Chapitre 2 : La cathédrale

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In The End – Linkin Park

Quelques heures plus tard, la pluie tombait abondamment sur la ville. De gros nuages gris grondaient et tonnaient dans le ciel obscur. Un vent glacial soufflait avec force sur la vallée de la Meurthe et accentuait le froid qui régnait encore dans la région en ce début du mois d’avril. Dans le centre-ville de Nancy, sur la place Monseigneur-Rush, la cathédrale Notre-Dame-de-l‘Annonciation sonna à cinq reprises. Assise au sommet d’une de ses tours, à plus de 35 mètres de hauteur, l’adolescente observait le petit monde citadin qui s’étendait à perte de vue devant elle. Trempée jusqu’aux os, sa jambe droite pendait lâchement dans le vide, tandis que l’autre lui servait de repose coude. Ses doigts et ses orteils étaient gelés, et ses cheveux, plus courts depuis quelques mois, dépassaient de sa capuche et dégoulinaient d'eau glacée sur le haut de son sweat noir, à l’effigie d’un groupe de métal, sur son baggy, trop grand pour elle, et sur son visage fermé, pâle et inexpressif. Elle ne ressentait rien en surface. Rien. Ni la pluie glaciale qui martelait son corps frigorifié et ses joues rouges. Ni le vent du Nord sur sa peau, à travers ses vêtements, qui lui donnait mécaniquement la chair de poule. Ni les hurlements de la musique dans ses écouteurs, qui, d'ordinaire, agitait son cœur et faisait vibrer son âme. Plus rien. Excepté le vide. Le néant.

« Hey, Sam ! Je t’ai cherché partout ! Qu’est-ce que tu fais ? On t’attend ! »

L’adolescente avait passé son après-midi là, les yeux dans le vide, à contempler cette jungle urbaine grouillante comme une fourmilière à ciel ouvert. Une petite voix dans sa tête lui rappelait constamment qu’elle n’avait rien à faire ici, qu’elle n’était plus à sa place dans ce monde. Trois mois s’étaient écoulés depuis son retour et Samantha n’arrivait toujours pas à se résoudre à renoncer à son ancienne vie. La vie sur Terre lui paraissait tellement fade, insipide, sans intérêt en comparaison de ce qu’elle avait vécu sur Héra. Là-bas, elle avait appris à se battre, à voler et à utiliser la magie. Elle avait rejoint une troupe de voleurs-comédiens, participé à l’enlèvement d’une princesse, et traversé un pays en guerre pour secourir la patrie d’une "amie". Elle avait rencontré de nombreux peuples insolites comme les mages noirs, les génomes et les hommes souris de Bloumécia. Ou encore, les batraciens humanoïdes des marais des Kwee et les nains de Condéa. Elle avait affronté plusieurs monstres ; des bêtes féroces, des êtres sordides, des insectes géants, des morts-vivants, et même des dragons. Elle avait découvert des lieux magnifiques comme Le Château d’Alexandrie et son obélisque central en forme d’épée, la cité perdue de Branval depuis l’Ile de Lumière, et l’arbre géant de Clayra, caché depuis des siècles dans l’œil d’une tempête de sable. Et elle avait assisté à la puissance dévastatrice des Chimères, des créatures féériques aux pouvoirs magiques qui dépassent l'entendement.

« C’est quoi, cette tête ? Ça va pas ?

— Si si, t'inquiète..., marmonna-t-elle, le regard fuyant. J'avais juste besoin d'être un peu seule pour réfléchir. Vas-y ! Je te retrouve en bas !

— Tu réfléchis, toi, maintenant ? Aïe !! râla-t-il en prenant un coup de pied dans la jambe. Bah quoi, c'est vrai ! T'es plutôt du genre à foncer tête baissée d'habitude !

— J'ai peur Djidane..., soupira-t-elle d’un air sombre. Il s'est passé tellement de choses depuis qu'on a enlevé Dagga. Le crash de l'aérothéâtre dans la Forêt Maudite, Franck, les soldats morts dans la caverne de Guismar et toutes les victimes innocentes de Clayra... »

Elle avait marqué un temps d’arrêt pour contenir ses larmes. Le voleur s’était assis près d’elle, sans dire un mot.

