15 juin - 19 heures

3 minutes de lecture

La musique était enivrante, Gabrielle était obligée de le reconnaître.

Des mains sur sa taille et un souffle dans le creux de son oreille, cela la rendait inconsciente au monde.

Rien ne comptait que ces mains, ce souffle et l'électricité dans l'air. Sa peau la piquetait agréablement.

Gabrielle se faisait chatte entre les mains de son danseur.

Tout était de la faute de Mistinguett et de son Luis Bayo !

Joli costume, parfum de musc, mains conquérantes, son danseur jouait avec elle, mais elle rendait la pareille.

A chaque attaque, elle opposait une défense effrontée.

Et son danseur approuvait en rapprochant sa taille avant de la rejeter d'un geste vif.

Cette danse était-elle une danse ou un combat ?

On pouvait légitimement se le demander.

" Mi querida...," soufflait la voix.

Elle répondait par un claquement du talon de sa chaussure.

L'homme frappait le sol, en véritable toréador de la danse.

La femme se pliait, se soumettait, se cambrait et l'homme serrait ses mains.

" Mi querido...?," se moquait Gabrielle.

Un rire retentit et Don Luis Perenna, fâché, repoussa encore la danseuse.

Pliée ? Soumise ? La femme l'était-elle ?

Certainement pas !

Jeu de jambes et faux-semblant ! Qui dominait réellement l'autre ?

" Tu me manques..., murmura le danseur.

- Vraiment ?," sourit sa compagne.

Nouvel enlacement. Dans le tango, c'est traditionnellement à l'homme de guider la femme, avec le poids de son corps et la femme suit pour garder l'axe du couple, conserver l'équilibre. On improvise les pas et la danse devient langage. Une communication corporelle. C'est aux spectacteurs d'en comprendre le sens.

Un combat ? Une dispute ? Une séduction ? Une romance ?

Ce fut Mistinguett qui dansa pour la première fois un tango à Paris. Le 4 mai 1910, dans la Revue Marigny, elle osa danser avec Luis Bayo ce tango que beaucoup de chefs d'Etat européens avaient interdit pour son immoralité. Elle poussa même le scandale jusqu'à en donner des cours de danse par la suite. Gabrielle l'apprit avec elle.

Ce jour-là, Don Luis Perenna surprit Gabrielle en la saisissant par la taille.

La cocotte s'encanaillait avec quelques amies à la Boîte à Fursy, un cabaret de Pigalle célèbre pour ses concours de mollets féminins. Ici se retrouvaient de nombreux Argentins venus à Paris pour s'y amuser. Ainsi que le disait le patron, le chansonnier Henry Fursy : "... Il n’y avait pas encore à Paris autant d’étrangers qu’il y en a maintenant, mais, tout de même, à la faveur de l’Exposition de 1900, les Argentins avaient appris le chemin de la Capitale et ils venaient chaque jour – ou, plutôt chaque nuit – grossir le nombre des fêtards qui formaient la clientèle déjà dense des nouveaux établissements..."

Et ces fêtards venaient danser le tango à Paris.

" Tu danses, mi querida ?

- Mon cher capitaine ? Vous, ici ? Ce n'est pas digne d'un officier de l'armée !

- Je suis un légionnaire avant tout et tout est digne de moi ! Un tango, Gabriella ?

- Vous savez le danser ?"

Oui, il le savait !

Et leur danse parlait de dispute et de pardon, d'amour et de colère, de plaisir et de larmes. Don Luis Perenna dans son costume de parfait Argentin et Gabrielle avec ses rubans et ses dentelles, dansaient à en perdre l'esprit.

" Qui t'a fâchée, mi querida ?

- Les hommes !

- Cela en fait du monde ! Je ne peux pas tous les provoquer en duel !

- Alors tu n'es bon à rien !"

Claquement de bottes, talons qui battent le plancher et volte-face.

Les amies de Gabrielle, ainsi que tout le public, applaudissaient la performance. On sifflait, impressionné.

Don Luis serra la taille de Gabrielle et la cambra contre lui. Il saisit la femme et l'embrassa passionnément.

La musique s'arrêta sur cette belle image.

" Il me faut son nom, mi querida, et je me charge de lui."

Gabrielle rit, amusée.

Elle caressa la barbe naissante de son fougueux militaire.

" Vous êtes bien tous les mêmes..."

Gabrielle s'apprêta à rejoindre ses amies, lorsque Don Luis la retint par la main.

" Et pour Mata-Hari ?

- J'apprends le tango argentin et le ronggeng. Patience, mon beau militaire !

- La patrie n'attend pas !"

La cocotte sourit et ses doigts touchèrent la peau douce du poignet de son danseur.

" Je te manque tant que ça ?"

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