16 mars - 19 heures

4 minutes de lecture

Cela faisait des heures qu'il marchait sans s'arrêter. Des heures passées à arpenter les trottoirs de Paris. Chaque petite ruelle avait été vérifiée. Ses mouchards avaient été interrogés sans ménagement et ce plusieurs fois dans la journée.

" Non, inspecteur. "

" On ne sait pas, inspecteur. "

" On vous le dira si jamais..."

Coup de matraque contre le mur, jeu de regard, intimidation...

En vain.

Personne ne savait rien.

La voiture de M. Laroche avait bel et bien disparu. Et l'inspecteur Javert n'en dormait pas.

Au One-Two-Two, l'état de siège avait été déclaré. Madame avait fait fermer les portes et envoyait message sur message à toutes ses collègues. Si jamais, une prostituée apprenait quelque chose, il fallait en avertir Madame Germaine, alias Loulou de Belleville.

Est-il besoin de dire que personne ne répondit aux appels désespérés de Loulou et de ses cocottes ?

La voiture de M. Laroche avait disparu avec toutes ses occupantes. Depuis vingt-quatre heures. Madame s'en faisait un sang d'encre.

Quant à M. Laroche ? Il avait organisé son domicile en vaste réseau de police officieuse. On y croisait des hommes louches, des possibles femmes du monde, des agents de police corruptibles. La recherche ne donnait rien et M. Laroche n'en décolérait pas.

Sa voiture avait disparu ?! La belle affaire ! Il pensait surtout à ses occupantes. Gabrielle du Plessis n'était plus là. Il s'en rongeait les sangs.

On vit plusieurs fois la silhouette sombre et inquiétante de Jim Barnett entrer et sortir de différents hôtels borgnes. Il traquait les informateurs et s'en revenait bredouille.

Son adjoint, l'inspecteur Béchoux, n'arrivait pas à l'apaiser.

Gabrielle du Plessis avait disparu et l'Américain cherchait désespérement une piste.

Quant aux ambassades russe et hongroise, elles ne cessaient d'employer leurs meilleurs espions en les jetant dans la capitale. Discrètement, prudemment, intelligemment, on interrogeait les hommes en place et les hommes bien placés.

Une voiture ? Cela ne disparaissait pas comme ça ! Nous n'étions plus au temps de l'affaire du Courrier de Lyon !

La Sûreté était un tabernacle. Obscur et silencieux. Totalement vide d'hommes. Chacun était à la recherche de la voiture de M. Laroche. Les Brigades du Tigre avaient abandonné toutes les affaires en cours pour rechercher le véhicule et ses occupantes. On craignait le meurtre, la rapine et le viol.

M. Lenormand n'avait pas ouvert la bouche depuis vingt-quatre heures sinon pour demander des nouvelles.

Où était Gabrielle ? Malheur aux Apaches si un seul de ses cheveux avait été touché !

Et ainsi, le premier qui vit revenir la voiture fut le premier à avoir été à sa recherche ! De lui, les informations frappèrent le One-Two-Two, la police officielle et privée, les ambassades et le tout-Paris.

L'inspecteur Javert ne cessait de marcher devant le One-Two-Two, les mains dans le dos et le visage pâle d'inquiétude. Une pétarade attira son intention.

Un tas de boue s'arrêta devant lui, avec à son bord, quatre femmes en piteux état.

Javert se jeta sur la portière et l'ouvrit à la volée.

" C'EST QUOI CE CIRQUE ? Des heures qu'on vous cherche ! DES HEURES !"

Gabrielle n'avait pas peur du grand policier, contrairement à ses amies. Elle descendit de la voiture et s'étira mollement. Sa robe, autrefois immaculée, était noire de cambouis.

" Doucement, mon cher. Nous sommes fatiguées !

- QUOI ?, éructa le flic. Tu... TU OSES ME DIRE CA ! Je...je t'ai cherchée partout ! Je...

- Tiens-moi ça et sois mignon ! Tu attires les chalands avec tes cris d'orfraie !

- JE QUOI ?"

Mais le policier se tut enfin. La cocotte lui avait tendu un sac de cuir dans lequel apparaissait un petit chat maigre à faire peur. L'animal, effrayé, le regardait de ses larges yeux bleus.

" C'est quoi ça ?

- Un chat, Javert.

- Un chat ? Mais...mais je le vois bien ! Où avez-vous été traîner ?"

Les filles étaient toutes descendues de la voiture, elles n'avaient plus l'air humain. Leurs robes, leurs cheveux, leurs corps... Tout était crotté de boue.

" On a eu un petit souci, expliqua gentiment Gabrielle. La voiture s'est embourbée et...

- Un chat !, fit Javert, ébahi.

- Nous avons poussé !, affirma Mathilde sous ses cheveux dénoués et détrempés.

- Je me suis cassée un ongle !, jeta Suzy.

- Vous avez poussé ? Et vous revoilà maintenant ?, interrogea le policier.

- On a vu le chat et on l'a pris !, fit Louison, heureuse de cette nouvelle.

- Soit ! Et le chat vous a gardées tant de temps loin de Paris ?, claqua Javert.

- Attention, mon cher ! Il a fallu changer une roue, reprit Gabrielle.

- Une roue ?"

Javert contempla ses femmes et les trouva vivantes et en bonne santé. Elles riaient, sales et dépeignées. Il comprit qu'elles avaient trouvé l'aventure passionnante. Il arrêta ses admonestations.

" Vous avez changé une roue donc. Pas de téléphone, ni d'auberge, je saisis.

- On a poussé la voiture, on a crevé, on a réussi à changer la roue, on en a profité pour sauver un chat.

- On a aussi visité Corine !, reprit Suzy.

- Mais tiens donc !?, sourit Javert. En plus de tout ça ?

- On a dormi dans la forêt. On a froid et on a faim. Sois gentil et arrête de faire ton méchant !"

Gabrielle du Plessis se sentait sûre et déterminée. Javert croisa ses bras devant lui et répondit :

" Moi ? Je fais le méchant ! Alors que le chef de la Sûreté a envoyé tous ses flics à votre recherche ? Tu verras, Gabrielle !

- Mon Dieu ! Que ce monde est fatiguant pour les femmes !," s'exclama théâtralement la cocotte.

Javert leva les yeux au ciel tandis que les femmes riaient de concert.

" En tout cas, la voiture de M. Laroche est bath ! Elle n'a aucune égratignure ! Je la recommande chaudement !

- Gabrielle, Gabrielle, Gabrielle..."

La cocotte lui fit un clin d'oeil, récupéra le chat et entra dans le bordel avec ses compagnes. Aussitôt, on entendit un barrissement d'éléphant.

" HAAAAA ! VOUS VOILA SAINES ET SAUVES ! MON DIEU ! Je suis TELLEMENT TELLEMENT TELLEMENT soulagée !"

Javert ferma la porte et regarda autour de lui. Il leva la main et une dizaine de personnes en uniforme ou non filèrent informer leur patron respectif de l'heureux dénouement de cette aventure rocambolesque.

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