Rodald

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 Le marchal attendit l'après-midi pour prendre des nouvelles du blessé. En attendant, il consulta les quelques archives laissées par ses prédécesseurs, à la recherche de cas similaire. Il trouva plusieurs lettres faisant état de personnes échouées, mais elles avaient toutes été identifiées comme étant des pêcheurs de la région ; presque toutes, à vrai dire. Le brouillon d’un courrier signé par un certain « Marchal Elvan N. Goff » et datant de plus d'un siècle et demi faisait état d'une violente tempête ayant secoué la région durant plusieurs jours :

 « Quand les intempéries s'arrêtèrent, on trouva sur les plages des cadavres au nombre de vingt trois. Neuf d’entre-deux furent identifiés comme étant les corps de pêcheurs disparus dont je vous joins la liste complète. Les autres étant inconnus, on suppose qu'ils viennent d'une autre région ; des avis d'identification ont donc été diffusés.

 « En dehors des larges blessures communes à tous les corps, quatorze de ceux qui n'ont pas été identifiés étaient couverts de cicatrices étranges. Celles-ci variaient en profondeur et tracé selon les individus, le médecin Servan Rault estima qu'elles avaient dues être causées par des débris emportés eux-aussi par la tempête. Leurs yeux étaient également écarquillés, injectés de sang et parfois dotés d'un iris presque absent et d'une pupille très large, ce que le docteur attribua à la violence du choc les ayant surpris et au sel de la mer. Il souligna toutefois qu'il était étrange que seuls les corps non-identifiés aient été marqués de la sorte. Peut-être est-ce dû à une plus longue période passée dans la tempête.

 « On compte treize disparus et quarante deux morts, en plus des vingt trois noyés trouvés sur les plages. Le bilan humain s'élève donc à un total de soixante cinq morts. Que le Saint Père les prenne en pitié. »

 Les pages suivantes contenaient principalement la liste des pêcheurs morts ou disparus, celle des bâtiments et terrains endommagés ainsi que des dessins représentant les visages non-identifiés. Une feuille, glissée parmi elles, était couverte de notes et de de croquis représentant les blessures étranges. C'étaient les même que celles du corps trouvé par Arnalt ; la légende des écorchés venait probablement de là. Un autre papier, une semaine après le premier, listait les corps retrouvés depuis. En plus d'une dizaine de disparus, six inconnus avaient échoués, toujours avec les mêmes cicatrices.

 Rodald trouva également des courriers, reçus dans les semaines suivant l’avis d’identification. Un cadavre inconnu avait été identifié dans la ville voisine par un parent le réclamant. Il ne portait pas de cicatrices. Les autres lettres ne faisaient que confirmer le fait que les échoués étaient inconnus.

 Le marchal referma le rapport et décida de l'emmener à Avenel. Sa montre indiquait treize heures. Il mangea rapidement et marcha jusque chez le médecin. Il ouvrit la porte et trouva celui-ci en train de changer les bandages du blessé.

 — Vous auriez put frapper.

 — J'avais les mains pleines.

 — Pas assez pour vous empêcher d'ouvrir.

 Avenel resserra une bande de tissu et se détourna du corps.

 — Je suis désolé pour hier. La rancœur ne fait pas avancer les choses et ce n'est pas en nous disputant que nous sauverons cet homme.

 — Bien... J'ai chercher dans mes archives des cas similaires et j'ai trouvé ceci, dit Rodald en tendant son dossier au médecin. On a de la chance qu'il ait été conservé tout ce temps...

 — Une tempête ? demanda le médecin en le feuilletant.

 — Regardez les dernières pages, là. Ces dessins, ce sont...

 — Les mêmes cicatrices que sur notre homme.

 — Pensez-vous comme le médecin de l'époque que ce peuvent-être des débris qui ont fait ça ?

 — Hum... Non.

 — Qu'est-ce qui vous fait être aussi catégorique ?

 — Il n'y a aucune raison pour que la mer contienne des débris quelconques. De plus, ces cicatrices sont anciennes. Et, regarde ici...

 Avenel souleva le drap recouvrant le blessé et désigna une portion de peau en assez bon état. Avec la loupe qu'il lui tendait, Rodald vit de petites entailles.

 — Croyez moi, ça a été fait par une lame, des années après l'apparition des craquelures.

 — C'est récent, non ?

 — Sans doute, mais je ne saurais pas être plus précis.

 — Alors, les écorchés existent vraiment ?

 — Vous en doutez encore ?

 — Ce n'était qu'une rumeur...

 — Et la rumeur est confirmée.

 — J'espère qu'il pourra répondre à nos questions...

 — Il va falloir attendre un moment. J'ignore quand il se réveillera, mais au moins j'ai bon espoir qu'il le fasse.

 — Est-ce que je peux faire quelque chose ? Pour l'aider...

 — Si vous le proposez, aidez-moi à le nourrir. Maigre comme il est, je me demande de quand date son dernier repas. J'ai préparé un bouillon, il doit être tiède à présent. Allez me le chercher.

 Tandis qu'il s’exécutait, Avenel s'assura que les plaies dorsales du blessé étaient solidement bandées. Il le souleva par les épaules et l'assis tant bien que mal contre lui. Rodald revint avec un pichet.

 — Ah, bonne idée ! Ce sera plus facile ainsi qu'avec la casserole. Versez lui le bouillon dans la bouche, tout doucement !

 Ils parvinrent à faire boire le blessé, gorgée après gorgée, mais préférèrent ne pas forcer. Avenel reposa délicatement le corps sur sa table et s'assura que les attelles n'aient pas été déplacées pendant l'opération. Ils s'installèrent à la petite table et discutèrent.

 — Alors, y a-t-il quoi que ce soit d'étrange sur ce corps ? Mise à part ses cicatrices, je veux dire.

 — Eh bien, il y a les entailles... J'ai aussi vu des blessures plus profondes qui n'étaient pas dues à une lame.

 — La mer ?

 — Peut-être, mais je trouve tout de même cela étonnant. Et quand bien même ce serait la mer, cela n'explique pas la lame...

 — Est-ce que tu penses que cet homme pourrais avoir été... torturé ?

 — Je me posais la question, en effet. Mais s'il a été jeté à l'eau comme punition, pourquoi ne retrouve-t-on pas plus de corps ?

 — Peut-être a-t-il commit un crime grave ? Nous devrions nous méfier.

 — Il n'est pas dangereux pour l'instant.

 — Peu importe, il pourrait le devenir... ou le redevenir. Je vais vous prêter une arme.

 — Je ne saurais pas m'en servir.

 — Alors cela le dissuadera tout de même de vous faire du mal. Peut-être devrais-je m'installer ici ?

 — Non, cela ira. Rodald, nous ne devons pas affoler la population. Faisons comme s'il s'agissait d'un simple pêcheur pour le moment.

 Le marchal lui confia tout de même l'arme pendant à sa cuisse gauche.

 — Si tu y tiens... Mais je ne vois pas ce qu'il pourrait me faire.

 Ils se tournèrent vers le corps et écoutèrent sa faible respiration rauque.

 — On ne sait jamais... S'il était un criminel...

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