12 mai - 18 heures

4 minutes de lecture

Corine était assise, calme et tranquille, sur le canapé du One-Two-Two. Suzy lui tenait la main et lui souriait en lui parlant lentement. Elle articulait bien tous les mots.

" Alors, ma Coco chérie, tu es contente de retrouver le One-Two..."

Devant le froncement de sourcils de Madame, Suzy se reprit.

" Au bordel ?

- Oui," répondit doucement Corine.

La cocotte avait bien maigri mais ses joues avaient retrouvé des couleurs et ses yeux brillaient de joie. Louison se tenait de l'autre côté et lui servait de la tisane de camomille avec des petits biscuits au citron.

" Tu veux combien de sucres dans ta tisane, Corine ? Un ou d..."

Nouveau froncement de sourcils et Louison se mordit la langue.

" Sans sucre, merci, répondit Corine. Le docteur a été très gentil avec moi, il m'a dit que je devais faire attention à ne pas m'énerver, mais que je pouvais passer le week-end avec vous. Je remercie aussi Madame. Vous avez été très gentils, toutes et tous."

Madame hocha la tête. Les pensionnaires du One-Two-Two étaient heureux et soulagés de voir leur collègue de retour.

Gabrielle était debout, près de Mathilde, et toutes deux se tenaient fièrement devant Madame. Cette dernière était contente d'elles aussi.

" Corine va bien. Je ne pense pas qu'elle continuera la poésie. Je vais l'en décharger complètement."

Un souffle épique d'espoir passa dans la pièce, balayant tout le monde de ses ailes mordorées.

Il fut brisé lorsque Madame se reprit :

" Oui, enfin. Il nous reste les haïkus, les anagrammes, les acrostiches... Que de travail !"

On soupira de dépit, Madame poursuivit, le sourire aux lèvres, sans aucune méchanceté.

" Je suis contente du travail de Gabrielle Basset d'Auriac. La poétesse a bien tourné les choses et nous pourrons publier un recueil d'ici peu. Elle travaille "

Les yeux de Corine se levèrent et devinrent fixes et absents. Gabrielle voyant le danger chercha à faire taire Madame.

En vain.

Celle-ci ajouta bêtement :

" D'ailleurs, je vais vous lire un de ses derniers sonnets. Attendez !"

Madame s'en alla, les mains relevant les pans de sa robe satinée, le chignon glissait déjà dans la nuque.

Présageant un drame effroyable, digne des Atrides, Mathilde et Gabrielle se regardèrent.

" Tu te charges de la patronne, je me charge de Corine ?, proposa Mathilde.

- Pas de problème ! Je vais lui parler des soucis de Poulette.

- Poulette a des soucis ?

- Oui, elle a vraisemblablement mis bas dans la lingerie.

- Merde ! Des chatons ?"

Gabrielle resta muette quelques secondes avant de répondre :

"Oui. Trois.

- Bon. Suzy et Louison vont sauver les greffiers et je m'occupe de Corine !"

Mathilde saisit les deux cocottes avachies sur le canapé, elle les envoya cacher les chatons dans une malle au grenier avec Poulette. Puis, elle entraîna Corine, redevenue douce et aimable, dans sa chambre.

Gabrielle remonta son jupon et accueillit Madame avec un grand sourire.

" Mais où sont les filles ?, demanda Madame Germaine.

- Parties se coucher. Vous aviez un poème, Madame ?

- Oui. Ecoutez bien !"

La belle au bois dormant

Que j’ai longtemps dormi !.. Dix ans, cent ans peut-être ?

Quel baiser a touché mes lèvres et mes yeux ?

Comme le jour est pur ! Qu’on ouvre la fenêtre !

Comme j’avais perdu le souvenir des cieux !

C’est vous, Prince ? C’est vous ? Pardonnez à mes larmes.

C’est si beau, c’est si doux de vivre et de vous voir !

Comment avez-vous pu venir ? Où sont vos armes ?

Et pourquoi m’aimez-vous ? Je voudrais tout savoir !

Pardonnez, Monseigneur, mes parures fanées :

Je dormais, je ne savais pas.. Ce n’est pas vous

Que mes vœux appelaient en mes folles années ;

Et maintenant je voudrais me mettre à genoux.

Comme vous vous taisez ! comme vous êtes grave !

Je voudrais m’en aller de ce palais fatal.

Emmenez-moi ! J’ai les pieds pris dans une entrave,

Mes membres sont pesants et mon cœur me fait mal !

Des buissons épineux ont blessé votre tête,

Et vos mains, oh ! vos mains sont couvertes de sang !

Ah ! maintenant je vous reconnais, je suis prête :

Me voici, me voici, Seigneur.. Allons-nous-en !

Gabrielle BASSET D’AURIAC

" C'est magnifique, Madame, approuva Gabrielle, imitée par tous les autres, restés discrets sur la scène précédente.

- C'est en effet magnifique. Je regrette que Corine ne soit pas là, elle aurait apprécié. Elle qui aime tant la poésie.

- Sûr, Madame," fit Gabrielle.

Un hurlement retentit et une cavalcade résonna dans l'escalier. Des cris terribles, faits de miaulements et de gémissements suivirent.

" Mais que se passe-t-il donc ?," interrogea Madame, blêmissante.

Elvire entra à cet instant, pâle de peur.

" Il y a des rats dans la maison ! Je ne reste pas un instant de plus !

- DES RATS !," hurla Madame.

En fait de rats, trois tous petits chats, couverts de poussière, entrèrent dans le salon, suivis de leur mère, Poulette. La chatte, satisfaite, levait fièrement la tête.

Suzy apparut, le jupon déchiré et les cheveux emmêlés.

" Elle a pas voulu partir. Poulette est une chipie.

- Partir de où ?

- De la lingerie. C'est là qu'elle a fait ses chatons.

- QUOI ?"

Madame, outrée, se tourna vers la chatte. Poulette lui fit les yeux doux et cela brisa le coeur de la patronne du One-Two-Two.

" Gabrielle ! Vous avez des hommes dans tout-Paris. A vous de placer les chats !"

Elvire ricana et Madame lui jeta sèchement :

" Vous vous n'avez encore personne, je ne vous demande rien. On verra quand vous saurez y faire !"

Gabrielle leva juste un sourcil, mais cela suffit.

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