« Aujourd’hui, Clayra a été entièrement rayé de la carte et Lindblum a été bombardé ! J’ai peur, Djidane. J’ai peur de ce qui pourrait encore se produire, que l’un d’entre nous soit blessé, et de… de ne pas être assez forte pour vous protéger, toi et les autres…

— T'as oublié un détail important dans tout ça ! C'est pas une question de force physique ou de magie puissante ! C'est pas non plus une question de taille, de muscles ou d'armement, c'est la foi que t'as dans le cœur qui compte !

— De quoi ? rugit-elle de surprise, en se tournant vers lui. Comment tu peux dire ça ? Comment tu peux encore avoir la foi avec tous les morts qu'on a vus dans les rues de Bloumécia ? Branet a détruit notre ville, notre maison ! À cause d'elle, Freyja, Beate et Steiner sont sûrement prisonniers dans les oubliettes du Château d’Alexandrie, à l’heure actuelle. Et pour couronner le tout, elle a failli faire exécuter sa propre fille… Qui pourrait être assez tordu pour faire ça ?

— C'est Kuja, le vrai coupable ! C'est lui qui manipule la reine depuis le début. C'est lui, le responsable ! »

Son regard gris se perdit une fois de plus dans la rue, cherchant un nouveau moyen de distraire sa vue pour essayer de penser à autre chose. Les gens couraient, cachés sous leur parapluie multicolore le long de la voie du tram. Certains s’agglutinaient comme des animaux en cage sous les abris-bus et d’autres avaient choisi de flâner dans les magasins en attendant la fin de l’averse. Un homme, en costume noir et au téléphone, captiva son attention. Il avait l’allure d’un commercial avec ses petites lunettes rondes, pleines de buées, son perfecto sombre et sa mallette de présentation coincée entre son poignet et la poche de son pantalon. Il était tellement pris par sa conversation qu’il ne vit pas la vieille dame qui marchait à sa rencontre, en trainant son cabas de courses. La collision fut brutale. Le choc renversa le caddie, les courses, et sa propriétaire qui bascula en arrière et s’écroula de tout son long sur le trottoir. L’homme jura en se tournant vers elle, énervé, agacé par sa maladresse et son manque d’attention. Il n’eut même pas la décence de l’aider à se relever et traversa la route sans regarder, en ronchonnant dans son cellulaire. Une voiture arriva au même moment en klaxonnant et freina de justesse pour l’éviter.

« Eh ! Reviens ici ! Ça se fait pas de traiter les gens comme ça ! Je vais t’apprendre les bonnes manières ! On va voir si tu fais toujours le malin quand tu te mesures à quelqu’un de ta taille ! »

L’adolescente poussa un long soupir. Ce monde la dégoutait. Plusieurs passants avaient assisté à la scène, mais aucun n’avait réagi. Personne ne bougea son cul pour aller aider cette pauvre vieille dame à ramasser ses commissions, sous cette pluie battante. Les gens détournaient le regard, gênés, espérant se fondre dans la masse pour faire oublier leur présence. Il fut un temps où elle avait été comme eux. Chaque seconde qui s’écoulait sur l’horloge, sous ses pieds, était bien plus précieuse pour le commun des mortelles qu’un simple geste d’altruisme. Les gens étaient bien trop pressés, trop égoïstes. Ils s’inventaient constamment des excuses pour fuir leurs responsabilités et mentaient sans vergogne pour cacher la vérité. Ils étaient faux, perfides et sans-cœur. L’Homme était pourri de l’intérieur, tout comme cette ville. L’humanité lui paraissait aussi terne et froide que ses rues bétonnées, que la brume qui s’élevait au-dessus du canal et que ses immenses gratte-ciels où se mélangent baies vitrées et ciment, qui brillaient dans l’obscurité et osaient défier les nuages sombres.

« Mais moi, j'ai foi en toi ! Je sais que t'es capable de déplacer des montagnes pour protéger tes amis. Et qu'il ne pourra rien nous arriver, tant qu'on reste tous ensemble, pas vrai ? »

L’adolescente détourna les yeux sur cette pensée. Il n’y avait pas que ce monde qui la dégoutait. En fin de compte, elle ne valait pas mieux que les autres. Elle n’avait rien fait pour changer les choses. Elle avait observé la scène, sans bouger, du haut de son piédestal. Il y a encore trois mois de cela, elle n’aurait jamais toléré ça. Elle aurait bondi de son perchoir pour faire avaler ses dents à ce sale type malpoli et prétentieux. Elle lui aurait flanquer la raclée de sa vie, devant tous ses couards, comme celle qu’elle avait infligée à Martin et ses deux petits copains, le jour de sa rentrée, ou à cette fille de terminal qui avait joué la belle à la cantine. Mais, sur Terre, elle n’en avait pas le droit. L’adolescente risquait un aller simple en maison de correction pour une autre agression volontaire en pleine rue, ou un autre séjour à l’asile de fous, si elle évoquait un peu trop son passé sur Héra.

