21 juin - 11 heures

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Les journaux, La Presse, le Moniteur, le Petit Parisien, le Matin et d'autres encore étaient horribles à lire.

Il n'était question que des cadavres dispersés dans la campagne de Seine et Oise. Un accident ferroviaire avait eu lieu à Villepreux le 18 juin 1910 sur la ligne de Saint-Cyr à Surdon.

Gabrielle du Plessis en avait entendu parler durant son court séjour en Normandie, mais les événements l'avaient empêchée de réellement s'informer.

Aujourd'hui, seulement, elle apprenait la vérité et en était horrifiée.

C'était une terrible catastrophe et des morts étaient encore découverts, dispersés et déchiquetés, carbonisés, plusieurs jours après.

Un express avait percuté un omnibus à l'arrêt à 18 h 10. Nul ne savait réellement par la faute de qui.

La locomotive de l'express avait laminé les voitures en bois de l'omnibus. A pleine vitesse, elle avait détruit l'omnibus, tuant tous ses occupants. Sauf quelques-uns qui furent miraculeusement éjectés. Les débris furent projetés dans la gare et touchèrent des passants et des voyageurs qui attendaient leur train.

On dénombrait plus de vingt morts, on ramassait encore des blessés, un petit garçon avait été retrouvé, fou de terreur, dans la campagne.

Les journaux demandaient que les responsables soient durement punis et le gouvernement vacillait.

Ce qui horrifia le plus Gabrielle, ce furent les enfants tués et blessés.

Dans un article, des grands noms de notables parisiens étaient évoqués et Gabrielle blanchit de peur.

Elle se précipita à la Sorbonne pour demander à voir Monsieur de Massiban.

Le professeur faisait cours et vit arriver dans son amphithéâtre rempli de jeunes hommes une femme vêtue de dentelles et les cheveux décoiffés.

" Mademoiselle du Plessis ?," s'étonna le vieil homme.

Les applaudissements résonnèrent dans la vaste salle tandis que la femme se jetait dans les bras du professeur. Monsieur de Massiban rougit adorablement.

" Mais... Mais que se passe-t-il ?

- La catastrophe de Villepreux ! Il est question d'un professeur de la Sorbonne parmi les victimes, j'ai eu tellement peur pour vous.

- Mais ? Je ne suis pas parti, ma chère !"

Les étudiants étaient debout, ils acclamaient leur enseignant. Qui aurait cru ce vieux drôle de Massiban avoir une telle femme dans sa vie ?

Monsieur de Massiban sourit et repoussa gentiment la cocotte.

" Allons, ma chère. Vous voyez bien que je vais bien.

- J'ai eu peur, monsieur de Massiban.

- Alors, c'est que vous tenez un peu à moi, ma chère. Vous m'en voyez ravi !"

Les doigts du professeur glissèrent sous les yeux de la cocotte, trop émotive, et en essuyèrent quelques larmes.

" Vous voulez assister à mon cours, mademoiselle du Plessis ? Il s'agit de théâtre grec, Lysistrata, une comédie d'Aristophane écrite en 411 av. J.-C..

- Mon Dieu. J'ai le droit ?

- J'ai peu d'étudiantes, mais j'en ai. Asseyez-vous dans l'amphithéâtre !

- Je n'ai jamais été à la Faculté, monsieur. Je n'ai pas dépassé le certificat d'études," s'effraya la femme.

Elle regarda la salle pour la première fois. Tous ces jeunes hommes, intelligents et cultivés. Ils avaient l'air si sûrs d'eux.

" Courage, ma chère. Ils sont plus bêtes que méchants. Ils vont juste jouer les jeunes coqs avec vous."

Cela fit rire la cocotte qui s'exclama :

" J'ai déjà assez de coqs comme ça dans ma vie ! Et ils sont bien trop jeunes pour moi."

Gabrielle s'assit près d'un jeune étudiant qui rougissait de timidité. Son voisin de droite, lui, voulut aussitôt lui parler. Mais la cocotte affichait un air concentré et son pied écrasa durement celui du jeune homme, trop entreprenant.

Sur son pupitre, monsieur de Massiban réussit à rétablir l'ordre et le calme dans l'amphithéâtre, puis d'une voix profonde, il expliqua comment Aristophane mettait en scène dans sa pièce, Lysistrata, des femmes qui se révoltaient contre la domination des hommes et prenaient le pouvoir.

" Et ainsi, il en va dans toutes les sociétés où les femmes sont traitées en inférieures aux hommes, elles se révoltent par le fer ou par le lit. La femme est une Amazone !"

On sifflait, on applaudissait, on se moquait, mais on ne s'ennuyait pas.

L'étudiant timide osa se tourner vers sa camarade et lui demanda :

" Les femmes sont-elles si malheureuses, madame ?"

Gabrielle eut pitié de son interlocuteur et lui répondit :

" Cela dépend de vous, monsieur. Qui vous dit de vous comporter en goujat ? Regardez votre mère et comment elle est traitée et réfléchissez !"

Le jeune homme ne dit plus rien et ses yeux se fermèrent, tout à l'évocation de sa mère.

Il l'appelera bien trop tôt dans les tranchées. N'est-ce pas ?

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