Une ambition féminine

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Bien que par ma nonchalance à la limite du hors-cadre, longtemps, j'ai grandi et évolué selon les normes du monde. Fillette timide, puis ado rebelle comme il se doit, j'ai démarré ma vie d’adulte avec un simple BEP de sténo-dactylo-correspondancière.

Jeune fille aux ambitions modestes dont le rêve d’être interprète (l’anglais étant ma matière préférée) avait été brisé par le refus de me faire passer en seconde générale, j’étais satisfaite de ce diplôme de secrétaire que j’avais obtenu en filière courte dans un lycée professionnel. Le travail de bureau me permettait de quitter les études à dix-neuf ans, après deux redoublements en CM2, puis en 5ème, avec un statut que j’estimais honorable au vu de mes faibles compétences et un sentiment du devoir accompli, quand mon père que mes résultats scolaires avaient toujours laissé de marbre et devait certainement se souvenir de mes longs moments passés à brosser les cheveux nylons de mes poupées d’enfance, m’avait suggéré en fin de collège de m’essayer à la coiffure. Derrière la proposition paternelle, j’avais senti l’idée de « Au moins, tu auras vite un métier en attendant de te marier et t’éclater dans ta popote et derrière tes fourneaux... » J’étais terriblement vexée qu’il n’ait eu d’autres ambitions pour moi que celle de colorer en mauve les cheveux permanentés des mamies. En vérité, je n’ai rien contre ce métier, noble et créatif, mais à l’époque, je me disais qu’avoir un CAP de coiffeuse c’était être au bas de l’échelle. Pour moi, c'était partir sur de très mauvaises bases et avoir déjà pratiquement raté sa vie.

Certes, mes incapacités intellectuelles et mon bulletin scolaire limitaient mes choix d’avenir, mais j’étais une orgueilleuse, et dans mon esprit, cette voie de garage n’était pas envisageable. Je me sentais déjà suffisamment nulle et idiote, quand ma cousine avec qui j’avais construit des cabanes dans le jardin et avec qui j’avais préparé, puis goûté des gâteaux de terre, collectionnait les notes d’excellences, et que la majorité de mes copines d’école poursuivaient des études longues et avaient franchi les barrières du lycée général que l’on m’interdisait.

Le jour de l’examen, je me souviens avoir emporté sous mon bras, mon Olivetti portative jusqu’à la table d’épreuve. Motivée, j’avais réussi et obtenu une mention « Bien », et c’est donc soulagée et enfin libre des études, que j’avais fait des salutations non-révérencieuses à des années d'école qui devaient me rattraper une paire d’années plus tard (ambition personnelle oblige), mais en ayant cette fois-ci pour salle de classe, une pièce feutrée de velours rouge du Tribunal de Versailles, et un huissier de justice comme professeur quasi personnel.

Employée modèle dans une SCP d’huissiers associés, mes patrons m'ont financé trois ans d'études et envisageaient de m’installer au poste de Principal d’études. Ce furent donc trois années à ingurgiter une quantité astronomique de textes de loi dans une salle remplie par une dizaine d’élèves en début d'année, puis cinq, puis trois, puis deux, puis moi... La plupart ayant abandonné à la fin de la première année à l’obtention de leur diplôme de Clerc d’Huissier. Avant, après, j’avais navigué entre des contrats jeunes payés trois sous dans ma ville natale et des périodes de chômage. Là où j’habitais, aucune entreprise ne recrutait de secrétaire débutante. C’est donc vers la Capitale que j’avais été chercher fortune. Gardes d’enfants, missions d’intérim plus ou moins liées à ma formation, et missions d’hôtesse d’accueil dans les salons et foires exposition, ces petits boulots mal payés me permettaient malgré tout de vivre décemment.

