Prélude

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Prélude:
Avignon, juillet 2012.


Le 23 juillet 2012 s'annonçait être une belle journée d'été et le soleil brillait déjà avec intensité ce matin.
La ville d'Avignon était particulièrement animée en cette période et le centre était bondé de touristes en raison du festival annuel. Les rues, les places et les jardins devenaient des scènes improvisées où des artistes locaux et internationaux se produisaient.


Claire conduisait sa voiture et se dirigeait vers le centre-ville tout en écoutant de la musique à la radio. Il y avait un peu de circulation en raison des activité festivalesques mais elle était en avance de quelques dizaines de minutes. OUI FM passait un morceau de Jimi Hendrix et elle fredonnait l'air de bonne humeur. Elle pensa à son fils, Mathis, qui venait juste de commencer à apprendre à jouer de la guitare et qui avait l'air de vraiment y prendre goût. Il passait beaucoup de temps à s'exercer et cela la rassurait un peu car elle s'inquiétait un peu à son sujet récemment. Il venait d'avoir 14 ans et il traversait une crise d'adolescence assez aiguë. Ses résultats scolaires étaient en chute libre, il passait tout son temps avec ses copains et n'écoutait plus du tout ce qu'on lui disait. S'investir dans cette passion pouvait vraiment aider à lui remettre les idées en place et à le motiver. Son père était un musicien amateur mais Mathis n'avait jamais eu la patience d'apprendre à jouer de la musique avec lui.
C'était vraiment un bon garçon, il était gentil. Telle une mère poule, Claire avait fait tout son possible pour qu'il ne manque de rien dans son éducation. Elle était toujours derrière lui pour subvenir à tous ses besoins et son unique enfant avait toujours été au centre de sa vie et de ses pensées.


Après avoir tourné en rond pendant quelques minutes, elle finit par trouver une place de parking près du centre-ville, au nord. Claire était guide touristique et elle avait rendez-vous ce matin à 11h30 pour prendre en charge un groupe de touristes japonais qui visitait la ville. Etant bilingue français-anglais, elle s'occupait en général de touristes venant d'Angleterre ou des États-Unis et elle avait très rarement travaillé avec une clientèle asiatique. Le guide spécialiste de l'Asie était absent aujourd'hui.
Elle ne connaissait pas du tout ce continent et ses cultures et elle n'avait jamais visité un de ses pays. Mathis, en revanche, adorait les dessins animés japonais et les séries télé coréennes, comme beaucoup de garçons et de filles de son âge.
Le tsunami géant et la catastrophe nucléaire à Fukushima qui avaient eu lieu l'année précédente avaient choqué la planète et il y avait eu une vague d'empathie pour le peuple japonais qui avait également touché les français.


Le groupe d'aujourd'hui venait de Nagoya et passait seulement deux jours ici. Ils avaient évidemment prévu de faire la visite du du Palais des Papes, une des principales attractions de la ville et de la région.
Il y avait de plus en plus de touristes asiatiques en ce moment mais Avignon avait toujours été une destination très populaire pour les Japonais.


Elle arriva au point de rendez-vous, la place du Palais, quelques minutes en avance. Il y avait encore assez peu de touristes à cette heure là mais les terrasses des cafés de la place était déjà pourtant bien occupées et l'imposant château venait d'ouvrir ses portes aux visiteurs qui attendaient patiemment devant l'entrée.
Le groupe d'une vingtaine de touristes japonais arriva pile à l'heure avec à leur tête l'accompagnateur qui parlait français.
Ils sortaient juste d'une dégustation de vin et de fruits de mer et paraissaient être très satisfaits par cette visite de la ville et par les diverses représentations théâtrales auxquelles ils avaient assistées.
L'étape suivante était la visite de ce château gothique et de ses vastes salles, de ses chapelles et de ses jardins.


Le ticket d'admission payé, on donna à chaque membre du groupe un Histopad. Le Palais des Papes avait introduit cette tablette, disponible en 7 langues dont le japonais, en début d'année et qui permettait aux touristes étrangers de visiter les lieux de manière indépendante et selon leurs préférences. Des images en 3D augmentée et des textes apparaissaient lorsque l'on déplaçait la caméra, et cela facilitait grandement le travail des guides qui se résumait à répondre aux questions et à s'assurer de leur sécurité.