« On va arrêter ce type avant qu'il ne fasse plus de dégâts. Et je te promets qu'à la fin, on sera tous réunis pour fêter ça ! »

Samantha sortit son téléphone de sa poche pour regarder l’heure. Au même moment, la cathédrale sonna le sixième coup qui la fit enfin se décider à redescendre. Quelques minutes lui suffisaient amplement pour escalader la façade et une bonne demi-heure pour rejoindre la banlieue, à l’ouest, là où résidait sa famille. Sa disparition avait laissé des séquelles parmi ses proches. Ses amis d’enfance ne lui parlaient plus, seulement deux d’entre eux étaient venus lui rendre visite à l’hôpital. Sa sœur cadette, qui avait plus d’une dizaine d’années aujourd’hui, avait dû apprendre à vivre dans l’ombre de son ainée fugueuse et irresponsable. Elle n’entretenait que de l’animosité à son égard et l’ignorait pour lui faire payer cet abandon. Sa mère était devenue oppressante, paranoïaque et possessive. Elle surprotégeait ses deux filles au point d’en devenir intrusive et étouffante. Quant à son père… il n’avait pas changé. L’adolescente de dix-sept ans devait de nouveau se plier à des règles : rentrer à heures fixes, rendre des comptes sur ses moindres déplacements, alors qu’il y a encore trois mois, elle était libre. Elle battait la campagne avec ses compagnons pour sauver le monde.

« Au fait, Sam ! Je voulais te remercier pour tout à l’heure. Tu m’as sauvé, tes paroles m’ont fait réfléchir. T’avais entièrement raison en ce qui concerne ma véritable famille. C'est Héra, ma maison ! C'est pas parce que je suis né sur Terra que je dois forcément obéir à Garland.

— Quelqu'un a dit un jour, que quel que soit notre passé, nos angoisses et nos espoirs... tout ce qu'on peut faire, c'est choisir de faire ou de ne pas quelque chose.

— Hey ! Tu m'espionnes maintenant ? C'est vrai que j'ai dit ça à Bibi, à Madahine Salee. Je voulais seulement qu'il arrête de se prendre la tête. Il avait fait ce qui lui semblait juste pour lui et ses amis, il n’aurait pas dû s’en vouloir autant. Mais ça, c’était avant que je sache que Kuja est mon frère… et que, moi aussi, j’ai été créé de toutes pièces, comme les mages noirs… »

Djidane fit une pause et baissa la tête, l’air sombre.

« Je me rendais pas compte à quel point la vérité peut être difficile à avaler... J'ai été trop dur avec lui, avec vous tous d'ailleurs. Je m’en veux sincèrement de vous avoir laissé tomber… Je me rendais pas compte que, sans vous, je ne suis rien de plus qu’une arme… une expérience ratée… En fin de compte, si mon frère ne m’avait pas abandonné sur Héra quand j’étais petit, j’aurais fini par détruire cette planète et tous les êtres qui me sont cher. Je serais devenu un monstre…

— Arrête de te torturer ! T’es pas un monstre ! T’es la personne la plus altruiste que je connaisse. T'as fait le bon choix en arrêtant Garland. Même si ce type était réellement ton père, il n'a pas à t'imposer ce que tu dois faire de ta vie. T'as toujours ton libre arbitre, c'est à toi de décider ce que tu veux pour toi.

— Et toi, Sam ? Tu te souviens de ton père ? Il était comment avec toi ?

— Euh… Je… je sais pas…, bégaya-t-elle en fuyant son regard. Je ne me souviens toujours pas de ce qui s’est passé avant mon réveil dans la forêt. C’est le trou noir… »

Son cœur tressaillit, manqua un battement en repensant à ce mensonge. Samantha se mit debout en ramassant son sac, réajusta sa capuche et ses écouteurs, puis monta le son et glissa son téléphone dans la poche de son baggy, avant de s’élancer dans les airs. Elle plongea dans le vide avec la vélocité d’un limier fonçant sur sa cible. Une balustrade ajourée arrêta sa course une dizaine de mètres plus bas. Suspendue dans le vide, à la seule force de sa main libre, l’autre tenant la lanière de son sac, la voleuse se balança vers le sommet de la nef, surmontée en son centre par une coupole. De là-haut, elle se laissa glisser le long d’une colonne ornée de motifs corinthiens, et ainsi de suite, jusqu’à atteindre le balconnet au-dessus de l’imposante double porte en bois clair et de sa fresque illustrant deux gargouilles. Elle avait peut-être perdu tous ses pouvoirs, mais elle n’avait rien oublié de son entrainement auprès des Tantalas. Elle sauta une dernière fois par-dessus la rambarde, à plus de quinze mètres de hauteur, et atterrit avec souplesse sur le parvis de Notre-Dame, dans une flasque d’eau qui l’éclaboussa de la tête aux pieds.

