L'hyperloop.

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Année 2030.
L'Hyperloop arrive presqu'au terme de son trajet. Alexis n'a ressenti aucune secousse au point de se demander si la capsule, dans laquelle il se trouve confortablement assis, s'est véritablement déplacée.
Ce train à très grande vitesse  est une sorte de bouchon fuselé, propulsé dans un tube dépressurisé. En moins dune demi-heure, il a parcouru 500 kms. Alexis a juste eu le temps de lire un chapitre de son livre : «les moyens de transports futuristes», offert par la compagnie pour l'inauguration du bolide.
Son portable émet une petite vibration. Le jeune homme n'a pas envie de répondre au téléphone tant il se sent bien avec lui-même dans cette bulle de douceur. Un SMS, deux SMS... C'est Juliette qui se fait insistante :
- Tu arrives bientôt ? Je t'ai appelé mais tu ne réponds pas comme d'habitude.
Il écrit rapidement quelques mots pour la rassurer mais se dit en lui-même :
«Pourquoi faut-il toujours qu'elle me harcèle avec ses exigences. Je lui ai dit une bonne fois pour toutes que je tenais à elle. On s'écrit trop souvent, on s'est vus, il y a trois jours, et déjà, elle est perdue. J'ai besoin d'air !»

Année 1795.
Eléonore sortit en courant vers son bien-aimé puis l'enserrant tendrement de ses bras, elle s'inquiéta de savoir si son voyage s'était bien passé, si ses affaires prospéraient comme il l'entendait. Tant de semaines l'avait éloignée de lui.
- Tu m'as manqué lui dit Julien en la serrant tout contre lui. Parfois, je hais la musique qui me tient éloigné de toi. Tu es toute ma vie, tu sais !
- Sans toi, je ne vis plus. De ma fenêtre, tous les jours, je scrute l'allée, je guette le moindre nuage de poussière, un galop qui pourrait annoncer ton arrivée murmura Eléonore en caressant doucement le menton de son mari.
Ils se dirigèrent vers l'entrée de leur demeure.
- Viens, lui dit-elle. Tu as sans doute besoin de silence et de repos.
- Le seul silence dont je rêve, c'est celui qui me parle de toi.
Elle l'embrassa tendrement et lui demanda :
- Alors, peux-tu me dire pourquoi tu as tant tardé à revenir ?
- Oh ! dit Julien. J'ai bien cru ne jamais te revoir ! La calèche a versé plusieurs fois dans le fossé. Il a tant plu ces jours derniers. Il nous a fallu beaucoup de temps pour la remettre sur ses roues. Le cocher a dû partir chercher de l'aide, à pied, souvent à plusieurs kilomètres de l'accident. Les fermiers ont bien voulu nous tirer de ce mauvais pas. Leurs chevaux de trait ont permis de désembourber les roues.

Année 2030.
Juliette attend Alexis sur le quai de la gare. Lorsque son compagnon arrive près d'elle, celui-ci effleure distraitement sa joue. Elle reçoit un reliquat de baiser, c'est-à-dire ce qu'il en reste quand celui ci, dépourvu de toute affectivité, ne signifie plus rien.
Elle n'ose répondre à cette marque de tendresse glacée. Il ne lui accorde aucune attention. Elle, désespérément, cherche dans son regard une complicité qu'elle ne trouve pas. Le visage inexpressif du jeune homme traduit une certaine langueur, celle d'une existence trop facile où il suffit de vouloir pour tout obtenir, sans effort, sans mérite. Privé de manque, il a désappris l'amour.
En sortant de la gare, il hèle un taxi qui les mènera en deux minutes à leur appartement douillet, rue des Tramways.
-Tu n'as rien à me dire ? demande-t-elle, l'air résigné, en ouvrant la portière arrière de la voiture.
Le jeune homme s'assied près du chauffeur, encore tout absorbé par le trajet inaugural de l'Hyperloop. Il sort de sa torpeur et fait part à sa compagne de ses impressions.
- C'est rapide. Presque trop, dit-il en scrutant la route. En cinq minutes, on n'a pas le temps d'apprécier les petits fours et le verre de champagne que l'on nous a offerts pour l'inauguration. Aucun frémissement, aucune micro secousse. Le confort du fauteuil, la stabilité parfaite de la capsule m'ont donné envie de dormir. En plus, il n'y a pas de vitre si ce n'est ces écrans qui diffusent des images représentant les régions que l'on traverse.

