Chapitre 10

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Après leur retour de l'escapade à la Réserve, ils se laissèrent emporter par l'appel irrésistible de leurs corps. Cela dépassait le simple instinct animal, car empreint d'une profonde connexion émotionnelle et spirituelle. Bien plus qu'un besoin physique, c'était une irrépressible attraction de deux esprits qui trouvaient en s'unissant une plénitude pleine d'affection et de complicité.

Loïc avait envisagé que la substance que les scientifiques appelaient l'ocytocine, puisse potentiellement jouer un rôle dans ces phénomènes. Mais était-ce réellement le cas ? Il n'avait pas une multitude d'expériences à son actif, bien qu'il ait déjà partagé cela avec ses ex, mais sans jamais atteindre ce résultat. Était-il possible qu'il se soit trompé tout au long de ces années et que, avec Maxine, il ne découvre que maintenant ce qu'il aurait dû vivre avec les autres ? Si c’était le cas, il revenait à sa première hypothèse : Maxine n'était pas comme les autres. C'était là la seule et unique explication.

La lune était pleine, cette nuit-là et Loïc n’avait pas intégralement fermé le volet. C’était Maxine qui lui avait demandé ça. Elle n’aimait pas être dans le noir complet, cela lui faisait peur. De plus, elle préférait se faire réveiller par la lumière du jour. C’était toujours plus agréable que l’horrible buzzer d’un radio-réveil.

La lueur de la lune jouait sur les courbes exposées du corps de sa compagne. Elle qui était photographe, était complétement inconsciente de la merveilleuse esthétique qui se dégageait d’elle. D’aucuns auraient trouvé qu’elle n’avait pas assez de seins, pas assez de hanches, qu’elle était encore trop frêle pour qu’on désigne son corps comme celui d’une femme. Mais tous se trompaient car avec Maxine, son corps répondait en écho inversé à tout ce qu’elle était et la manière dont elle l’exprimait. Oui, elle bousculait les normes, oui, elle faisait passer son plaisir avant tout, quitte à en perdre un peu en chemin. Mais cet égoïsme forcené n’avait qu’un seul objectif : prendre tout ce que vous aviez à lui donner. Ainsi, vous ne pouviez pas être frustré d’un refus, d’un sourire simulé.

Qu’est-ce que cela pouvait donner à l’avenir ? Y avait-il quelque chose à craindre ? Qui pouvait le dire ? Qui pouvait lire dans le marc de café pour prétendre que la voie qu’elle traçait n’était pas la bonne ? Chaque jour de cette semaine fut rempli de ces moments où ils s’abandonnèrent sans retenue à leurs envies de fusion. Matin, midi et soir, ils remettaient le couvert, chaque fois un peu plus haut, un peu plus loin. Au risque de se faire griller. Le reste du monde pouvait s’effondrer, ils n’en avaient que faire.

Le vendredi soir, Maxine semblait trépigner d’impatience en attendant que Loïc sorte du travail.

« Oh toi, tu m’as encore l’air branchée sur du dix mille volts ! Qu’est-ce qui t’arrive ? »

Maxine fit signe d’attendre avant d’exploser :

« Ce soir, on va en soirée ! Et tu vas rencontrer mes meilleurs amis !

— Hum, je croyais les avoir déjà rencontrés en première semaine, j’ai faux ? Ou alors je n’ai rien compris ?

— Non, tu n’as pas tort… Mais ceux-là sont aussi mes meilleurs amis. Ou juste un peu moins. Sauf Sarah !

— Et qui est Sarah ?

— Ma meilleure amie depuis la primaire mais tu dois la connaître, elle est comme moi, serveuse. Une petite brune. Les clients ont parfois un peu de mal avec elle. Elle est un peu pète-sec.

— Je crois que je vois qui c’est. Mais une petite question. Si c’est ta meilleure amie, pourquoi arrive-t-elle en troisième semaine ?

— Je crois qu’on s’est un peu fâchées dernièrement.

— À quel sujet ? »

Maxine ne répondit pas tout de suite et Loïc crut même un instant que son interrogation allait rester dans le vide. Mais Maxine finit par avouer :

« Toi ? »

Loïc hésita à poser la question subsidiaire mais il se retint. Jusqu’à maintenant, Maxine avait toujours répondu aux questions sans détour. De son point de vue à lui, elle avait été un livre ouvert. Elle vivait quasiment en continu chez lui. Quand elle sortait, c’était encore avec lui. Il n’y avait que lorsqu’elle allait à son boulot qu’elle disparaissait quelques heures. Cela et aussi quand elle allait voir Oust, son chat, chez sa mère. Alors ne pouvait-elle pas avoir une petite zone d’intimité véritable ?

