13 février - 15 heures

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L'asile Sainte-Anne était un gigantesque complexe hospitalier qui s'étendait sur plusieurs kilomètres.

Des couloirs à n'en plus finir menaient à des salles fermées, où aucune fenêtre n'était percée. Pas de soleil, pas d'air frais, pas de lumière... L'extérieur n'existait plus pour ces malheureux enfermés ici.

Gabrielle du Plessis serra les mains de ses camarades, décidées à l'accompagner. Une petite visite de courtoisie pour cette pauvre Corine.

Mais les jeunes filles étaient en effet bien jeunes au regard de ce qui les attendait au sanatorium. Gabrielle en frémissait d'avance.

Le docteur Charcot était passé par là et les encagés n'existaient plus. Restaient les cris et l'horreur de l'enfermement.

" Madame a dit que Coco allait mieux, essayait de sourire Suzy.

- Si madame l'a dit..., approuva Gabrielle.

- Corine sera contente d'avoir des nouvelles !, ajouta Louison.

- Certainement..."

Trop jeunes pour ce navrant spectacle. Gabrielle du Plessis se sentait vieille d'une vie de milliers d'années.

" Corine a-t-elle le droit de nous recevoir ?"

Le droit, oui, mais la capacité ? Rien n'était moins sûr.

Corine, ancienne pensionnaire de chez madame Germaine, était assise, calme et douce, sur son lit. Elle accepta les embrassades et rendit les étreintes avec tendresse.

Sa tunique grisonnante était faite de drap grossier et ses pieds restaient nus.

Devant elle, on avait déposé des boîtes de gâteaux et de chocolat. Bizarrement, elles ne comptaient jamais plus de dix exemplaires de sucrerie.

Il n'y avait pas de pendule et les heures n'étaient pas décomptées.

Corine se reprenait doucement. Docile, elle écouta les nouvelles de ce monde qui n'existait que dans sa mémoire tourmentée.

" Et Margot a un amoureux...

- Et Mauricette en a deux..."

Corine se mit à rire et l'atmosphère se détendit. Les deux jeunes filles se placèrent près de leur amie, dégoisant sur le compte de leurs camarades de bordel.

" Romain a décidé d'accepter la proposition de ce vieux beau de Bachimont.

- Non ?, fit la voix fatiguée de Corine. Mais il ne l'aime pas !

- Non, mais il aime son argent ! Romain aurait bien tort de se priver !"

Suzy rit, Corine rit et Louison rétorqua :

" Quant à notre Gabrielle, elle passe ses journées en visite ! Une vraie marchande de tissus ! On la voit dans tous les endroits à la mode !"

Corine regarda son aînée et lui fit un clin d'oeil.

" Avec ses mignons, je suis sûre !? Le flicaillon, là, et l'autre brute américaine !"

Gabrielle rit à son tour et répondit :

" Oui ! J'aime mes hommes ! Chacun a quelque chose que l'autre n'a pas.

- Et il te les faut tous !, s'amusa Louison.

- Oui !

- Tu as tort, Gabrielle chérie, assura Corine. Tu devrais en choisir un et l'épouser !

- Avec mon taf et mes mioches ?! Tu en as de belles, coco.

- Non, non. Choisis tant que tu peux !

- Ou alors, ils vont aller voir ailleurs ! Regardez monsieur de Jussac !"

Seule Gabrielle vit la petite contraction qui saisit le sourcil de Corine. Elle essaya d'arrêter Suzy, mais cette nouille ajouta :

" Alexandre est allé voir ailleurs ! Maintenant, il couche avec la Mathilde !

- Oui, Alexandre de Jussac est un bel idiot, rit Louison.

- Alexandr...e, Alexandr...e, Alexandr...e...," éructa Corine.

La cocotte se leva et se mit à baver.

" Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle..., déclama la cocotte, devenue folle furieuse.

- Nous allons te laisser, Corine. Nous voyons que tu es occupée, assura Gabrielle en saisissant précipitamment ses deux stupides compagnes par le bras.

- Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue..., hurla Corine.

- A la prochaine, Coco."

Mais Corine n'entendait plus, elle comptait rageusement les pieds pour former des alexandrins parfaits.

" Tout m'afflige et me nuit et conspire à me nuire..."

Lorsque les trois femmes arrivèrent dans le salon du One-Two-Two, madame leur demanda :

" Comment va cette pauvre Corine ?

- Couçi-couça, fit Gabrielle. Elle ne va pas très fort.

- On va lui envoyer un joli bouquet de fleurs. Ca la remontera.

- Et un livre de poésie," proposa Suzy.

Gabrielle du Plessis leva les yeux au ciel devant tant d'inepties.

" Pourquoi pas une pièce de théâtre en vers, tant que vous y êtes ? Le Cid ?"

On applaudit avec entrain l'idée de Gabrielle et celle-ci se frotta les yeux de dépit. Peut-être en appuyant fort, elle pouvait faire disparaître les imbéciles.

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