Mariée, mère de famille, c’est sans regret que j’ai ensuite lâché cette succession de métiers disparates pour élever mes deux enfants jusqu’à leur entrée en maternelle. Pour unique ambition ma famille, j’avais été heureuse, mais seulement pour un temps... Renfermée dans ma maison et contrainte à ce rôle de femme au foyer qu’ambitionnait mon père pour moi, je n’étais pas épanouie. J’avais besoin de me réaliser ; de prouver que j’étais capable... Mais à qui ? À moi-même ? À mon père ? Aux professeurs qui n’avaient jamais cru en moi ? Je ne le savais pas. Je ne me posais pas la question, mais la frustration en moi était immense. Malaise, colère, incompréhension, divorce, re période de chômage et de galère, puis re garde d’enfants pour ajouter un peu de beurre dans les épinards, et retour aux études par correspondance pour récupérer un niveau Bac et obtenir un meilleur niveau de vie. En parallèle, j’avais décroché des contrats de secrétaire sans envergure. Le plus souvent, j’étais embauchée pour être la belle plante à l’accueil, pour recevoir les clients avec un beau sourire siouplait, ou répondre au téléphone. Puis, comme un miracle, un bilan de compétence m’avait été offert par le directeur de la société qui m’employait et m’appréciait. Il s’était aperçu que je dépérissais et que je méritais mieux... (Sic... souvent je me suis demandée d’où lui venait une telle pensée... Dieu, déjà à l’œuvre ? ).

Tout de suite, j’avais compris que cette opportunité pour moi de faire un point professionnel était une chance. Face aux conseillers de l’emploi, il m’était possible de m’extraire des cases dans lesquelles ma fierté, le regard de la société, mes amis, ma famille, etc. m’avaient jusque-là remisée. De nouvelles portes s’ouvraient à moi. J’y entrais avec joie, parce que NON je n’étais pas JUSTE une potiche qui présentait bien, qui s’exprimait convenablement au téléphone et faisait le café du patron sans jamais se rebeller. Enfin, je pouvais prétendre à autre chose. Après de longs échanges, j’avais pesé le pour et le contre des postes proposés. Rien ne m’emballait. Tout était trop en rapport avec l’administratif et je voulais faire quelque-chose de radicalement différent. On m’avait alors demandé de réfléchir à ce qui m’intéresserait. C’était nouveau pour moi. Voilà qu’on ne me forçait plus à aller là où je ne voulais pas aller au prétexte que j’étais apte ou inapte. Dans la foulée, j’avais pensé que mes quarante ans se profilaient à grands pas, et que bientôt, je serais une secrétaire vieillissante en concurrence avec des jeunes femmes toujours plus nombreuses et toujours plus fraîches. Celles-ci débarquant avec leur Bac+2 assortis de leurs compétences aux logiciels que je maîtrisais mal, je savais qu’il me serait de plus en plus difficile de faire le poids. Cette occasion de prendre un virage à 180° et de définitivement changer de métier, je l’avais donc saisi tout de suite, mais à la question « Qu’est-ce que vous aimeriez faire ? », je n’avais pas osé répondre. J’avais honte de livrer le fond de ma pensée et peur des réactions.

À cette époque, j’adorais la décoration d’intérieur, et au fond de moi, sans oser l'exprimer, c'est ça que je voulais faire. Cette pensée me paraissait totalement saugrenue, mais elle tournait dans ma tête. Après quelques jours de réflexion, je décidai de passer outre la peur et la honte, et d’enfin me livrer. À mon grand étonnement, les formateurs ne s’étaient pas moqués de moi. Ils avaient même acquiescé en m’expliquant qu’il y avait très peu de filières déco dans la région, mais qu’ils m’aideraient dans cette voie si tel était mon souhait. Ouf ! Ce fut alors une nouvelle reconnexion avec les études, via une formation pour adultes dans des ateliers de peinture bâtiment au milieu de jeunes déscolarisés et en errance, puis l’envie d’ouvrir un commerce de décoration en centre-ville. Après un stage de création d’entreprise, s’’ensuivirent les démarches auprès des banques pour décrocher des emprunts nécessaires (plusieurs des conseillers, malgré mon dossier complet et ma détermination, m’ayant clairement dit que seule avec deux enfants en bas âge, je m’embarquais dans quelque chose de difficile, et que, je ferais mieux d’opter pour un boulot plus tranquille). Cette façon de me dire que je n’y arriverais probablement pas, me ramena aux appréciations négatives des professeurs sur mes bulletins scolaires et titilla mon orgueil.

