Chapitre 4 : L’ombre du drame

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- « Unité 3, agent Trell au rapport : Nous avons été attaqués par un cobaye en fuite. Mission prioritaire : élimination du parasite. Agent Syven à terre. Absence de pouls. Décédé. Pas de demande de renfort. Mission sous contrôle. Terminé. »

- « Unité 2, Agent Sellor au rapport : Zone aile B6 en cours de nettoyage. Possibilité de rejoindre la traque. »

- « Unité 1, Agent Valor au rapport : Zone aile A3 nettoyée. Passage à l’aile C afin de terminer le travail. Ordre pour unité 2 : Rejoignez-nous une fois l’aile B nettoyée, renfort à prévoir. Ordre pour unité 3 : Poursuivez le cobaye. Trouvez-le. Tuez-le. Et rejoignez-nous. Terminé. »

Ouf… j’ai géré la communication pour ma première mission sérieuse. Pas d’erreur. Clair. Pro. Enfin je crois.

Mais... Syven est mort ? Attends. Syven ? L’un des premiers agents Anasto ? Ce gars-là, c’est une légende. Une vraie machine de guerre. Il aurait pu survivre à une frappe orbitale avec un bras en moins et un rictus. Quel genre de cobaye peut faire tomber un mec comme ça ?...

Enfin. Je ne devrais pas m’en faire. Si Trell s’en occupe, tout ira bien, non ? … Non ?

Pfiou. De mon côté, je suis encore essoufflé. La dernière exécution me reste en travers de la gorge. Pas le tir, pas le recul. Le regard. Ce foutu regard. Et ce bruit organique… quand la capsule perce la chair, suivi du bzzz sec qui rompt le lien entre cerveau et muscles.

J’ai l’impression que je ne m’y ferai jamais. Mais je ne tremble pas. Je ne dois pas. Un Savedecar ne tremble jamais. L’escouade Anasto ne tremble jamais. L’unité 2 ne tremble JA-MAIS. Je ne dois pas faire honte.

Mais est-ce que j’ai vraiment ce qu’il faut ? Est-ce que j’ai vraiment les tripes pour faire ça ? Bon aller, je me reconcentre. La mission est bientôt terminée. Luna doit m’attendre. J’ai besoin de son avis.

L’aile B6 est propre. Enfin… si on appelle “propre” des sols joncher de cadavre. Après, tout cela reste clean. Pas de sang. Pas de visière. Juste des corps sans vie. Le laboratoire reste propre. Digne. Seulement sans vie.

Tout est ici… Aseptisé. Silencieux. Aligné. Sous la lumière aveuglante des spot lumineux. Des dizaines de corps, figés dans une dernière posture. Pas un cri. Pas une goutte de sang. C’est propre… et c’est ça le plus sale.

Mon escouade avance devant moi, deux vétérans, Sendak et Rul, qui ont déjà les bottes pleines d’ombres et de cendre. Moi, je fais semblant de ne pas entendre mon cœur tambouriner contre ma poitrine comme une bête prise au piège. C’est ma première vraie mission d’élimination. Ma première “purge”. J’ai coché toutes les cases. Objectif : zéro témoin.

Et maintenant, on nous envoie rejoindre l’unité 1 à l’aile C. Pour “finir le travail”. Rien que ça. Sauf que personne ne m’a dit ce qu’il y avait à l’aile C. Personne ne parle de ce qu’ils ont trouvé là-bas. Le silence radio, les rapports coupés, le ton dans la voix de l’officier de liaison… On dirait qu’ils ne veulent pas qu’on sache.

C’est quoi c’est sueur froide dans mon dos ? Un mauvais présentiment ? Non ! C’est le stress ! c’est normal, je suis un novice après tout ! j’ai hâte d’être aussi efficace que mes camarades !

- « Accélère, bleubite. » grogne Sendak sans se retourner.

Je serre les dents. J’essaie d’avancer comme eux. Solide. Inébranlable. Je suis un Savedecar, bordel ! Je repasse devant. Il faut que je leur montre que je suis capable !

