Chapitre 36

7 minutes de lecture

« Crois-tu que demain sera la bonne ? demanda Sarah en avalant un morceau de pizza.

— Je ne sais pas.

— Et si on ne trouve rien, on fait quoi ?

— Je n’en sais rien et je préfère ne pas y penser.

— T’esquives toujours la difficulté comme ça ? fit Sarah.

— Que veux-tu dire ?

— Je veux dire que tu attends d’être au bord du gouffre pour savoir comment tu vas essayer de sauter par-dessus ? »

Loïc réfléchit. C’est vrai qu’il n’aimait pas anticiper. Il l’avait dit dès le début à Maxine : il ne savait pas se projeter dans l’avenir. Il devait y avoir un lien sûrement.

« C’est possible. Comme ça, on est sûr qu’on doit le franchir le gouffre et qu’il n’y a rien entre-temps qui est venu le combler. »

Ce fut au tour de Sarah de méditer sur la réponse. Elle aurait eu envie de le contredire, de lui dire que ce n’était pas comme cela qu’il fallait procéder. Mais elle n’avait aucun exemple qui lui venait en tête. Alors elle se contenta de dire :

« Je ne suis pas certaine que ce soit toujours la meilleure stratégie. