11 mars - 19 heures

3 minutes de lecture

La fête chez Thérèse

Victor Hugo

La chose fut exquise et fort bien ordonnée.
C'était au mois d'avril, et dans une journée
Si douce, qu'on eût dit qu'amour l'eût faite exprès.
Thérèse la duchesse à qui je donnerais,
Si j'étais roi, Paris, si j'étais Dieu, le monde,
Quand elle ne serait que Thérèse la blonde ;
Cette belle Thérèse, aux yeux de diamant,
Nous avait conviés dans son jardin charmant.
On était peu nombreux. Le choix faisait la fête.
Nous étions tous ensemble et chacun tête à tête.
Des couples pas à pas erraient de tous côtés.
C'étaient les fiers seigneurs et les rares beautés,
Les Amyntas rêvant des Léonores,
Les marquises riant avec les monsignores ;
Et l'on voyait rôder dans les grands escaliers
Un nain qui dérobait leur bourse aux cavaliers.


" C'est un beau spectacle. Merci Arsène.

- Tu aimes le ballet, ma toute belle ?

- Adorable ! Cela me donne envie de danser à ton bras.

- Pourquoi pas ?"

Le chef de la Sûreté était ravi de la joie qu'affichait sa compagne. Gabrielle du Plessis portait une ravissante robe de bal, toute de voile et de dentelle. Sa longue chevelure était nouée en délicates boucles, faisant d'elle une douce bergère.

Sur scène, la Grisi expliquait à la jeune Mimi Pinson comment conserver son bel amant, l'étudiant Théodore, que la duchesse Thérèse voulait lui dérober. Las ! Une ouvrière contre une duchesse ? Le combat était inégal.

Mais Mimi Pinson valsait joliment, dans tout l'éclat de sa jeunesse ! Alors l'espoir naissait...

" Carlotta Zambelli et Aïda Boni dansent à ravir, annonça bêtement Lenormand.

- Qui est qui ?"

La cocotte serra amoureusement son homme. Un peu jalouse de ce regard admiratif que lançait le policier sur les danseuses en jolies robes.

" Carlotta est Mimi Pinson et Aïda est Thérèse.

- Elles sont belles."

Surpris par ce ton amer, Lenormand se tourna vers Gabrielle. Il l'embrassa sur la tempe. Aussi discrètement que possible.

" Tu l'es bien davantage.

- Amignoteur !

- Certainement pas ! Je ne flatte jamais !"

Gabrielle posa sa tête sur l'épaule de Lenormand et regarda le spectacle.

On dansait, on tournait, on s'aimait, on se rejettait.

Les décors se succédaient.

Un jardin apparaissait fait de fleurs, de colonnes grecques et d'un temple de l'Amour, le clair de lune éclairait la scène. Puis les danses occupaient un salon bourgeois, les lampes de gaz projetaient des lumières tremblantes sur les bijoux de ces dames... On s'attristait de la douleur de Mimi Pinson, on s'indignait des tentatives de la duchesse Thérèse, on applaudissait au vrai amour récompensé.

Une belle nuit.


Plus tard, sur le trottoir de Paris, un couple marchait, protégé sous un parapluie. La femme tenait le bras de l'homme. Galant, ce dernier la raccompagnait jusque chez elle.

" Dis-moi Arsène. Pourquoi tu n'as personne dans ta vie ?, interrogea la cocotte.

- J'ai eu. Mais je l'ai perdue.

- Divorce ?

- Veuvage."

Gabrielle se tut, consciente de la tristesse de son compagnon.

" Et si nous essayions d'avancer ? Ne le crois-tu pas ?, reprit-elle.

- Je commence à le croire.

- Bien. C'est très bien !"

Le clair de lune n'existait pas ce soir-là. C'était un soir humide de mars et Paris se noyait sous la pluie. La Seine était capricieuse. On craignait de nouvelles inondations.

" Et si tu m'emmenais chez toi ?

- Pour ce soir ?"

Gabrielle rit et se serra plus près de lui.

La nuit vint, tout se tut ; les flambeaux s'éteignirent ;
Dans les bois assombris les sources se plaignirent ;
Le rossignol, caché dans son nid ténébreux,
Chanta comme un poëte et comme un amoureux.
Chacun se dispersa sous les profonds feuillages ;
Les folles en riant entraînèrent les sages ;
L'amante s'en alla dans l'ombre avec l'amant ;
Et, troublés comme on l'est en songe, vaguement,
Ils sentaient par degrés se mêler à leur âme,
A leurs discours secrets, à leurs regards de flamme,
A leur coeur, à leurs sens, à leur molle raison,
Le clair de lune bleu qui baignait l'horizon.

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