Ils traversèrent d'abord les diverses salles de cérémonie et chapelles et passèrent un peu de temps dans la chambre du pape pour admirer les inestimables fresques qui ornaient les murs. Les touristes japonais semblèrent particulièrement impressionnés et lâchèrent même quelques exclamations de surprise. Ils étaient sur le point de finir leur visite avec les jardins pontificaux qui surplombaient la ville d'Avignon lorsqu'un des membres du groupe, un homme dans la cinquantaine à l'allure de rocker des années 80 et accompagné d'une femme du même âge, commença à se plaindre de mots de tête et d'estomac. Il avait effectivement mauvaise mine et Claire lui conseilla de se reposer quelques minutes pendant qu'elle finissait la visite avec les autres.
À son retour, quelques minutes après, l'homme était en sueur, avait développé une allergie cutanée assez aiguë sur la figure et ne semblait pas du tout capable de continuer cette journée touristique à Avignon. La chaleur et une indigestion aux huîtres pouvaient être une cause très possible de son malaise mais la situation était suffisamment sérieuse et encombrante pour tout le groupe que sa femme et l'accompagnateur furent pris d'une légère panique et demandèrent l'aide du personnel du château qui leur proposa de téléphoner aux secours, comme il n'y avait pas d'infirmerie dans l'enceinte. Claire qui ne travaillait pas cet après-midi et qui n'habitait pas loin leur proposa de passer chez elle et d'appeler un médecin, ce qui leur reviendrait probablement moins cher que d'appeler une ambulance et d'aller aux urgences de l'hôpital le plus proche. Les assurances de voyages internationaux ne prenaient pas systématiquement en charge les cas d'indigestion et de malaise. Elle n'était pas très occupée aujourd'hui et voulait laisser une bonne image de sa compagnie aux touristes japonais qui représentaient une part importante de leur chiffre d'affaire.
À l'annonce de cette solution, ils laissèrent échapper un soupir de soulagement et se preparèrent à se mettre en route tout en laissant des consignes aux visiteurs japonais qui attendaient à la sortie des jardins.


Voyant l'homme qui marchait lentement en direction de la voiture et qui visiblement avait de la fièvre, elle leur proposa de faire un saut à la pharmacie la plus proche afin d'acheter quelques médicaments de première nécessité, tels que de l'aspirine ou des antidouleurs.
Bien que festivités battaient leur plein et que les rues étaient noires de monde, ils finirent par en trouver une sur le chemin qui était déjà pleine de monde qui attendaient devant le comptoir. La compagne et l'accompagnateur firent la queue pendant que les deux autres attendaient à l'extérieur. Après une bonne quinzaine de minutes ils revinrent avec du Ibuprofen pour la fièvre et du Zirtec pour l'allergie. Son appartement n'était pas très loin et leur fallurent juste une dizaine de minutes pour s'y rendre, mais comme elle était en plein déménagement en ce moment, ils durent d'abord faire un peu de place dans le salon afin que l'homme puisse s'allonger confortablement sur le canapé.


L'homme prit un Ibuprofen et on appela SOS médecin qui devait envoyer un docteur dans les 30 minutes qui suivaient.
À peine l'accompagnateur avait raccroché que l'homme commença à se plaindre de ne plus pouvoir respirer; son visage gonflait à vue d'œil et sa respiration était sifflante. Il faisait une réaction allergique très rapide et très grave. Le groupe commença à paniquer et Claire immédiatement appela une ambulance en expliquant aux urgentistes la situation extrême. L'ambulance était déjà en route et sur les conseils des urgences, ils cherchèrent dans les affaires du couple un auto-injecteur d'épinéphrine. Ils prirent le sac à dos de l'homme allongé, au bord de l'asphyxie et agonisant, et dans l'affolement ils déballèrent le contenu sur la table du salon. Ils cherchèrent en premier lieu dans sa trousse de toilette, puis dans la poche qui contenait son passeport et son portefeuille, mais ils ne trouvèrent rien. Sa compagne qui était complètement affolée ne savait pas s'il était allergique à quoi que ce soit mais il était à supposer que le médicament qu'il venait de prendre avait déclenché cette crise.
Désespérés et dans l'attente des ambulanciers, ils lui retirèrent son tee-shirt afin qu'il puisse mieux respirer et on tenta de le faire boire de l'eau en vain. L'attente était insupportable et ses gémissements plongeait le groupe dans une panique et une terreur totales.


Le japonais à moitié nu finit par pousser un dernier râle rauque dans un dernier sursaut et rendit l'âme quelques secondes plus tard, son corps immobile sur le canapé. Claire et les deux autres étaient absolument horrifiés et terrorisés, et restaient immobiles dans le salon dans l'attente des secours. Ils arrivèrent quelques minutes plus tard. Le médecin qui les accompagnait constata le décès pour cause d'anaphylaxie, qui était une forme d'allergie grave et très mortelle sans intervention immédiate, et remplit un certificat. Il y allait avoir une enquête officielle et l'ambassade du Japon devrait intervenir rapidement afin de faire rapatrier le corps au Japon mais le décès était purement accidentel et il était probable que personne ne serait tenu responsable. On pouvait juste supposer que le japonais ne connaissait pas l'Ibuprofen qui ne devait pas être populaire dans son pays et qu'il n'avait malheureusement pas pensé à faire des vérifications concernant les possibles risques.
Les équipes de secours prirent les affaires du défunt et les deux autres japonais très choqués et sans voix partirent avec eux.


Claire pris quelques secondes pour reprendre ses esprit, se dirigea vers la cuisine et se servi un grand verre de congnac qu'elle avalla d'un trait. Elle s'assit sur un fauteuil, complètement déboussolée et incapable de penser à quoi que soit tellement tout cela était arrivé si rapidement, et regarda le canapé longuement les yeux vides d'émotion.
"Un japonais est mort dans mon salon aujourd'hui !" pensa-t-elle sombrement.


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