« Ne me dis pas qu’elle avait des vues sur moi, elle aussi… »

Maxine pouffa.

« T’es con. Pas du tout. Non, non. Sûrement pas.

— Je vais finir par me vexer. Serais-tu en train de dire que ta meilleure amie est trop bien pour moi ?

— Non ! C’est plus simple que ça. Tu n’es juste pas son type. Et tu serais trop cérébral pour elle.

— Deux options : soit ça veut dire qu’elle adore les gens bêtes comme leurs pieds, soit au contraire, c’est juste qu’elle me voie comme une crevette. Ce qui n’est pas faux mais un peu vexant.

— Bon, quand tu auras fini de raconter des bêtises, pourras-tu ramener tes fesses ? »

Loïc hocha la tête. La soirée promettait d’être intéressante. Il aurait certes préféré une version plus intimiste, mais il fallait bien que jeunesse se fasse, comme disait l’expression, et il n’avait pas envie d’être un obstacle aux désirs de Maxine. Il avait déjà l’impression d’être constamment une sorte de passager clandestin qui avait trouvé refuge dans la soute à bagages de sa compagne, il refusait l’idée d’être un boulet accroché à sa cheville pour l’empêcher de marcher.

Et puis c’était toujours intéressant d’aller à la rencontre de nouvelles personnes. Cela élargissait son réseau d’amis, un peu plus hors des frontières de son boulot, auxquelles il s’était limité jusqu’à maintenant.

*

La soirée avait lieu dans un pub très connu, qui avait été à moitié privatisé. A priori, de ce qu’avait compris Loïc, c’était en l’honneur d’un couple qui avait décidé de signer un pacte civil de solidarité et avait eu envie de le faire savoir à l’ensemble de la communauté. Car on pouvait appeler cela ainsi : la petite communauté du monde des bars et restaurants. Un petit ensemble de personnes assez hétéroclites, car pouvaient débarquer là-dedans, des gens de tout horizon, pourvu qu’ils aient eu à un moment de leur vie l’occasion de travailler dans le secteur, que ce soit pour des raisons de vocation ou, plus basiquement des raisons alimentaires.

Lorsqu’ils arrivèrent sur les lieux, l’endroit était déjà bondé. Le personnel du bar s’était bien évertué à mettre en place une délimitation entre la salle où devait se dérouler la soirée privée et là où devaient rester le reste de la clientèle habituelle, le résultat n’était pas très probant. Les gens ne se connaissant pas vraiment passaient d’une salle à l’autre sans vraiment comprendre la raison du pourquoi, des deux salles, deux ambiances.

Au sein de tout ce joli bordel, Maxine qui semblait y être habituée, guida Loïc au travers des petits groupes d’amis qui s’étaient formés, petit à petit, depuis le début de la soirée. Et, c’est en arrivant à la hauteur de la fille que Loïc reconnut comme la fameuse collègue et meilleure amie supposée, que Maxine fit rapidement les présentations, avant de s’excuser de les laisser deux minutes en plan, pour aller saluer un autre groupe.

« Sarah. » fit la fille brune qui faisait face à Loïc.

Elle tendit la main et Loïc la lui serra pour accompagner cette étrange entrée en matière. D’ordinaire, la bise était de règle, mais il n’allait pas se formaliser pour si peu.

« Tu es le fameux Loïc ? fit la fameuse Sarah.

— Fameux, je ne suis pas certain, mais je confirme, je m’appelle bien Loïc. Je pourrais avoir des détails pour que tu m’expliques pourquoi tu m’appelles ainsi ?

— C’est une longue histoire, commença-t-elle à répondre en jetant un œil dans la direction de Maxine. Disons que Max t’a fait faire le tour du propriétaire et que presque tout le monde est au courant que tu lui as mis le grappin dessus. Et pas que le grappin, si j’ai bien saisi.

— Désolé mais je ne suis pas certain de tout saisir, de mon côté. Pourquoi tu dis presque tout le monde, et j’aime bien quand les choses sont claires, et là, j’ai l’impression que tu ne m’aimes pas beaucoup et j’ignore pourquoi. »

Sarah se pinça les lèvres. Elle continuait à jeter des coups d’œil en boucle vers Maxine comme si elle avait envie que celle-ci vienne les rejoindre.

« Et merde. Tout ce que je peux te dire, c’est Ouvre les yeux ! Je ne peux rien te dire de plus à toi.

