Chapitre 17

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« Aujourd'hui, c'est moi qui établis le programme, décréta Maxine entre deux bouchées de son petit déjeuner.

— Et tu as déjà une idée ?

— Non, mais si tu me laisses ton ordi dix minutes, je suis sûre que je vais trouver ! »

Loïc trouva l'option plutôt intéressante, d'autant plus qu’il n'y avait pas réfléchi lui-même. Maxine était plutôt efficace lorsqu'elle jouait à domicile et il était curieux de voir comment elle allait se débrouiller en territoire inconnu.

Maxine s’assit au bureau posé à côté du lit et brancha l’ordinateur portable. Elle se connecta sous son compte avec le mot de passe que Loïc lui avait donné la veille. Elle lança le navigateur internet.

« Tu sais ce que tu cherches ? »

Maxine hocha la tête sans dire un mot. Elle essayait de trouver son bonheur au travers d'images de lieux. A priori, elle semblait cibler des coins pourvus d’une végétation fournie ou des espaces forestiers.

« Si tu cherches la forêt de Brocéliande, je ne crois pas que ce soit dans le coin, fit Loïc pour plaisanter.

— Je sais bien, figure-toi. Mais ce n'est pas ça. Je veux juste un endroit où l'on puisse être tranquille, qu'on puisse se faire un pique-nique tous les deux sans être sur le passage des randonneurs. »

Loïc ne s'attendait pas à cela de la part de Maxine. Comme elle était généralement très démonstrative, public ou pas, il ne l'imaginait pas chercher en premier lieu un endroit très intimiste.

« J’aime bien l’idée du pique-nique. Tu veux qu’on prépare les choses à manger nous-mêmes, ou bien que nous commandions des sandwiches et tout le reste à la réception ? »

Maxine se retourna un instant pour le regarder directement.

« T’es vraiment fainéant à ce point-là ? fit-elle en souriant. Non, vu l’heure, nous avons largement le temps d’aller au marché et à la boulangerie, nous-mêmes. J’ai vu qu’à cette période, il y a un marché quasiment tous les jours vers le port. On va y aller. C’est bien toi qui aimes ça, les marchés, en principe ? »

Loïc pouvait difficilement le nier. Maxine continuait de le surprendre. C’était la première fois qu’il percevait dans une de ses initiatives, une préoccupation quant à ce que lui pouvait apprécier ou non. Maxine ne semblait pas câblée ainsi sur les plans d’origine. Il ne pouvait pas nier que l’intention le touchait énormément.

*

Maxine choisit un endroit qui répondait au nom de Forêt des Troènes. C’était assez bizarre car comme le précisait la page internet qui présentait le lieu, il n’y avait pas de troène dans cette forêt et d’autre part, si tant est que ce fusse le cas, il n’était pas certain que le terme « forêt » puisse s’appliquer. Mais finalement, cela importait peu, puisqu’il était beau et correspondait parfaitement au désir de Maxine.

Celle-ci n’était pas équipée pour faire de la grande randonnée, mais elle avait tout de même emmené une sorte de sarouel coupé sport et des petites baskets. Avec un sweat à capuche un peu trop grand, elle avait un style qui tranchait assez avec celui qu’elle adoptait en général. Contrairement à l’habitude, elle décida de ne pas attacher ses cheveux, les laissant apparaître dans tout leur volume et leur longueur.

« J’ai l’impression d’être complètement démodé à côté de toi, fit Loïc alors qu’ils reprenaient la voiture de retour du marché. Le regard des gens était très explicite.

— Ce n’est pas une impression, fit Maxine en pouffant. Faudra qu’un de ces quatre, je m’occupe de tout ça.

— C’est moi dans la globalité que tu désignes, là !

— Rooh, t’inquiète, Je garderai quelques pièces d’origine qu’il ne faut surtout pas changer… Mais pour le reste de l’emballage… »

Ils se mirent à rire lorsque leurs yeux se croisèrent : ils s’étaient bien compris.

*

La forêt des Troènes n’était pas la forêt de Brocéliande, mais lorsque le couple entra dans le sous-bois, il y trouva tout de même une certaine atmosphère digne d’un lieu mythique rempli d'histoires et de légendes. Ils marchèrent une petite demi-heure et pour pique-niquer, ils choisirent un coin de verdure isolé où les arbres centenaires et les sous-bois fournis offraient une lumière à la fois paisible et mystérieuse.

Les bruits de la nature environnante emplissaient leurs oreilles : le chant des oiseaux, le bruissement des feuilles et le craquement des branches sous leurs pieds. Maxine installa une nappe de pique-nique rouge vif qui contrastait avec le vert émeraude de l'herbe, tandis que Loïc déposa les sandwichs frais et la délicieuse salade de fruits qu’ils s’étaient dégoté au marché.

« Je ne sais pas si c’est bon mais cela m’en a tout l’air ! Je commence, fit Loïc.

— Vas-y, moi, j’arrive. Je dois aller arroser les marguerites. »

Loïc hocha la tête avec un sourire amusé. C’était la première fois qu’il entendait cette expression et il la trouvait jolie. Il commença à manger le sandwich car la marche lui avait ouvert l’appétit. Il ferma les yeux. C’était vraiment une très bonne idée qu’avait eue Maxine. L’endroit était retiré, ils n’avaient croisé aucun promeneur. Loïc n’était ni misanthrope, ni agoraphobe mais il appréciait parfois le fait d’être loin de tout, un peu comme si une parenthèse dans le temps s’ouvrait.