J’avais une revanche à prendre sur mes échecs et mes incapacités, et à force d’audace, de sourires enjôleurs, de présentation impeccable et de volonté malgré tous les avis contraires, j’avais enfin remporté la confiance d’un banquier et pu obtenir le statut prisé de commerçante. J’étais patronne ! J’obtenais enfin réparation sur le dénigrement et sur ce que je n’avais pu entreprendre, faute de compétences intellectuelles. La terre ne me portait pas. J’étais fière de moi et plus orgueilleuse que jamais. Hélas, c’était sans m’imaginer que les recommandations des conseillers bancaires et leurs mises en garde concernant le métier de chef d’entreprise, n’étaient pas que des réflexions machistes de bas étage comme je l’avais pensé. À mes dépens, j’avais vite constaté que porter à bout de bras une entreprise sans être épaulée financièrement, moralement et physiquement, était un vrai défi. Je m’en étais cru capable par excès de confiance, sans mesurer que cela impliquait beaucoup de sacrifices. Des semaines à rallonge, des enfants que je ne voyais quasiment plus par manque de temps, des factures qui s’accumulaient, des employés retors, des charges à n’en plus finir, une fatigue omniprésente et une opération à venir pour ma fille avec risques, complications possibles et choix difficile à prendre, m’avaient laissée exsangue.

Au bout de deux ans d’exercices, j’étais à bout de souffle et submergée de toutes parts. Prisonnière de cette ambition qui me mettait face à tous mes manques, je ne faisais que geindre. Pourtant, dans mon malheur, je trouvai la Lumière. L’extrême détresse dans laquelle j’étais, permit au Seigneur de rentrer dans ma vie. Et pour mon plus grand bonheur, il m’assista pour liquider mon entreprise, m’aida à accepter mes faiblesses et transforma mes ambitions personnelles en ambitions pour Son Royaume. Lorsque plus tard, après une longue période de chômage sans indemnités, un RMI mensuel et la banque alimentaire pour nourrir ma famille, Il me demanda d’écrire pour que le monde Le connaisse, c’est avec crainte et tremblements, mais aussi par conviction que j’ai accepté et me suis mise au travail. Et parce que j’avais été brisée dans ma suffisance, je suis repartie de la base pour apprendre à structurer un livre. D’apprentissages en découragements, j’ai souvent pleuré sur toutes mes défaillances, puis acquis pas-à-pas les connaissances nécessaires. Connaissances, qui huit années plus tard me permettent enfin de me définir en tant qu’auteur et d’avoir quelques histoires à mon compte.

Durant ce temps d’écriture qui se poursuit, entre indemnités d’Assedic, CDD de femme de ménage, d’aide administrative, d’hôtesse d’accueil, de secrétaire remplaçante et d’heures de garde d’enfants, le Seigneur a toujours pourvu à mes besoins afin que j’achève la mission pour laquelle Il m’avait équipée. Il m’a donné l’humilité nécessaire pour comprendre que tout me vient de Lui, et que sans Lui, rien de ce que je fais ne me serait possible. Et moi qui papillonnais de lubies insensées en passions éphémères, Il m’a aussi donné la paix dans la difficulté et l’énergie de continuer coûte que coûte, même si le monde me rappelle constamment que je suis « hors normes », que je n’entre dans aucune de ses cases, que les priorités d’une femme de mon âge devraient être autres et raisonnables, que je rêve et que je ferais bien d’atterrir...

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