Chapitre 31

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Quand vint le dimanche, la veille de la reprise, l’humeur de Maxine vira à une tristesse qu’elle n’attendait pas. Elle avait tant imaginé détester la période qui venait de s’écouler, qu’elle se retrouva au dépourvu quand elle se rendit compte qu’au final, cette attention focalisée sur elle, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, allait lui manquer. C’était incompréhensible pour elle car elle ne saisissait pas comment tout en étant à ce point entravée, enfermée dans la bulle de l’appartement de Loïc, elle pouvait avoir envie d’y rester.

Elle avait bien une idée du mot à mettre dessus pour expliquer ces choses si improbables. Mais elle l’avait tellement usé en y croyant à chaque fois, que dans sa bouche, elle avait la sensation qu’il était devenu fade. Elle regarda Loïc qui s’était mis sur la table du salon et s’essayait à reproduire au crayon de papier, une photo qu’elle avait prise lors de leur week-end à la mer. Elle ne trouvait pas que c’était la plus jolie mais a priori, Loïc avait jeté son dévolu dessus. Alors elle attendait de voir comment il allait la rendre sur la feuille à dessin.

Elle regarda ses bras et ses avant-bras. Elle n’avait plus de bandages au-dessus du coude et l’on voyait donc franchement les cicatrices qui sillonnaient sa peau de part et d’autre. Elle ignorait comment elle allait pouvoir les cacher en attendant qu’elles disparaissent. Le médecin le lui avait promis sans lui dire exactement quand cela deviendrait une réalité. C’était toujours comme ça avec les médecins. Ils savaient facilement vous dire quand vous étiez malades mais pour ce qu’il en était de vous soigner, c’était une autre histoire.

Parce que des médecins, elle en avait rencontré de nombreux depuis qu’elle était petite. Et pas celui qu’on consulte quand on a un rhume. Non, celui qu’on va voir quand les autres ne comprennent pas, ni quand vous êtes heureuse, ni quand vous êtes triste. Celui qui vous dit que quoi que vous fassiez, quoi que vous preniez comme médicament, cette incompréhension restera toujours là.

En fait, c’est celui qui vous dit que vous êtes malade alors que vous, vous le savez que vous ne l’êtes pas. C’est une maladie invisible. Invisible pour vous mais pas les autres. Et avec les autres ça ne se passe jamais bien. Il n’y avait qu’avec Loïc qu’il ne s’était rien passé. Même quand elle avait sauté ses prises de cachets parce qu’ils la rendaient malade ou juste parce qu’avec eux, tout devenait terne, gris, sans saveur. Loïc ne s’en était jamais plaint, bien au contraire. Était-ce lui, le bon ?

Maxine alla s’asseoir aux côtés de Loïc, posa sa tête sur son épaule et le força gentiment à l’entourer de son bras gauche. Il continua de dessiner tout en l’embrassant sur le dessus de sa tête en mettant sa bouche dans ses cheveux. Rien ne semblait le perturber, il continuait à dessiner. Elle ne savait pas trop ce dont elle avait envie. Cette proximité, cette tendresse ordinaire, elle aimait parce que ça lui semblait fou d’être bien sans un truc qui la fasse vibrer. Et en même temps, elle sentait que ce petit plus lui faisait défaut et qu’elle allait continuer à se frotter comme ça contre lui, jusqu’à ce qu’il n’en puisse plus, jusqu’à provoquer ce truc, ce moment où elle deviendrait l’objet central de son attention.

Elle descendit sa main et l’introduit sous son tee-shirt. Elle savait qu’elle avait le bout des doigts froids et que cela allait le faire frissonner. Cela ne prit qu’une dizaine de secondes et elle vit la chair de poule se former sur l’avant-bras de Loïc. Au bout d’une minute, il se redressa et plutôt que l’éloigner de lui, sa main gauche vint lui passer par-dessous ses fesses et il la fit s’asseoir entre ses genoux. Elle ne comprit pas en quoi cette position était meilleure que l’ancienne car clairement pour elle, c’était assez inconfortable. Le seul intérêt qu’elle y voyait, était qu’elle pouvait en se tortillant sentir l’état de son entrejambe mais pour l’instant, ce n’était pas l’indicateur qui l’intéressait. Elle réfléchit et puis elle finit par demander :

« Dis, tu pourrais m’apprendre ?

