je récapitule : Madame s'appelle Gabrielle du Plessis, artiste lyrique, logée chez madame Magloire. Vous mesurez 160 cm et pesez 50 kilos. Vos yeux sont verts avec des reflets dorés. Vos cheveux sont châtains sans reflets roux. Et vous avez un grain de beauté sur le sein gauche."

Gabrielle hocha la tête, impressionnée par cette version d'elle-même.

" Pas de mari ?

- Non, inspecteur. Mais j'ai deux enfants.

- Ha !

- Erreur de jeunesse, inspecteur.

- On en fait tous. Il ne manque qu'un détail, madame.

- Oui ?

- Infime.

- Demandez, inspecteur. Je vais tout faire pour vous satisfaire.

- Rappelez-moi pour quel motif cette arrestation.

- Mhmmmm. Tapage nocturne, inspecteur. Les voisins se sont plaints. Je ne sais pas pourquoi d'ailleurs. Je dors la nuit, moi, monsieur l'inspecteur.

- Je lis ici : tapage nocturne, cris très puissants, coups sur les murs. Rires et bris de vaisselle. Vous étiez seule ?

- Heu."

Gabrielle laissa ses doigts courir sur le bureau du policier, elle était pensive et hésitait.

" Je suis discret, madame, assura le policier, compatissant. Mais la paperasse... Vous comprenez ? Nous autres de la police, nous sommes procéduriers.

- Je sais. Mon ami m'a prévenue qu'il se chargerait de tout. Mais il a dû être débordé... Mais quand même...

- Donc vous étiez avec quelqu'un.

- Ben...

- Peut-on savoir ?

- Je crois qu'il est dans le bureau d'â côté, inspecteur.

- Ha ! On l'interroge aussi ? C'est fort bien ça. Bon pour vous, vous ne porterez pas le chapeau, madame.

- Non. Vous ne comprenez pas. Le grand bureau là."

Le policier réfléchit puis il fit enfin le lien. Il en pâlit. Effectivement, un message avait été déposé ce matin sur son bureau. Venant du chef de la Sûreté. Mais il l'avait oublié. Pris par la merveilleuse créature assise devant lui et encore à moitié dénudée, il en avait oublié la hiérarchie...

Il allait être blâmé, c'était sûr.

" QUOI ?"

Gabrielle sourit, amusée et soulagée. Elle se redressa et son étole glissa encore plus bas sur l'épaule. On voyait presque la fameuse marque particulière.

" Bon. Le motif est tapage nocturne dû à un mauvais rêve.

- Parfait, inspecteur.

- Je vous laisse retourner à vos pénates. Je vais appeler un de mes officiers.

- Pas la peine, je connais la maison."

Gabrielle du Plessis se leva, tout enveloppée dans son étole et sa robe de nuit. Elle se pencha pour saluer le policier.

" Merci, inspecteur. Je parlerai de vous."

Devant la porte, goguenard et les bras croisés, l'attendait l'inspecteur Javert.

" Alors Gabrielle ? On retourne à ses vieilles habitudes ?

- Tais-toi, Javert !

- J'étais venu te ramener à la maison, mais j'avoue ne pas savoir laquelle."

Gabrielle caressa la joue couverte de favoris du grand inspecteur et lui souffla :

" Tu joues trop les mouchards, mon cher inspecteur. Est-il là ?

- Dans son bureau , mortifié et en colère. Il a fait livrer quinze bouquets de rose et autant de boîtes de sucrerie pour toi. Je suis bien placé pour le savoir, c'est moi qui m'en suis chargé.

- La belle affaire ! Des bonbons pour une nuit au poste !

- Tu n'as pas passé une nuit au poste et je l'ai vu t'écrire un haïku, se moqua Javert.

- Bon, d'accord. Mais pourquoi ne m'a-t-il pas délivrée plus tôt ?, demanda Gabrielle en saisissant le bras de Javert pour traverser le couloir de la préfecture de police.

