Soeurs Éternelles

4 minutes de lecture

Tess sentit un léger mouvement, à peine perceptible. Cela ne la réveilla qu’un instant, puis elle se sentit doucement ensevelie dans le sol sablonneux, dans la fraîcheur de l’automne. Elle se lova dans la terre… bien plus confortable que les étagères.

Ses racines commencèrent à pousser, l’ancrant, la nourrissant, l’abreuvant. Puis, dans le délicieux froid hivernal, elle germa.

Tess bailla, « Ah, la lumière… » pensa-t-elle.

« Hey, Maud ! la salua-t-elle. Première sortie ?

— Penses-tu ! Je ne me nomme pas ainsi pour rien, répondit Maud fièrement. Mais Noor est sortie avant moi, un jour je te vaincrai, finit-elle déterminée.

— Tu sais bien que non, répondit Noor avec sagesse. Je suis trop liée à la lumière.

— Oh, voilà Benthe et Fena ! S’exclama Tess.

— Coucou les filles ! dirent-elles à l’unisson. »

Tess, Maud et Nour saluèrent leurs sœurs.

Tess se demanda quand Esmee arriverait. Elle les aimait toutes, bien sûr, mais Esmée un peu plus.

« Arrête de te tracasser, Tess, dit Maud. Elle va arriver. Tu sais bien qu’elle se fait toujours un peu attendre. Elle aime se faire désirer. Tes feuilles trépignent d’impatience. Concentre-toi plutôt sur ton cœur et sur la lumière. Prends exemple sur Noor.

— Oui, mon énergie n’est que lumière, confirma celle-ci, se délectant des rayons lumineux.

— Au moins, Esmee est plus rapide que Roos et Sanne, ajouta Benthe.

— Bonjour, mes chéries ! annonça soudain Esmee avec tendresse. »

À ces seuls mots, toutes les fleurs se tournèrent vers elle et l’accueillirent chaleureusement.

Elle n’était pas la préférée de Tess, mais elle était celle de toutes.

Elles prirent le temps d’échanger sur leurs douces nuits glaciales, si agréables, admirèrent leurs pousses, leurs feuilles.

Et enfin, Roos et Sanne sortirent.

« Je te l’avais bien dit ! lança Roos à Sanne. Encore une tulipe. Encore et toujours une tulipe.

— Une magnifique tulipe ! répondit Fena. Tu peux être reine ici, si tu le souhaites. Reine des tulipes. Pas vrai, les filles ? »

Toutes acquiescèrent, cela importait peu. Mais ces mots calmèrent Roos.

« Et moi alors ? protesta Sanne.

— Nous ne sommes pas en France, répondit Fena. Tu ne peux pas être reine ici, Sanne.

— Et puis regarde, nous sommes revenues toutes fraîches, pleines de vie. Profitons de notre existence. Admirons-nous pousser, développons nos belles couleurs. Il n’y a pas d’individualité. Nous sommes. Affirma Esmee. Et vous le savez toutes »

Oui, elles étaient toutes liées les unes aux autres, leurs racines s’effleurant, leurs ondes et leurs parfums partagés. Elles étaient Une. Faisant partie elle même, d’un grand tout encore plus puissant, dont elles sentaient la connexion constante.

« Aimons-nous, chérissons-nous. Profitons du soleil, du vent, de la pluie. Peut-être même verrons-nous un arc-en-ciel, et le simple bleu du ciel parsemé de nuages. N’est-ce-pas là, le plus beau des paysages ? poursuivit-elle.

— Jusqu’à ce qu’ils viennent nous décapiter, trancha Maud.

— Oui, mais ils prennent tant soin de nos bulbilles, répondit Benthe, pleine de vigueur. Et nous revenons toujours !

— Et la chance fait que nous sommes toujours proches, ajouta Fena.

— Sauf cette fichue année… je ne sais plus laquelle, soupira Roos, personne ne me comprenait là-bas.

— Au moins ici, tu es reine, dit Sanne, encore vexée.

— Peut-être seras-tu emportée en France, proposa Tess. Là-bas, tu y seras reine.

— Ah oui, c’est vrai ! se réjouit Sanne.

— Le problème, dit Noor posément, c’est qu’on ne sait jamais où l’on va. C’est ici, maintenant, sous ce doux soleil, que nous pouvons être.

— Cela n’empêche pas de rêver, Noor, dit Fena. Tu partiras sûrement en France, Sanne. »

« Bien ! Alors profitons ensemble de ce beau printemps. Mes très chères Reines Tulipes, nous valions plus qu’une maison du XVIIe siècle ! lança Esmee avec malice. N’oublions pas notre valeur, notre notoriété, notre beauté… aussi simple soit-elle. »

Alors, toutes se mirent à pousser tranquillement, gaiement, en profitant de chaque instant à l’air libre, communiquant les unes avec les autres, s’émerveillant devant la beauté de leurs sœurs.

« Il est temps, murmura Tess, ils arrivent.

— Je t’aurai l’an prochain, Noor, clama Maud.

— L’espoir fait vivre, répondit-elle doucement. »

Elles se dirent toutes au revoir, pleines d’amour et de douceur les unes pour les autres. Bientôt, elles pourraient se reposer, pour mieux revenir l’année prochaine.

« Ce fut un divin printemps avec vous, mes sœurs, » souffla Esmee, la décapitation approchant.

« Et nous avec toi, » répondirent-elles, d’une seule voix.

Une fois leurs fleurs parties, leur énergie se répandit dans leurs bulbilles, et le sommeil revint… jusqu’au prochain automne, où elles retrouveraient leur chère terre. Cueillies, chéries, soignées par les mains des décapiteurs.

La dernière pensée de Tess fut :

« J’espère être avec vous l’année prochaine.

— Nous aussi, » répondirent ses sœurs, en pensée, dans un dernier soupir.

Succombant à leur sommeil solaire, avant leur hibernation sous terre.

Rêvant déjà du prochain hiver.

À noter :

Tess – Diminutif de Theresa, très répandu aux Pays-Bas.

Maud – Variante médiévale de Mathilde, “force dans la bataille”.

Noor – Variante néerlandaise d’Eleanor, sobre et lumineux, signifie “lumière”.

Benthe – Moderne et frais, dérivé de Benedicta, “bénie”.

Fenna – Ancien prénom frison, signifie “paix” ou “protection”.

Esmee – Très populaire là-bas, signifie “estimée” ou “aimée”.

Roos – Signifie littéralement “rose”

Sanne – Dérivé de Susanne, signifie “lys”.

Annotations

Vous aimez lire Nerea Eïtas ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0