Quand Madame a une nouvelle poule...

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La matinée était presque terminée.

Les cafés étaient bus et la table débarassée. Les filles se reposaient et jouaient. On lisait et on commentait les nouvelles.

On parlait de ce grand discours tenu à la Sorbonne le 23 avril 1910, devant un parterre de politiques et d'universitaires, par Théodore Roosevelt. Tout le monde ne comprenait pas toute la valeur de ce discours, ni toute l'essence, mais cela faisait grand bruit.

La conférence de l'ancien président des Etats-Unis avait eu pour sujet le rôle du citoyen dans une république. L'idée de base était que la grandeur d'un pays se trouvait dans la "valeur moyenne du citoyen". Il fallait promouvoir cette valeur et faire de ce citoyen un des piliers de la nation.

Le citoyen était comparé à un homme descendu dans l'arène pour lutter, selon l'esprit pionnier de la culture américaine.

« Le crédit appartient à l’homme qui est descendu de sa personne dans l’arène, dont le visage est sali de poussière, de sueur et de sang ; qui lutte vaillamment, qui fait erreur, qui échoue et échoue encore, parce qu’il n’est pas d’effort sans accompagnement d’erreur ou de faute ; mais qui s’évertue en conscience à faire ce qu’il faut, qui connaît les grands enthousiasmes, les grands dévouements, qui s’use pour une digne cause, qui, au cas de pleine réussite, connaît, à la fin, le triomphe de la grande œuvre accomplie, et qui, si le pire arrive et qu’il échoue, du moins échoue au cours d’un vaste effort, si bien que sa place ne sera jamais au côté de ces êtres timides et glacés qui ne connaissent jamais ni victoire ni défaite. »

On commentait et on essayait de comprendre. On faisait mine en tout cas.

Madame Germaine faisait ses comptes et son chignon tressautait au moindre trait de crayon.

Ce fut alors que Gabrielle du Plessis entra dans le salon du One-Two-Two, avec ses malles et ses nouveaux bijoux.

Elle arborait un sourire modeste et se faisait humble.

Madame leva les yeux et son chignon glissa sur le côté.

Gabrielle présenta un front déterminé, prête à essuyer l'orage.

Mais l'attaque ne vint pas de la patronne.

Une jeune femme, à la chevelure rousse et aux yeux verts de jade, se redressa en la toisant. Assise sur le canapé, à la place de Gabrielle, elle sourit à cette dernière sans la moindre aménité.

" Tiens ? C'est vous, la fameuse Gabrielle ?

- Oui, c'est Gabrielle, ma chère Elvire, approuva Madame en retournant à ses calculs. Partie deux semaines en abandonnant son poste.

- J'ai de quoi payer, madame," murmura Gabrielle, inquiète.

Madame fit un geste vague de la main, comme pour chasser une mouche.

" On verra ça demain. Je suppose que votre Rousski paiera pour vous.

- Certainement, madame."

Gabrielle ne s'attendait pas à un tel accueil.

Elvire se leva et vint la rejoindre, tout sourire, pleine de fausse amabilité.

" Heureusement que vous êtes arrivée, Gabrielle. Madame avait prévu de me donner votre chambre. Cela aurait été cocasse, non ?

- Ma chambre ?, s'indigna Gabrielle.

- Comme vous êtes jamais là, Gabrielle, claqua la patronne, autant que votre chambre serve à quelqu'un. Je voulais vous mettre dans la chambre de Janine.

- Au grenier ?

- Qu'est-ce que cela vous ferait ? Vous n'êtes jamais là !"

Gabrielle se tut, pâle d'inquiétude. Elvire posa sa main sur son épaule et lui lança :

" Mais comme vous arrivez au bon moment, on va repousser ce projet à plus tard. Vous connaissez un prince russe à ce qu'on m'a dit ?

- Oui...

- Sois pas bégueule, Gabrielle !, s'écria Suzy. Tu as un prince russe dans ta poche et un riche patron d'usine !

- Et un ambassadeur hongrois !, renchérit Louison.

- Et un flic !, rit Suzy.

- Un flic ?, s'amusa Elvire. C'est intéressant !"

Gabrielle regardait sa nouvelle collègue et cela la frappa de plein fouet.

Elvire était fine, délicate et adorable, elle arborait une longue chevelure aux boucles rousses et ses yeux brillaient de mille feux, elle était jeune, elle était belle.

Elle lui ressemblait mais avec vingt ans de moins.

Qu'allaient en penser tous ses clients devenus à la fois des amants et des amis ?

Elvire la contemplait aussi et son sourire était rempli de dédain.

Gabrielle leva le front et exhiba ses dents dans un sourire mielleux.

La guerre était déclarée !

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