Une petite fille poussa un cri de stupeur en la voyant tomber du ciel.

« Wouah ! Regarde, maman ! Tu crois que c’est un ange ? »

Sa remarque fit sourire l’adolescente sous sa capuche. Il fut un temps où elle aurait ri de sa réplique. Elle lui aurait répondu qu’elle était loin d’en être un, qu’elle avait été comme elle, autrefois. Et qu’il suffisait de croire en ses rêves pour qu’ils se réalisent. Seulement, elle n’y croyait plus. Elle avait assez menti, assez triché, et suffisamment défié le destin pour savoir qu’il était immuable.

« Ne t'en fais pas, je suis certain que tu retrouveras la mémoire. On finira bien par trouver quelque chose sur ton passé et ta famille… et, un jour, toi aussi tu pourras rentrer chez toi, j’en suis sûr ! »

Sur ce souvenir au goût amer, l’adolescente se releva, sans dire un mot, puis tourna le dos à la petite fille. Elle fit mine de ne pas entendre sa voix criarde avec ses écouteurs et dévala les marches de la place Monseigneur Rush pour aller se perdre dans la foule. Elle marcha à travers une nuée de parapluies multicolores et de longs manteaux sombres et imperméables qui lui faisaient front, nonchalante, les mains dans les poches de son sweat, le visage masqué par sa capuche. La musique toujours plus forte pour lui faire oublier la petite voix dans sa tête. Elle quitta le centre-ville en remontant la grande rue. Les passants flânaient encore devant les divers magasins avant leur fermeture imminente. Elle traversa les rails du tram pour rejoindre le pont et passer au-dessus de la gare souterraine. Poursuivant son chemin sans faire attention à ce qui l'entourait, elle longea le viaduc qui surplombait la voie ferrée jusqu’à une petite placette, encerclée d’habitations aux façades peintes et décorées de feuilles et de fleurs. Elle bifurqua sur sa droite dans une petite ruelle exiguë. Désormais à l’abri des regards, Samantha grimpa sur un échafaudage laissé à l’abandon et monta sur le toit de l’immeuble. En haut, elle leva les yeux vers le ciel, qui devenait de plus en plus sombre. Le soleil apparaissait comme une autre nuance de gris à l’ouest. Son cœur gronda à l’unisson avec le chant du tonnerre, les cris du chanteur et les coups de doubles pédales que faisait la batterie dans ses écouteurs. Un soupir se fit plus assourdissant que le bruit dans ses oreilles. Un autre souvenir lui revint.

« Da… Dag… ga… »

Une sensation d’étouffement envahit soudain sa poitrine. Elle devint plus forte que la musique, plus forte que sa culpabilité et ses mensonges, plus forte que le vide lui-même. Ce n’était pas la première fois qu’elle ressentait ça. Ça avait commencé peu de temps après son retour sur Terre et le phénomène semblait s’intensifier de jour en jour. C’était quelque chose qu’elle ne s’expliquait pas. Un sentiment fort, puissant. Un instinct qui prenait parfois le dessus sur sa pensée quand elle se laissait aller à la colère, à ses idées noires. Cet instinct l’avait poussé à blesser une infirmière, à tirer sur un vigile et à cogner sans retenue sur des adolescents innocents pour passer ses nerfs. Il l’avait poussé à sombrer dans l’alcool, le cannabis et la cigarette pour oublier, s’oublier. Elle sentait cette chose grandir en elle, prendre de plus en plus de place dans son corps, dans sa tête, comme s’il grossissait en attendant le bon moment pour se libérer de ses chaînes. Ce n’était plus qu’une question de temps. Elle le sentait. Il ne lui restait plus qu’un pas à franchir pour passer de l’autre côté du miroir. Que se passerait-il dans ce cas ? Qu’arriverait-il si elle perdait le contrôle, si elle lâchait prise et qu’elle laissait s’exprimer sa colère ?