Année 1795.
Eléonore et Julien cherchaient dans la chaleur de leur retrouvailles, l'amour qui leur avait manqué. Tant de semaines sans se caresser du regard !
La jeune femme alla chercher un mouchoir qu'elle imbiba d'un peu d'eau pour essuyer la grande éraflure qui barrait le visage de son mari.
Elle le dévêtit pour le débarrasser de ses vêtements recouverts de boue et de sang coagulé.
- Comme tu es maigre, s'inquiéta-t-elle. Prends cette couverture, viens te sécher et te réchauffer près de la cheminée.

Année 2030.
D'un geste, il chasse une poussière sur la manche de son nouveau costume, bon chic bon genre. Alexis est coquet. Il aime passer du temps à choisir ses vêtements. Il lui faut la meilleure coupe, la plus belle matière, la couleur à la mode. Rien n'est trop beau pour cet homme d'affaires qui est toujours en représentation. Business oblige ! Il doit être impeccable. Et pas question de tacher le bas de son pantalon. Il ne se déplace qu'en taxi, en voiture, en train, ou en avion.

Année 1795.
- Je me sens mal, murmura-t-il dans un souffle. Puis, il s'affaissa comme un pantin désarticulé sur le tapis du salon. Il s'alita, terrassé par la fièvre.
Eléonore, le veilla, épongeant sans relâche la sueur glacée de son front avec une serviette.
Comme l'état du malade ne s'améliorait pas, elle demanda au palefrenier d'atteler son cheval afin d'aller chercher un médecin mais quand il revint après plusieurs heures, Julien avait cessé de vivre. Le praticien ne put que constater le décès avec amertume.
La jeune femme, se coucha alors sur le corps sans vie comme pour le protéger et resta, là, longtemps, dans le silence de la chambre. Elle ne se remit jamais de la mort de son amour et succomba quelques mois plus tard.

Année 2030.
Il toussote, se tourne vers Juliette et lui dit :
- J'ai dû prendre un peu froid à cause de la climatisation. 
Soudain, Juliette l'interpelle et déverse son amertume :
- Hé ! Je me moque bien de cet Hyperloop qui roule à 1200 kms/h dans un tube de cachets d'aspirine et de ta petite toux ! Tout à l'heure, quand je t'ai demandé si tu avais quelque chose à me dire, je pensais que tu me parlerais de nous, de nos projets en cours. Tu sais que j'espère une réponse à propos du prêt pour financer notre future maison. Et puis, j'attendais aussi....J'attendais que tu me dises : «Tu m'as manqué » !
Le chauffeur se fait tout petit sur son siège, l'air gêné par cet afflux de paroles intimes qui ne le concernent pas.
- Je te quitte lui dit-elle, avec l'énergie du désespoir. Je pars vivre à la campagne, auprès des vaches et des moutons. Cette vie urbaine trop facile, aseptisée, formatée, je ne l'accepte tout simplement pas. Je ne supporte plus ton air blasé, ton indifférence. Un jour, tu fusionneras avec ton fauteuil «nuage» de l'Hyperloop, avec celui de ton bureau, ergonomique, massant, de ta méridienne convertible, relax, en cuir de cerf sauvage, de ton lit à eau, relevable ! Moi, je retourne au XVIIIe siècle, dans la paille et la boue ! J'y trouverai sûrement l'amour, ce sentiment oublié qui se nourrit de manque, d'inquiétude, d'épreuves, de distance, de séparation, de retrouvailles exaltantes. Exaltantes ! Sais-tu seulement ce que veut dire ce mot ?
Elle reste un instant songeuse, les larmes au bord des yeux. Le silence est pesant.
Alexis ne dit mot. Peut-être ne l'entend-il pas ?
Bientôt, la voiture s'arrête. Juliette paie et part rapidement. Elle s'éloigne sans se retourner et se perd dans la foule.
Alexis consulte sa montre connectée et pense :
«Je dois prendre l'avion pour Lyon dans deux heures. J'ai rendez vous avec un client super important ! Certainement l'affaire de ma vie ! Et puis, ce soir, je reprendrai l'Hyperloop. je serai de retour à Paris très vite pour la dernière séance de cinéma ! Quand j'y repense, ce train, il est génial !»




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