— T’apprendre quoi ? fit Loïc qui était à mille lieues d’avoir anticipé ce qu’il pouvait se passer dans la petite tête de sa compagne.

— À dessiner.

— Pourquoi pas. Il te faut une feuille et un crayon. Mais je crois que ce serait mieux qu’on s’allonge par terre ou sur le lit dans la chambre. Ou… Mieux, je vais ramener le plaid du dessus de l’armoire. Au moins, nous n’aurons pas froid et le sol pour soutenir la feuille, c’est toujours mieux et plus rigide qu’un matelas. »

En moins de temps qu’elle n’ait pu imaginer, Loïc la souleva et la posa sur le canapé, le temps de ramener, ce qu’il fallait au milieu du salon. Il disposa les feuilles, lui mis un crayon entre les mains et tout en s’allongeant, l’invita à venir à ses côtés. Comme il avait bien noté que depuis le début elle voulait se réfugier entre ses bras, une fois qu’elle fut allongée sur le flanc, il se mit derrière tout contre elle.

« Tu veux dessiner quoi ? »

Maxine n’avait rien imaginé vu qu’elle s’était contenté d’improviser.

« Un Winnie ? »

Loïc mit quelques secondes avant de comprendre ce dont elle parlait.

« L’ourson ?

— Bah oui, fit Maxine comme si c’était une évidence.

— Ok. Mais... dit Loïc en réfléchissant. Ta peluche que tu prends pour dormir, c’est un Winnie, il me semble.

— Oui.

— Bah, on va le prendre pour modèle alors »

Et ainsi Loïc apprit à Maxine les rudiments du dessin durant tout le reste de la soirée, jusqu’aux environs d’une heure du matin.

*

Lorsqu’elle émergea le lendemain matin, le soleil était levé et Loïc venait de revenir de la salle de bain pour terminer de s’habiller. Maxine n’avait jamais compris exactement pourquoi il n’emmenait que ses sous-vêtements à la salle de bain. Pour elle, il eut été plus logique d’emmener tout ou bien comme c’était son cas à elle, strictement rien. En vrai, le « rien », elle ne le faisait vraiment que chez Loïc, car d’une part, il faisait suffisamment chaud pour ça mais surtout parce qu’elle aimait l’idée que Loïc la regarde se balader ainsi dans l’appartement. Il était au dernier étage sous les toits, sans risque de vis-à-vis. Certes cela lui avait joué des tours lorsque ses parents étaient venus le voir, mais ces éléments étaient-ils suffisants pour la dissuader de réitérer ? Non.

« On fait comment ce soir ? demanda Loïc. Tu rentres direct après quinze heures ou bien tu vas flâner en ville et on rentre ensemble quand je sors du boulot ? Rassure-moi, ils ne t’ont pas mis midi et soir pour ta reprise ? »

Pourquoi parlait-il si vite du matin ? Pourtant il savait bien que Maxine était incapable de répondre à ce genre de question à cette heure-là. Loïc disparut de la chambre. Sûrement était-il parti du côté du salon. Il revint une minute plus tard.

« Bon, ce qu’on va faire, c’est que tu m’envoies un message, d’accord ? »

Il s’approcha d’elle pour l’embrasser, elle, mit sa peluche devant sa tête.

« Toujours aussi gracieuse du matin, fit Loïc en l’embrassant sur le front et plongeant sa main sous les draps pour une attaque éclair à la croisée de son entrejambe.

— Mmm. Pas juste, fit-elle en ratant l’interception de cette main pour la maintenir là où elle aurait dû.

— Je suis en retard mais tu ne perds rien pour attendre. Je vais m’occuper de ton cas, ce soir ! »

Maxine sortit la tête des draps pour lui faire la grimace puis replongea sous la couverture. Elle entendit Loïc fermer la porte sans la verrouiller. Il faisait toujours cela, car la seule fois où il avait fermé, Maxine s’était retrouvée prisonnière car elle avait égaré les clés de l’appartement. Égaré avait été un bien grand mot car la vérité était plutôt qu’elle n’avait pas su chercher au fond de son propre sac.

Maxine ressortit la tête du drap et s’étira de tout son long. Elle aurait pu rester comme ça à entretenir la flémingite dont elle était affublée tous les matins, mais une envie d’uriner soudaine l’obligea à se lever. Elle courut jusqu’aux toilettes. Était-ce d’avoir été arrêtée ces deux dernières semaines ? Toujours était-il qu’elle se sentait fatiguée avant même d’avoir commencé. Ça promettait.

