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Je me souviens du jour où j'ai rencontré Perline Sanz pour la première fois. Ce qui m'avait alors frappé, ce n'était ni sa beauté ni sa jeunesse, mais le fait qu'elle ne possède ni l'une ni l'autre. Comprenez-moi bien : malgré sa célébrité, Perline demeurait quelqu'un de très secret qu'on ne voyait jamais en public. Tout le monde la connaissait, et personne ne savait qui elle était.

De fait, l'opportunité unique d'un entretien avec elle avait déchaîné les passions. Mes propres mains tremblaient d'excitation alors que j’engageais ma voiture au-delà d'un portail en fer forgé couvert de lierre. Je garai ma voiture dans la cour de graviers blancs. Le moteur à peine coupé, je sautais hors de l'habitacle en m'efforçant de retenir mon impatience. Mes mains ne cessaient de palper la couverture de cuir de mon carnet de notes. Personne ne se présenta. Ma hâte ne tarda pas à se changer en nervosité. J'avais la désagréable sensation de me tromper, d'avoir rêvé la lettre reçue deux jours plus tôt à mon domicile. Le cadre ne collait pas. L'allée vide ne résonnait que de silence, les éditeurs et associés de Perline Sanz ne m'accueillaient pas, de même que le majordome en queue de pie, de toute évidence inexistant. Une solution loin du tumulte qu'aurait dû engendrer un tel évènement.

Je m'étonnais donc d'être seul dans la propriété. L'annonce, publiée par Perline au travers de son éditeur, ne précisait pas le nombre d'individus choisis pour la rencontrer, mais ainsi que tout le monde, je m'étais imaginé un petit comité. Le communiqué ne mentionnait pas non plus de restrictions. Grands journalistes comme admirateurs anonymes avaient eu le droit de postuler. En rédacteur d'une revue amateur, j'avais tenté ma chance sans y croire. M'en souvenir ne fit qu'ajouter à ma confusion. Je jetais un œil au télégramme conservé précieusement dans la poche de mon gilet. L'adresse était bien la bonne. Sans cela, je serai parti en toute précipitation, terrifié à l'idée de me présenter en retard et de manquer ma chance.

Je décidai alors de lever la tête vers la demeure qui me faisait face. Je pensais trouver un ancien manoir effrité, un lieu qui aurait tant collé avec l'écrivaine mystique qu'était Perline Sanz ! La petite maison oblongue m’évoquait davantage une loge de chasseurs.

Il devait s'agir d'une plaisanterie à mon égard. Je n'avais pas gagné la moindre invitation et l'adresse était fausse. Nul doute que pendant ce temps, les véritables privilégiés devaient être en compagnie de Perline Sanz. Ma main broya le télégramme. Il n'avait plus rien d'un secret convoité. De rage, je le jetais entre les pédales de ma voiture. Moi qui me targuais sans cesse de ne pas être naïf, de ne jamais écrire le moindre article sans vérifier plusieurs fois mes sources, je m'étais jeté droit dans cette farce. Je me rassurai un peu en me disant que je n'aurai de toute façon pas pu recevoir de preuves. Si Perline s'avérait secrète, sa vie l'était davantage encore. Un mystère qui ne m'était pas destiné.

Je m'apprêtais à monter dans ma voiture quand la porte de la maison grinça.

Une dame en sortie. J'étais trop loin pour apercevoir son regard, mais sa main s'enroula avec douceur autour de la poignée ronde. Elle esquissa un pas traitant, bien que déterminé, dans ma direction.

— Je vois que vous êtes arrivé, me lança-t-elle. Approchez, venez.

Je restai pétrifiée. Cette femme... m'attendait ? M'invitait à entrer ? Mon regard dériva jusqu'au télégramme jeté plus tôt. L'incrédulité rendait ma bouche sèche.

— Vous êtes... Perline Sanz ?

L'idée de la confondre avec une employée quelconque me terrifiait.

Elle hocha la tête.

— Navrée de vous avoir fait attendre, j'étais à ma cuisine.

À sa cuisine ? L'idée que Perline Sanz puisse préparer elle-même ses repas me semblait incongrue.

Je ne bougeais toujours pas, n'osant y croire. Elle n'était pas telle que je l'avais imaginée. Ni belle, ni jeune, ni imprégnée d'une aura charismatique ou mystique. Ses longs cheveux blancs tombaient au bas de son chemisier crème. Sa jupe bariolée frôlait la poussière du seuil. Son visage rond s'affaissait au niveau des joues et du menton. Le petit sourire malicieux qui ne la quittait pas depuis notre rencontre se redressa un peu plus.

— Entrez donc, m’invita-t-elle de nouveau. Vous n'avez pas fait tout ce chemin pour rester dans ma cour ?

De fait, j'avais conduit pendant quatre heures. Comment le savait-elle ? Une question qui me sembla idiote. Son éditeur avait dû enquêter, frileux de laisser un parfait inconnu s'approcher de Perline Sanz. Mon sentiment précédent se renforça : pourquoi moi ? J'y songeais encore alors que j'entrai dans la maison.

Une odeur de lavande flottait dans l'air. Mon regard accrocha aussitôt les petits sachets de tissu qui pendaient des poutres du plafond. Je restais sans voix face à ce spectacle. C'était si... trivial. Commun. J'ignorais si cela brisait l'image que je m'étais faite de Perline ou si cela ajoutait à ma curiosité. Une femme comme elle nourrissait peut-être une ambition derrière chacun de ses gestes.

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