Il faut que je respire. J’ai cette impression que l’air devient plus lourd, plus irrespirable à chaque pas. L’incendie ? Pourtant nos combinaisons est censé filtrer la fumée et les cendre.

Un écran LED attire mon regard. « A gauche L’aile D... A Droite… » Merde une trace de sang. Slash elle est encore fraiche. Je l’essuis facilement d’un revers de la main. « A droite l’aile C ». Parfait !

Je me retourne vers mes coéquipiers, comme un chiot en quête d’un regard, d’un signe d’approbation. Ils chuchotent entre eux, juste en dehors de portée de mes capteurs audio. Je déteste quand ils font ça. Haaah… À quoi je m’attends ?

- « Par ici les gars ! l’entré de l’aile C se trouve à droite ! »

Ils me regardent enfin. Ils se reconcentrent sur la mission, c’est bien. Plus vite on termine, plus vite je retourne chez nous.

À droite. La lumière grésille au-dessus de moi, déformant les ombres. Au fond du couloir, les ampoules ont rendu l’âme. Seul le buzzer de l’alarme persiste, tachetant les murs de rouge par à-coups.

Pourquoi ce couloir me paraît-il si long ? Si oppressant ? Allez, sérieux… Un simple couloir sans lumière, et j’ai déjà les tripes en vrac ? Tu parles d’une escouade d’élite. Arrête de faire l’enfant.

Clac. Clac. Clac.

La porte menant à l’aile C bloque. Derrière… quelque chose. Je m’approche. Oh merde !

Un torse. Ou plutôt un bout de torse, déchiqueté comme un vieux sac de viande. Mon estomac remonte si haut qu’il frôle mes sinus. Je me retourne — et me retrouve nez à visière avec le colosse sans peur.

- « HAHA, regarde-moi ça, Rul ! Le baptême du sang du bleu n’a pas l’air de tout repos, hein ! »

Ricane Sendak, me claquant dans le dos si fort que mes poumons envisagent la démission. Rul s’agenouille, inspecte le steak humain avec le calme d’un boucher blasé.

- « Syven a peut-être un peu forcé cette fois. On avait dit propre. Sans bavure. » Il soupire. « Les gars. On avance. »

Sendak shoote dans le morceau de chair, dans un splash majestueux. La porte s’ouvre dans un grincement à faire trembler les vitres. On entre en vitesse. CLACK. Elle se referme. Verrouillée par l’état d’urgence. Impossible de faire marche arrière.

L’alarme assourdissante passe à travers les régulateurs de mon casque. Tout est sombre. Illuminé par à-coups rouges, hachés par les buzz du système de sécurité.

Et l’odeur. Malgré ma protection… une odeur insoutenable me frappe le nez. Du sang. Du sang partout. Des corps déchiquetés dans tous les sens. Putain… qu’est-ce qu’il se passe ici ?

- « AAAAAAAAAAH »

Un cri. Au loin. Merde. Je sors mon MK710 et le plaque contre mon épaule.

- « Unité 2, en formation ! Potentiel danger non identifié. Restez concentrés. »

Rul donne l’ordre, concentré, calme, tranchant. Je l’envie tellement. Mais il a raison. On est entraînés. On est équipés.

Et ici… la menace, c’est nous.

On avance en formation sérer. Mes deux collègues devant, un à droite, un à gauche et moi derrière. A chaque pas la tension augmente. Le silence est pesant, presque palpable, comme un drap de plomb qui nous écrase. A chaque pas, la chaleur du sang se colle à nos bottes, la texture molle et viscérale nous ralentissant, comme si nos pieds s’enfonçaient dans un marécage. Tout est mort.

- « Unité 2 à unité 1. Nous avons pénétré dans l’aile C suite à votre demande de renfort. En attente de votre contact. A vous »

- « BrrrrrZzzzShhhhhh »

Un bruit blanc comme seule réponse. Mais qu’est-ce qu’il foute ? L’unité 1 est censé être l’unité de commande. Pourquoi il ne réponde pas ?!

- « Je répète. Unité 2 à unité 1. Nous avons pénétré dans l’aile C suite à votre demande de renfort. En attente de votre contact. A vous. »

- « BrrrrrZzzzShhhhhh »

Même réponse. Même silence. Même inquiétude.