— Ok. » fit Loïc qui ne comprenait toujours pas pourquoi la fille paraissait passablement énervée.

Elle s’apprêtait à s’éloigner quand la voix de Maxine perça le bruit ambiant.

« Sarah ! Tu t’en vas déjà ? T’es sérieuse, là ? On vient juste d’arriver. »

Loïc observa Sarah qui avait l’air d’un animal pris au piège. Il crut qu’elle allait s’en aller comme une furie ou se mettre à répondre à Maxine avec des tonnes de miel dans la voix. Mais au lieu de ça, Sarah ne se démonta pas :

« Tu me demandes si je suis sérieuse ? Je crois rêver. Que tu veuilles t’amuser : très bien. Que tu aies rencontré un mec qui te fait kifer, avec qui tu t’envoies en l’air : très bien. Mais t’as pas oublié un petit détail dans l’affaire ? Je ne sais ce que tu as foutu depuis deux semaines, mais toute la ville est au courant que tu files le plus bel amour avec monsieur rigolo. Mais à un moment donné, il va falloir atterrir ma vieille. Et t’embête pas à essayer de me convaincre que tu fais pour le mieux, je suis déjà au courant. Alors… Tu vois, je t’embrasse, je te souhaite tout ce que tu veux et on se reverra après que tout ceci sera passé. »

Sur ces mots, Sarah disparut dans la foule qui remplissait le pub. Loïc était un peu interloqué et regardait sa petite amie avec insistance. Maxine, elle, semblait perdue dans ses pensées et ne pas comprendre la question muette de Loïc.

« C’était censé être ta meilleure amie ?

— Elle l’est.

— Ce n’était pas flagrant alors. Sinon tu peux m’expliquer ce qu’elle voulait dire ?

— Oui. Mais pas ici. Je voulais m’amuser mais maintenant, c’est un peu raté. Et puis, elle a un peu raison. Alors viens, on rentre. Je te dirai les choses une fois là-bas.

*

Maxine ne prononça pas un mot sur le chemin du retour, et Loïc n’osa pas non plus de son côté briser ce mur du silence. Elle se gara sur la place de parking habituelle et sortit de la voiture. Loïc en fit de même. Depuis le début de leur relation, ils n’avaient jamais été confrontés à de pareils moments. Là, la gêne était palpable et d’ici quelques minutes, une sorte de douche froide se préparait. À quoi fallait-il s’attendre ?

Bien entendu, dès qu’ils s’étaient éclipsés de la fête, Loïc avait repassé les événements dans sa tête, et tenté de repérer les petites anomalies qu’il avait pu rater. Sarah lui avait dit d’ouvrir les yeux. Cela voulait donc dire qu’il y avait un fait qu’il n’avait pas vu ou que son cerveau pris dans l’euphorie de la relation avait totalement négligé. Et petit à petit, une hypothèse germa dans sa tête. Pourquoi Maxine avait-elle tant investi son univers et son appartement en particulier ? Pourquoi n’étaient-ils jamais allés chez elle ? Pourquoi, chaque fois que Max lui avait présenté ses amis, ceux-ci avaient toujours eu cette expression gênée. Loïc l’avait interprété comme de la gêne vis-à-vis de l’exubérance de Maxine, lorsque celle-ci affichait leur relation, toujours de manière enthousiaste et parfois en apportant moults détails qui auraient gagné à ne pas être révélés. Alors une hypothèse commença à se former dans sa tête.

Maxine était-elle vraiment célibataire ? Serait-elle déjà mariée ou fiancée ? Était-il devenu un amant involontairement ? Loïc stoppa le fil de ses pensées et s’arrêta. Maxine qui avait semblé vouloir monter à l’appartement, s’arrêta aussi et se retourna pour lui faire face.

« Alors ? fit-il. C’est quoi la chose que je devrais savoir ou que j’aurais dû savoir ? »

Maxine regarda le ciel avec un regard craintif comme si la colère divine risquait de s’abattre sur elle à chaque instant. Elle regarda ensuite Loïc dans le blanc des yeux et elle comprit.

« En fait, tu le sais déjà, non ? Tu l’avais remarqué, c’est ça ? Tu attendais de voir quand est-ce que j’allais me foirer ? J’ai déjà un mec, oui. Mais ce n’est pas ce que tu crois. Lui et moi, c’est fini depuis plusieurs mois. C’est juste que lui ne le sait pas. Mais quoi ? Il devrait le savoir, l’avoir deviné, non ? Cela fait plus de six mois qu’on n’a rien fait ensemble. Alors cela devrait être évident, non ? »

Maxine parlait avec les larmes aux yeux, et Loïc n’arrivait pas à se sentir trahi.