Soudain il entendit un hurlement. Il se leva d’un bond et chercha dans quelle direction aller.

« Max ! »

Où était-elle ? Loïc avança et tendit l’oreille. Il entendit les pleurs et se mit à courir sur une trentaine de mètres. Il aperçut enfin Maxine, le sarouel et la culotte baissés sur ses chevilles, sa main tenant fermement la malléole de son pied gauche. Son visage était terrifié. Loïc se précipita vers elle.

« Qu’est-ce qu’il s’est passé ? »

Il l’a pris dans ses bras et elle fondit en larmes. Il essaya de la calmer pour mieux comprendre ce qu’elle disait. Elle venait de se faire mordre par une vipère.

« Surtout, ne bouge pas. J’appelle les secours. »

Loïc attrapa le téléphone portable qu’il avait glissé dans sa poche arrière et appela le quinze. Une minute s’écoula avant qu’il soit mis en relation avec une personne. Pendant ce temps-là, il continua d’essayer de calmer du mieux qu’il pouvait Maxine. Il la manipula avec délicatesse afin de lui remettre en partie ses vêtements de manière décente.

Il expliqua aux secours ce qu’il venait de se passer et tenta de décrire le plus exactement possible le serpent en interrogeant Maxine, en continuant de la rassurer. Le médecin confirma en moins de quarante secondes qu’il s’agissait bien d’une vipère.

« J’ai mal, ça me brûle, fit Maxine.

— Oui, je sais. Mais surtout calme-toi. Oui… Le monsieur me demande ce que tu prends comme traitement. »

Mais Maxine ne répondit pas. Elle fondit en larmes une seconde fois.

« Attendez. Je crois que je sais. Laissez-moi me souvenir. »

Loïc ferma les yeux et se repassa les images de la veille quand il avait fait tomber la vanity. Il lut le nom du médicament mentalement et le répéta au médecin du quinze. À ce moment-là, il n’entendit plus la voix à l’autre bout du fil pendant une trentaine de secondes.

« Vous êtes là ?

— Je suis là, fit le médecin en activant de nouveau son microphone. Votre petite-amie est à proximité ?

— Bah bien sûr !

— Excusez-moi, ce n’est pas ça que je voulais dire. Peut-elle nous entendre ?

— Je peux mettre le haut-parleur si nécessaire.

— Non, non. Surtout pas.

— Vous jouez à quoi ?! »

Loïc sentit encore une hésitation de la part du médecin.

« Je ne sais pas pourquoi vous tournez autour du pot, mais allez-y, bon dieu.

— Votre compagne est sous lithium.

— Et alors ?

— Vous savez pourquoi ?

— Mais en quoi ça a une importance ?

— Elle est bipolaire ? »

Loïc ne put s’empêcher une seconde de surprise qui n’en fut pas une, en réalité. Ce fut plutôt une seconde où toutes les pièces du puzzle Maxine s’assemblèrent pour devenir cohérentes entre elles. Il aurait voulu un peu plus de temps pour poser une réflexion plus profonde sur cette révélation, mais ce n’était sûrement pas le moment pour ça. Alors il continua :

« Peut-être. Attendez, je vais lui demander.

— Non !

— Purée, écoutez, je ne sais pas à quoi vous jouez mais arrêtez. Dites-moi ce que je dois faire, ou lui faire faire et envoyez surtout les secours ! »

Le médecin lui expliqua rapidement la situation et les complications potentielles liées à la prise de lithium couplée à la morsure.

« Surtout, faites en sorte qu’elle reste calme et rappelez si vous constatez quoique ce soit en évolution. On a vos coordonnées. Ils devraient être là d’ici vingt minutes. »

Loïc raccrocha. Il était passablement énervé mais il devait absolument ne rien laisser paraître.

« J’ai mal, continuait à dire Maxine en boucle.

— Je sais, Max, mais regarde-moi, fit Loïc en prenant le visage de sa compagne entre ses mains. J’aimerais que tu te concentres sur ma voix. »

Et il commença à lui raconter la première histoire qui lui passa par la tête. L’essentiel était d’occuper l’attention de Maxine. Elle était à ce moment-là comme une petite fille. Si personne n’était là pour canaliser les flots de ses émotions, c’était comme une inondation. Le niveau montait, débordant les digues lorsqu’elles existaient, s’infiltrant dans le moindre recoin. Ce n’était pas un mal en soit. Simplement le monde intérieur de Maxine et le monde extérieur n’étaient pas conçus pour encaisser ces intempéries.

Face à cela, Loïc n’avait pas d’habileté particulière. En revanche, depuis qu’il l’avait rencontrée, il avait bien remarqué que par moments, Maxine buvait littéralement les paroles qui sortaient de sa bouche. Comment et pourquoi, il n’en avait aucune idée. Mais là n’était pas la question : c’était le seul atout qu’il avait. Alors il l’utilisa.

C’était sûrement douloureux et anxiogène pour Maxine. Les yeux dans les yeux, Loïc le lisait sans effort au fond de ses pupilles mais, en restant en contact physique, il voyait bien que cela l’apaisait. Mais bientôt, il s’aperçut que cet apaisement n’avait rien de rassurant et avant même qu’il ne s’en rende compte, Maxine commença à se tenir comme une chique molle. Il vit son regard devenir flou et Maxine perdit connaissance.

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