- « Ce n’est pas normal les gars… Nous ne sommes pas seul je le sens préparer vous. »

Même Rul, d’habitude implacable, semble avoir un léger tremblement dans la voix. C’est un signe : c’est la merde. La pression m’écrase, mais je n’ai pas le choix. Rul, l’équipe, ils comptent sur moi. Je dois tenir.

Derrière. Un bruit. Je me retourne. Deux yeux rouges au fond du couloir. J’allume ma lumière. Rien. Ce n’était que le reflet d’un gyro sur les lunettes d’un scientifique mort.

- « CONTACT À DROITE ! » hurle Rul en vidant un demi-chargeur dans le couloir.

Plus rien. Le silence.

- « Putain, Rul, qu’est-ce que tu fous ! »

- « J’ai cru voir quelque chose… Non, j’en suis sûr, j’ai vu une ombre bouger ! »

- « Et toi, tu tires sur les ombres maintenant ? Reprends-toi, bordel ! Respire. »

Rul grommelle dans sa barbe.

Pris de surpris. Je recule. Mes pieds butent contre quelque chose. Je trébuche. Mes mains plongent dans le sang poisseux pour tenter de me réceptionner. Réflexe idiot : je ferme les yeux. —Slap— Je glisse dans cette viscosité.

Je me retrouve au sol, entièrement immergé dans une marre de corps écharpés. Le sang colle ma combinaison dans un bruit de succion.

Je rouvre les yeux. Devant moi… un casque de Savedecar. La tête encore dedans. Détachée de son corps, gisant quelques mètres plus loin.

- « AAAAH ! »

- « Sellor, que se passe-t-il ?! »

Mes deux camarades viennes vers moi. Sendak m’examine de son œil avisé de secouriste. Rul, arme à l’épaule, tiens en joue l’horizon. Il nous couvre.

- « Que s’est-il passé ? Tout va bien ? » Demande Sendak inquiet.

Les mots me remontent comme un reflux âcre et pourrissent dans ma gorge avant même de naître. Sous mon casque noir mon teint est fantomatique. D’une main tremblante, je lui montre la tête.

- « Voilà l’origine du bruit blanc… On doit se replier. Vite ! »

Un hurlement inhumain. Glaçant. Juste derrière nous. Il m’aide à me relever. Un regard à droite. A gauche rien. On avance. Sendak devant. Moi au milieu. Rul derrière. Le couloir se scinde en deux. Pas le temps de réfléchir, Sendak tourne à droite. Je le suis serré.

« - AAAH »

Un cri. Une rafale de tir. Rul n’a pas eu le temps de tourner. – Splash – Son cadavre est projeté contre le mur derrière nous, disloqué comme une poupée désarticulée. Mon cerveau ne pense plus. Paralysé par l’effroi. Mon corps avance par instinct de survie. Mes sens se bloquent. Rien. Juste l’écho de mon cœur dans mes tympans.

- « Merde ! Ne t’arrête pas, petit ! Cours ! »

Sendak se retourne. TIRE. – Slash. – Un bruit tranchant. Puis un – Splash. – Comme une pierre tombant dans l’eau.

Un corps passe sur ma droite.

Son corps. Sans vie. Sans tête.

Il s’écrase devant moi.

Je l’esquive de justesse.

Merde ! Merde ! Merde !

Je ne me retourne pas.

Je cours.

Je ne peux pas mourir.

Je NE VEUX pas mourir !

Luna... je suis désolé. Tellement désolé.

Je n’aurais jamais dû partir.

Là ! Devant !

La fin de l’aile C. Encore ouverte. Verrou d’urgence prêt à claquer.

Je peux m’en sortir !

Je vais m’en sortir !

Mon pied touche l’espoir…

Au moment où une main griffue m’attrape.

Je suis tiré en arrière.

Je glisse sur le sol poisseux.

Retour en enfer.

Je percute le cadavre de mon ancien camarade.

Une douleur soudaine au ventre.

Un trou.

Une sensation de froid.

Une larme.

Puis plus rien.

Juste l’obscurité.

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