« Je le connais depuis longtemps. On est ensemble depuis le lycée mais voilà. Cela ne fonctionne plus. Mais je n’en sais rien. Je n’ai jamais eu à rompre. En fait, c’est pire que ça, je ne sais pas comment on fait ça. C’était mon premier amour. Je n’ai pas envie de le briser. Je n’ai pas envie de te perdre non plus. C’est pour ça que Sarah m’engueule en ce moment. Elle veut que je fasse quelque chose, que je me choisisse un camp. Et c’est elle qui a sûrement raison. Alors toi, tu vas faire quoi ? »

Loïc continua de fixer Maxine. Et moi, je vais faire quoi ? se répéta-t-il dans sa tête pour être sûr d’avoir compris la question. Mais la vérité, c’était qu’il s’attendait à tout, sauf qu’on lui demande à lui, de choisir. Quel choix avait-il ? S’il comprenait entre les lignes, Maxine lui demandait officiellement s’il voulait continuer à être son amant ou pas ? À quel moment cela était-il devenu une option possible ? Mais la vérité était pire. C’était qu’il avait déjà accepté la situation. Il était comme un alcoolique en train de constater sa propre dépendance.

Maxine n’osait plus respirer, attentive au moindre mouvement qu’elle aurait pu discerner sur le visage de Loïc. Ce dernier voyait bien qu’elle ne mentait pas, et même si la situation était à mille lieues de lui convenir, il n'arrivait pas à en éprouver de la colère. Au contraire, la frayeur qu’il lisait au fond des yeux de Maxine le lui interdisait. C’était dans ces moments-là, où tout semblait la désigner comme la seule et unique coupable, quand l’adversité est poussée à son extrême, qu’il fallait savoir lui tendre la main, la prendre dans ses bras pour lui dire que tout irait bien. Ce raisonnement pouvait paraître complètement absurde dans l’absolu mais la réalité était toute autre. Qu’avait-il à gagner à la planter là, sur ce parking pour sauvegarder une dérisoire fierté ? Ce qu’il avait à perdre en revanche, se compterait en jours, en mois et peut-être en années, le temps de reconstruire tout ce qui allait tomber en ruines s’il décidait de la jeter.

Alors non. Plus il y réfléchissait, plus il le réalisait. Qu’en fait, c’était comme Maxine l’avait dit : depuis le début, il le savait, depuis le début, il avait vu tous les indices. Mais il les avait ignorés. Il n’avait fait qu’attendre ce moment où toutes les planètes seraient alignées. Il fallait qu’elle sache que même dans la faute, il ne l’abandonnerait jamais.

Il prit alors son inspiration.

« Je ne vais pas te dire que je suis heureux de la situation. Mais quelque part, tu l’as dit, je le savais déjà un peu. Cependant quand on a un bout de bonheur dans la main, on n’a pas vraiment envie de le balancer. Non, je ne suis pas heureux, là, maintenant. Qu’en était-il, il n’y a même pas deux heures ? Et ce matin ? Et hier soir ? Et tous les jours, depuis trois semaines ? Et toi ? »

Maxine avait toujours les larmes aux yeux et elle secouait lentement la tête sans trop savoir à quoi elle disait oui ou non.

« Viens par-là, fit Loïc en lui tendant la main. Je ne sais pas encore si j’aurais tort ou raison, mais je veux que personne ne me dise à l’avenir que je n’ai pas été heureux parce que j’ai refusé d’essayer. »

Maxine avança d’un premier pas et leurs doigts se touchèrent par leurs extrémités.

« Je ne veux pas non plus que tu me dises la même chose. Alors viens-là. » dit-il en attrapant la main de Maxine pour l’attirer tout entière à lui.

« Tu prendras le temps qu’il faudra pour faire ce qu’il faut. Je ne suis pas ignorant, j’ai moi-aussi eu un premier amour, à aimer puis à briser et je sais que ce n’est pas simple. Alors on va continuer à avancer comme ça. Et on verra. »

Loïc avait pris le visage de Maxine entre ses mains pour chasser avec ses deux index, les larmes de ses yeux. Il l’embrassa et Maxine resta une bonne minute complètement hébétée. Elle avait du mal à comprendre.

« C’est fini, tu comprends ? Je t’aime. » fit Loïc.

Sur ces mots, Maxine éclata en sanglots et se jeta dans ses bras.

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