Démêlés électriques
- Oh, tu sais, en prison, on manque de place, alors on garde celles qui restent pour les assassins !
C'est ce que papa m'avait répondu en souriant, le jour où il avait reçu une lettre similaire à celle que j'ai pu lire hier. J'avais une dizaine d'années alors et les mots "contentieux", "recouvrement", "justice" m'avaient effrayée...
Et voilà qu'hier, donc, ma cousine m'envoie par MMS deux photographies des courriers qu'elle a découverts dans la boîte à lettres de ma Maman (décédée en mai) : l'une de la part d'EDF : objet : Retard de paiement - risque de contentieux ; l'autre de la part d'un organisme de "recouvrement amiable" où l'on menace de transmettre mon dossier à une "cellule judiciaire" (j'avais dû mal comprendre le mot "cellule" autrefois... cela me fait sourire)
Néanmoins, autant vous dire que je n'aime pas recevoir de telles lettres. Je n'ai jamais fait partie des mauvais payeurs, et je crois que s'il m'arrivait un jour d'être vraiment sur la paille, Je me priverais de manger plutôt que ne ne pas régler ce que je dois. Papa disait "j'aime encore mieux être le volé que le voleur" et j'adhère à cette philosophie. Lorsque je ne paie pas une facture, c'est donc que je n'ai PAS eu de facture.
Je vais donc de ce pas appeler EDF : il est neuf heures pile.
Après cinq minutes d'une petite musique bien agréable, on me demande de taper "mon" numéro de contrat : Lequel ? celui de ma maman (que j'ai clos) ou mon propre contrat tout neuf ? J'opte pour celui de ma Maman (à qui sont adressés les courriers de menace). Le robot me dit :
- Je ne comprends pas votre réponse. Veuillez recommencer.
Bon ! J'ai dû me tromper. En grossissant la facture sur mon téléphone, les numéros deviennent flous. Ce que j'ai pris pour un cinq doit être un six.
- Je ne comprends pas votre réponse. Veuillez recommencer.
Au sixième essai, je décide de taper zéro, comme si je n'avais "pas accès à ma facture".
- Veuillez formuler clairement et naturellement votre demande.
- Euh...
Je bafouille. Je ne m'attendais pas à ça, mais ça passe. Le robot a dû comprendre le mot "impayé" qui doit clignoter tout rouge dans ses yeux bioniques.
Il me suggère "naturellement" de régler mon problème sur le site internet ou l'appli EDF... Mais comme je m'obstine à rester en ligne...
-Nous cherchons un conseiller disponible pour vous répondre.
Car EDF a des conseillers ! Oui, des personnes de chair et d'os, qui parlent français et répondent à vos questions mêmes si elles n'entrent pas dans des cases ! C'est magnifique !
-Bonjour, ici Marie, que puis-je faire pour vous ?
J'explique. La facture non reçue, alors que pourtant tout avait été réglée avec une de ses collègues début juin (collègue qui m'avait jointe par téléphone elle-même et parlé avec sa vraie voix, oui, oui). Je lui dis que je n'y comprends rien.
Elle est attentive, Marie. Et elle commence par me présenter ses condoléances (j'apprécie). Elle vérifie méthodiquement, une chose après l'autre. La clôture du contrat de Maman ? C'est fait. Le nouveau contrat à mon nom ? C'est fait.
Mais voilà : la facture en question a fait l'objet d'un mail qui ne s'est pas envoyé.
- Donc, vous saviez que je n'avais pas eu cette facture ?
On est farceur chez EDF : J'entends le sourire de Marie.
- Oh, pas moi. Tout se fait en automatique, vous savez.
Je fais part à Marie de ma perplexité quant-à l'efficacité de l'automatique. Je lui demande de programmer sa machine de sorte que les factures me soient désormais apportées là où j'habite par mon diligent facteur, dans sa petite voiture jaune. Je lui demande de payer par prélèvement (au cas où mon facteur manquerait tout de même de diligence...)
Enfin, je souhaite régler de suite l'objet du litige : les huit euros dix-neuf que je dois à EDF depuis un mois ! Marie m'annonce alors qu'à cet effet, elle va me repasser "la boîte vocale" (C'est le nom qu'elle donne au robot clignotant)
- Oui, mais comment saurai-je, moi, que vous avez bien reçu mon paiement ? C'est que je ne lui fais pas confiance, au robot !
Re-sourire de Marie :
- Bon, eh bien, je vous rappelle dans cinq minutes, pour vous rassurer !
Après un dialogue rondement mené entre la boîte vocale et ma carte bleue, je raccroche... et Marie me rappelle (oui, oui, elle fait ce qu'elle a promis !) : ma facture est payée. Alléluia !
Il est dix heures douze, mais je n'irai pas en prison !
Merci, Marie !
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