Prologue

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 Connaissez-vous la Mort ?

 Vous croyez la connaître, je n’en doute pas. Vous l’avez peut-être croisée, entrevue. Mais la connaître vraiment ? Comprendre ses caprices. Anticiper ses désirs. Non. Pas autant que moi.

 L’Ombre Silencieuse, voyez-vous, n’est pas une étrangère pour moi. Elle est ma tutrice, ma raison d’exister. Il y a six cents ans, j'ai intégré les rangs de ses disciples sous le nom de code DeM. Six siècles à apprendre, à servir. Je ne suis plus un novice maladroit ni un amateur enthousiate. Je suis devenu un serviteur méthodique et patient. Parmi les plus dévoués, même.

 Mon parcours suit une lente ascension. En ce moment même, j’entame la dernière décennie du troisième cycle. Encore deux, deux marches à gravir, et je pourrai prétendre rejoindre sa Brigade personnelle. Ce cercle restreint où seuls siègent les plus fidèles. Sa garde rapprochée. L’élite.

 Le chemin est long et sinueux, semé d'épreuves, mais ma confiance ne faiblit pas. Tout n’est qu’une question de temps. Et le temps, ironiquement, est une ressource dont je dispose à foison. La Mort ne récompense pas l’impatience, mais la constance. La rigueur. Chaque étape franchie est une preuve de détermination, ce dont je ne manque pas non plus.

 Pour poursuivre sur cette voie, il me faut accomplir une formalité : rédiger un rapport. Et oui, même à son service, la bureaucratie existe. C’est un rite de passage, une obligation à mon niveau. Servir sous son ombre implique aussi dire remplir des formulaires, documenter ses découvertes, et rédiger des rapports.

 Celui-ci concerne mon dernier stage. Une année passée sur un astre étranger avec pour mission d’observer des mortels dans leur habitat naturel. Comprendre leur rapport à la Mort. Étudier la manière dont ils l’affrontent ou la fuient. La façon dont ils la nient. Comment ils la déguisent. Il m’a fallu suivre une poignée d’individus, scruter chacun de leurs gestes, écouter leurs mots. J’ai épié la moindre de leurs pensées, et noté scrupuleusement leurs erreurs.

 Quand mon parrain, passé par là près d'un millénaire avant moi, m’annonça mon affectation, il en ricana franchement.

 — Estime-toi heureux de n’y rester qu’un an, DeM, m'avait-il lancé avec conscendance. La planète Ertsa est une terre monotone, terne, presque dépourvue de magie. Ses habitants craignent la Faucheuse plus que quiconque. Tu verras, ces gens-là prient des divinités grotesques pour s’inventer un courage et espérer un échappatoire impossible. Tu vas t’ennuyer à mourir.

 J’avais presque cru à une punition. Et pourtant, l’expérience se révéla bien surprenante.

 Je suis arrivé une soirée de printemps, alors que la nature s’éveillait de son long sommeil hivernal. Le soleil couchant caressait les vallons, teignant l'herbe nouvelle de reflets dorés. Les bourgeons éclataient aux branches des arbres, et les eaux d’un lac miroitaient sous le ciel clair. Cette vaste étendue d’eau se terminait en une bruyante cascade, haute de cent vingt mètres, qui se jetait dans un second bassin tout aussi large.

 Encerclée de forêts denses et de montagnes vertigineuses, la civilisation se dessinait par de petits villages aux toits de chaume, lovés contre les berges de ces deux lagons. Ce n'était pas la civilisation la plus avancée que j'avais pu voir, en effet. Sporadiquement, des cités plus vastes, plus ambitieuses, étendaient lentement leurs enceintes. Si je me fiai au pompeux compte-rendu de mon mentor, que j’avais brièvement feuilleté avant mon départ, il y avait eu du progrès depuis son passage.

 Mais ce ne furent ni les murailles ni les tours qui attirèrent mon attention. C’était un esprit. Un esprit tourmenté. Une souffrance qui appelait ma Maîtresse comme un phare appelle les navires perdus.

 Je compris alors que mon parrain s’était trompé. Oh, il s’était lourdement trompé. Ertsa n’était pas un monde sans laideur, certes, mais il n’était pas aussi stérile qu’il me l’avait décrit. Non, quelque chose y grouillait. Je le perçu avant même de le voir. Je ne savais dire d’où cela provenait, mais une effluve circulait. Une danse de lumière et de ténèbres. Un mélange paradoxal, aussi bienveillant qu'hostile, et qui ne ressemblait en rien à ce que l’on m’avait enseigné.

 Était-ce pour cela que la Mort y avait renvoyé l’un de ses partisans après un millénaire d'absence ? Peut-être avait-elle prévu, avec cette prescience qui la caractérise, que je découvrirais ce que d’autres avaient ignoré. Et que j’en reviendrai transformé à jamais.

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