« Où est-ce que tu étais passée ? tonitrua son père en la voyant rentrer au milieu de la nuit par la fenêtre de sa chambre. Tu as vu l'heure ? Je croyais qu'on était d'accord pour arrêter ce genre de sorties nocturnes, Sam ! Ma patience commence sérieusement à atteindre ses limites avec toi !

— C'est bon ! J'étais juste sur le toit pour prendre l'air, souffla-t-elle d’arrogance en déposant ses affaires. J'en peux plus de rester enfermée, j'étouffe, ici !

— Ne me provoque pas, Sam ! J'en ai assez de tes conneries, ça a assez duré ! s’emballa-t-il en empoignant son bras pour la tourner vers lui. Tu ne te rends même pas compte de tout le mal que tu fais autour de toi, ma pauvre fille ! Ta mère ne dort plus, ta sœur est complètement flippée à l'idée que tu disparaisses à nouveau. Et moi, j'en ai marre de me demander continuellement si tu vas rentrer ou pas, cette fois ! »

L’adolescente avait tint le silence, luttant intérieurement contre sa peur. Et quelque chose de plus violent.

« Si tu veux continuer à vivre ici, tu vas devoir te plier à MES règles ! Sinon, tu prends tes affaires, et tu t'en vas ! » rugit-il en relâchant son emprise sur son poignet, la basculant sur sa chaise de bureau.

Il n’attendait pas de réponse.

« Ne me tente pas ! » grogna-t-elle en retenant ses larmes, une fois qu’il eut claqué la porte de sa chambre derrière lui.

En fin de compte, elle n’en avait pas le courage. Même après presque deux ans sur une autre planète, elle était restée pétrifiée comme une petite fille. Elle n’avait pas eu l’audace de l’affronter, de l’envoyer chier et de lui mettre son poing dans la gueule, comme il l’avait déjà fait à deux reprises. Elle se mordit les lèvres, dégoutée, blessée, et reprit son chemin par les toits afin de gagner du temps. Chaque jour, elle attendait un miracle qui ne venait pas, priait pour une cause perdue. Chaque soir, dans son lit, elle attendait que la magie revienne pour que le sortilège se déclenche à nouveau pendant son sommeil et qu’il l’enveloppe de sa vive lumière blanche, comme la première fois qu’elle avait quitté cette terre. Chaque nuit, elle rêvait qu’elle était loin d’ici, où qu’il puisse être. Elle rêvait de sa chaleur, de l’étreinte de son bras quand il se tournait en ronflant vers elle. Elle rêvait de son souffle chaud dans son cou, de ses grognements endormis qu’il marmonnait parfois à son oreille. De ses soupirs malhabiles qu’il accompagnait parfois de tendres caresses.

« Sam ? Où… où est-ce… qu’on est ? C’est… des larmes ? »

Et chaque matin, son souvenir s’effaçait. Elle se réveillait avec la boule au ventre et les larmes aux yeux, en maudissait les dieux pour le merveilleux cadeau qu’ils lui avaient offert. En fin de compte, elle ne faisait qu’attendre que le vide la submerge, que le destin lui accorde une seconde chance, ou que les dieux aient, une fois de plus, pitié d’elle.

« Merci, Sam… Merci d’être venue me chercher… et d’être restée avec moi, pendant tout ce temps...

— C’est parce que tu me l’as demandé… Je serai là, pour toi, jusqu'à la fin des temps... »

L’adolescente n’était plus qu’à trois rues de son domicile quand elle rejoignit la terre ferme. Plusieurs voisins s’étaient plaints à la gendarmerie du coin de bruits de pas sur le toit, à toute heure de la journée ou de la nuit. Celui qui vivait en face de chez elle avait même failli la surprendre, il y a quelques jours de cela. Elle n’avait plus reproduit l’expérience depuis. Plus elle se rapprochait de son domicile, plus elle sentait la pression monter en repensant à son père. Elle jeta un bref coup d’œil à son téléphone pour voir l’heure et en profita pour changer de musique. Elle parcourut sa playlist et s’engouffra dans une petite ruelle sombre, partiellement éclairée par des lanternes en fer, sans quitter l’écran des yeux. Elle ne vit pas le coup venir par-derrière. Quelque chose de dur la frappa dans le dos. Elle tomba à genoux, le souffle coupé, sans lâcher l’appareil dans sa main.

« Alors, la "revenante" ! On t’a manqué ? »

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