- Un rebondissement dans l'affaire du wagon sanglant. Il se devait d'aller enquêter.

- Il se devait ?! M'abandonner pour un cadavre ensanglanté. Ah les cognes !

- Une femme assassinée. Tu devrais être plus compréhensive, ma joliette.

- On verra ! S'il s'excuse bien.

- Gabrielle ! Tu exagères !"

La porte s'ouvrit et le policier s'exclama :

" MADAME ! Ne partez pas ! On a oublié une information importante !

- Oui ?

- Votre date de naissance. Pour savoir votre âge. Vous comprenez.

- 25 ans ! Faites le calcul !

- Madame, voyons, fit-il, indulgent.

- Ne souriez pas !" ordonna la cocotte.

Javert cachait son rire discrètement en regardant le fond du couloir.

" 25 ans, madame ? Pas plus ?

- Non, non."

L'artiste lyrique se réveilla et Gabrielle se laissa tomber dans les bras de l'inspecteur Javert en portant sa main à son front.

" Je suis fatiguée, inspecteur. Comprenez-moi ! Votre chef est un homme vigoureux, il ne me laisse pas dormir et cela se ressent. Surtout que vous êtes venus me chercher à l'aurore. Gens de peu d'éducation que vous êtes !

- Bon. 25 ans. Très bien, madame.

- Vous voyez, inspecteur. Vous comprenez merveilleusement bien les femmes, vous."

Gabrielle du Plessis disparut dans le bureau du chef, monsieur Lenormand.

Javert, amusé, s'approcha de son collègue et posa sa main sur son épaule.

" Puchot, t'inquiète pas trop pour ton matricule. T'as été gentil. 25 ans ? Je connais Gabrielle du Plessis depuis un temps aussi long."

La fin de la journée était bien venue pour tout le monde à la Sûreté. L'officier Puchot, comme tous les autres, s'apprêtait à partir enfin, lorsque le chef de la brigade des Moeurs entra en trombe dans son bureau. Enervé.

" Mais c'est quoi ce cirque, inspecteur ?, fit-il en montrant le dossier qu'il venait de lire. On m'a dit qu'une fille de la mère Germaine avait été arrêtée pour tapage nocturne et qu'elle avait même insulté les voisins. Toute la rue l'a entendue et j'ai reçu plusieurs plaintes !"

Le chef s'étouffait de colère, il claqua le dossier sur le bureau.

" Et vous m'écrivez qu'elle a eu un cauchemar ?

- Oui, monsieur le commissaire.

- En plus cette femme devient une jeune fille de 25 ans ? On m'a parlé d'une folle de 40 ans passés.

- Peut-être, monsieur.

- Expliquez-vous, Puchot !

- Ben, il se trouve que la dame n'était pas seule cette nuit-là, monsieur le commissaire.

- Forcément, une fille de chez la mère Germaine. Que voulez-vous d'autre ?

- Et il se trouve que le client est quelqu'un de connu, monsieur le commissaire.

- Rien à foutre ! La femme a traité ses voisins, les de Morel, de tas de vieux cons. Je veux une amende, moi !

- Mais le client ne sera pas d'accord, monsieur le commissaire.

- Ha ? Et tiens donc ?, fit le chef, railleur. Qu'il vienne alors.

- Facile, monsieur le commissaire. Il suffit de pousser la porte du bureau au bout du couloir.

- Quel bureau ? Enfin, soyez clair, inspecteur !

- Le grand bureau, monsieur, celui avec une plaque de cuivre dessus."

Là, le commissaire comprit à son tour.

Il répondit :

" Font chier aussi les de Morel. Quelle idée d'emmerder les honnêtes gens qui font des cauchemars.

- N'est-ce pas, commissaire ?

- On va leur foutre une perquisition aux petits oignons. Ca leur apprendra tiens !

- Oui, monsieur le commissaire."

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