*

Lorsqu’elle arriva vers onze heures au restaurant, tous ses collègues vinrent la voir les uns après les autres, certains par simple politesse, d’autres par curiosité. Sarah l’avait prévenue : sa mésaventure avait fait le tour de l’équipe et au-delà. Il fallait dire que l’incident était atypique. Mais ce qui surprit le plus Maxine dans tout cela, ce furent les personnes qui vinrent lui raconter toute la difficulté qu’ils rencontrèrent à servir les gens avec le peu des verres qu’il restait le soir même.

« Vaut mieux entendre ça qu’être sourde, ma grande, fit Sarah. En revanche, qu’est-ce que vous avez encore fait ce week-end avec Loïc ? T’as l’air moins en forme que la semaine dernière.

— Pour être honnête, j’ai l’impression que c’est depuis hier soir. Je suis peut-être devenue allergique au travail ! »

*

Il n’empêche que le service fut harassant. La plupart des clients, en demandant de ses nouvelles ou bien en remarquant qu’elle portait des longs gants de dentelle pour masquer ses cicatrices et ses derniers bandages, lui firent raconter sans cesse la même histoire. Cela partait certes d’une gentille attention mais au bout de la dixième fois, cela devenait un chouille exaspérant.

Maxine fut heureuse lorsque arrivèrent les abords de quinze heures.

« On fait un tour après, histoire de faire les boutiques et acheter des fringues ? » demanda Sarah en passant au niveau du comptoir où Maxine attendait en fixant la pendule impatiemment.

Elle regarda Sarah d’un œil étrange.

« Je ne crois pas. Je me sens un peu barbouillée. Je crois que je vais rentrer directement.

— D’accord, fit son amie un peu déçue. C’est ta reprise, cela ira mieux demain.

— Sûrement. »

Mais même en répondant cela, Maxine n’était pas convaincue. Elle se sentait patraque avec une sorte de nœud au ventre qui ne l’avait quasiment pas quitté de toute la journée. Elle pianota sur son téléphone pour dire à Loïc qu’elle rentrait à la maison directement. Il se fendit d’un « pas de souci, repose-toi bien pour être en forme ce soir » qui la fit sourire. Elle leva les yeux sur la pendule, la grande aiguille était enfin sur le zéro et la petite sur le trois.

« Je file, passez une bonne soirée ! »

*

Lorsque Loïc rentra du travail, Maxine était au lit l’ordinateur portable sur les genoux.

« Cela ne va pas ? » lui demanda-t-il.

Maxine hésita légèrement avant de lui répondre. Elle avait envie qu’il tienne sa promesse pour ce soir, bien que cette lancinante sensation de malaise la fît douter.

« Cela ira mieux, ce soir ? » répondit-elle sous la forme interrogative.

Si elle devait se défiler au moment de se coucher, c’était sûrement la meilleure réponse. Et en effet, il s’avéra évident que sa précaution avait été une bonne initiative. Elle avait regardé sur Internet et il y avait des gens comme elle sur le forum qu’elle fréquentait souvent qui disaient que cela pouvait être un effet secondaire de ses médicaments. Elle ne prit donc pas son cachet ce soir-là, et se dit qu’ainsi, demain, les couleurs reviendraient sûrement.

*

En vérité, de toute la semaine, à aucun moment, cette mauvaise sensation ne la quitta. Cela alla même jusqu’à lui donner de bonnes nausées. Elle tenta de faire l’amour avec Loïc le quatrième soir en se disant que ça finirait bien par conjurer le sort. Mais son compagnon dormit sur la béquille. En fait, ce ne fut pas exactement vrai car elle l’aida de ses mains, histoire qu’il ne soit pas trop déçu.

« Prends rendez-vous avec ton médecin, lui recommanda Loïc. Tu as peut-être choppé un virus ou un truc dans le genre. Enfin, c’est leur boulot de trouver ce que tu as !

— T’as raison, répondit-elle car n’arrivant pas à trouver un moyen de se défaire de ce mal-être, elle voulait croire que son compagnon ait raison une fois encore. Je vais prendre rendez-vous. »

Elle passa donc un coup de fil, le lendemain juste après que Loïc fut parti au boulot, mais ne put décrocher un rendez-vous que pour le samedi matin.

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