Quand Madame perd une de ses poules...

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Dimanche pluvieux. La pluie frappait les vitres du salon du One-Two-Two, la pluie trempait les rues de Paris, la pluie noyait les coeurs dans un désespoir sans fond.

Pluie, pluie, pluie.

Madame commençait à rationner le bois pour la cheminée. Les prix volaient à des hauteurs inusitées. Tout était cher et pesait sur l'humeur de Madame.

Son chignon ne cessait plus de pencher sur la droite. Signe du malheur des temps !

Madame Germaine contemplait son petit monde d'un regard impérial. Suzy se chargeait de ses ongles qu'elle polissait avec soin, Louison et Margot jouaient à la belote avec Mathilde. Jérôme et Antonin s'entrenaient de leurs nouveaux clients. Il paraîtrait que Monsieur de Jussac avait un frère avec une grosse...estime de soi...

Suzy approuvait en riant. Elle n'avait jamais vu une aussi grosse estime de soi.

Gabrielle était assise sur le canapé et caressait Poulette, la chatte. L'animal ronronnait tout son amour pour la jolie cocotte. Les journaux perdaient de leur intérêt, on annonçait des troubles au Mexique, en Corée, dans les Balkans... La guerre se profilait-elle à l'horizon ? Le ciel gris et lourd était-il présage de funestes malheurs ?

La cocotte se sentait si insignifiante dans ce monde troublé. Ses enfants allaient-ils connaître un monde de violence ?

Gabrielle se frottait les tempes, lasse de lire le récit des massacres à venir. Mais Don Luis Perenna lui avait conseillé de s'informer sur la géopolitique.

L'espionnage s'apprenait, tout comme l'art de tailler des pipes.

Ces tristes pensées donnaient la migraine et la cocotte fermait ses yeux de douleur.

Puis on frappa à la porte et elle s'ouvrit à la volée, dévoilant un Etienne de Vaudreix, habillé de pied en cap d'une montagne de fourrure. Madame Germaine en resta saisie.

" Nous sommes fermés, monsieur."

Etienne s'inclina et marcha à grands pas en direction de Gabrielle. Il lui tendit la main et sourit.

" Que dirais-tu de partir en voyage avec moi, ma Gabrielle ?

- En voyage ? Tu repars mon tout-beau ?, fit la femme, attristée.

- Oui, mais avec toi cette fois !

- Etienne ! Sois raisonnable !

- Ta malle ! J'ai des fourrures pour te protéger du froid !

- Etienne, se mit à rire la cocotte.

- Allez ! Dans ta chambre !"

Gabrielle se laissa convaincre, mais devant la porte se tenait Madame Germaine et celle-ci ne souriait pas. Son chignon était menaçant, la maquerelle croisa les bras.

" Je ne peux pas accepter, monsieur. Je suis désolée, mais Gabrielle travaille ici !

- Combien pour une semaine ?, demanda indifférement Etienne de Vaudreix.

- Voyons, voyons. Très cher, monsieur. Peut-être trop pour vous !"

Etienne de Vaudreix se tourna vers Gabrielle du Plessis, il ne parlait qu'à elle et dévoila ses atouts.

" Je suis propriétaire de plusieurs mines d'or, tant en Sibérie qu'en Californie. Je possède des fermes en Afrique du Sud et des terres en Ukraine. Je ne suis pas n'importe qui !"

Gabrielle regardait son homme et le découvrait tout à coup. Etienne de Vaudreix se redressa, fort et imposant. Un explorateur, aventurier, riche et aristocrate, il n'avait peur de rien et surtout pas de Madame.

" Oui, monsieur, je comprends, mais..., fit Madame, décontenancée. Mais, il y a des frais et vous comprenez bien...

- Je comprends ! Je pars aujourd'hui et j'emmène Gabrielle. Je vous paie son prix !"

Etienne de Vaudreix glissa la main à l'intérieur de sa veste et en tira une bourse de cuir. Abîmée et usée par les années. Il la déposa dans les mains de Madame.

" Vous trouverez plusieurs milliers de francs, madame. Cela devrait suffire à mettre vos comptes à jour.

- Heu. Certainement, monsieur.

- Et pour faire bonne mesure !"

Le chasseur saisit une de ses fourrures qui lui enveloppait les épaules et la posa sur celles de la patronne du bordel.

" Renard polaire. Cela vous va à ravir !"

Madame Germaine ne savait plus quoi dire et monsieur de Vaudreix, grand seigneur, saisit la main de Gabrielle du Plessis pour l'entraîner hors du salon.

Dans sa chambre, tout en préparant ses malles, la femme demanda à son extravagant amant :

" Où m'emmènes-tu, Etienne ?

- A la neige !

- La neige ?

- Tu sais pagayer, tu vas apprendre à skier."

Le collier de perles de la cocotte tomba sur le sol et, Dieu merci, ne fut pas brisé.

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