Adrien , chômeur SDF

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Chômeur, je vis au quotidien la dure réalité du chômage. Je suis rejeté par ma famille. J’ai voté à gauche pour sortir de ma condition de chômeur. Il est vrai, j’avais fini par tirer parti des avantages que me donnait l’oisiveté : affalé devant la télé, me couchant tard, me levant tard, gorgé de bière, la plupart du temps. J’étais souvent saoul comme un cochon, incapable de la moindre initiative, attisant la colère de ma femme. J’avais obligation néanmoins de me présenter aux convocations de pôle emploi sous peine de perdre mes droits, enfin ce qu’il me restait au bout de trois ans de chômage. Autant dire qu’il ne me restait pas grand-chose. Après avoir perdu mon travail, les années passèrent et le temps passe vite quand on est chômeur. J’ai perdu dans la foulée et ma femme et mes gosses, j’ai fini par vendre ma maison pour payer mes dettes, mes impôts aux socialos et les diverses taxes. J’étais pour ainsi dire chômeur à la rue. Maintenant, je vis dans une caravane. Mon dossier de logement s’est perdu dans les méandres de l’administration, oublié en bas d’une pile de dossiers en souffrance. Mon frigo est vide. Je suis en fin de droits et je fais les fins de marché. J’accepte les dons de fruits et de légumes encore mangeables. Je suis juste un grade au-dessus de clochard. Je regarde autour de moi. Le marché se vide. Les derniers chalands ont donné leurs derniers sous, des gens qui, comme moi, le dos courbé, remuent les poubelles, des sacs remplis d’immondices, espérant trouver une pitance salvatrice.

Je repense souvent à la période d’avant ma situation de chômeur. J’étais cadre sup dans ma boite. Je tutoyais mon directeur entre deux parties de dix-huit trous. J’étais établi. Un Plan d’Épargne Logement à la banque, un livret de développement durable, une assurance vie. Je votais socialiste. J’avais un gros "catcat BMW" qui polluait un max, un cross over que je prenais à chaque fois que j’allais chercher ma baguette de pain chez ma boulangère en prenant soin de mater ses formes plus que généreuses. Hé oui, je suis un gros cochon et même un peu vicelard…Une vie de gros beauf, quoi! Con et golfeur. Je consommais. Je polluais. L’environnement, la planète, la disparition des éléphants en Afrique, j’en avais rien à foutre. Seul comptait mon petit bonheur personnel, avec ma petite bonne femme. De temps en temps je m’offrais un petit extra, j’allais au putes ou alors j’allais mater un film porno dans un sexshop. Maintenant, c’est dans une caravane que je partage le quotidien avec Raymond, un SDF, un ancien flic. Le seul souci c’est qu’il est homo Raymond et m’inflige “plus belle la vie” tous les soirs. Il aime bien revoir ses potes d’avant. Un cauchemar.

Raymond, c’est un patient. Il sait attendre avec son chien, le ventre vide pendant des heures. Attendre qu’une pièce tombe d’une main providentielle. La faim ne lui fait pas peur. Seule la sauvagerie d’un humanoïde aviné lui fait peur. Un type sort de nulle part et commence par insulter puis à tabasser sans raisons. Le monde est fou. Raymond a eu droit à un séjour aux urgences, le bras et le visage tuméfié. La violence la plus fréquente et la plus plausible est plutôt verbale. Le classique "va bosser fainéant !" revient souvent dans la bouche du bourgeois bien sapé et bien coiffé. Les cerbères de la morale sociale. Il y a surtout les grosses bourgeoises, l’hiver engoncées dans leur vison et qui vous jette un regard glacial et sans appel avant de s’engouffrer dans leurs grosses bagnoles fumantes. Péremptoires et sans pitié. Parfois, je tombe sur une pépite. Je me souviens qu’une fois j’étais sur le parking d’un magasin Lidl. Je fixais une dame d’un certain âge, cheveux grisonnant, une dame à l’apparence comme il faut. Elle déchargeait ses courses qu’elle rangeait soigneusement dans le coffre de sa voiture. Je la fixais, la dévisageais comme on dévisage une femme qu’on aurait choyée et aimée. On sentait en elle le poids de la vie. Elle était veuve probablement. Elle portait cette culotte de cheval qui donne à certaines femmes un peu grasse une démarche lourde, pesante et lasse. Elle s’approcha de Raymond et lui tendit une pièce de monnaie non sans lui avoir spécifié la destination de la dite pièce: elle était pour le chien. J’entends encore cette injonction faite à Raymond:

-Attention, ce n’est pas pour vous, c’est pour le chien!

Je fais souvent la manche à des endroits stratégiques pour apitoyer le passant. La manche est une histoire de communication. Je me souviens d’une fois je m’étais mis rue Mouffetard, dans le Vè arrondissement. J’avais faim. Faire la manche le ventre vide, un calvaire. La patience, pour vaincre le temps qui passe, est le carburant indispensable pour faire la manche. Et la patience ne saurait se satisfaire d’un ventre vide. Assis, adossé au mur, le point de vue infériorise le candidat à la manche. La main tendue devient superfétatoire, inutile, voire grotesque. La communication a évolué. Le fait d’être à mi-hauteur des passants suffit largement à attirer son attention, susciter quelque chose,une empathie, parfois une angoisse vite dissipée ou même une indignation.

L’image du mendiant qui vous tend la main est désuète. Néanmoins, cela vous interpelle sur l’état de nos sociétés. Vous vous sentez coupable car vous n’avez pas su faire en sorte que le type qui vous tend la main garde sa dignité. Vous vous sentez coupable car la société c’est JE, c’est TU, c’est IL. Les gens font le plus souvent l’autruche. Les gens tendent la pièce et regardent ailleurs. Ils ne me regardent jamais dans les yeux. Comme si j’étais une conscience. La seule conscience légitime. On ne se regarde jamais dans un miroir quand on se sent sale,coupable. Le SDF c’est le miroir de notre condition humaine pas trop reluisante, s’il en est.IL vous balance en pleine face une vérité aussi sociale, philosophique que cinglante. Il ne pollue pas. Il n’exploite pas. Il n’est pas productif, sinon pour quoi faire? Il ne fait pas de tort à la planète, car il sait que dans ce monde rien ne lui appartient. Le galaxy S5, il s’en fiche.

Adrien,chômeur SDF

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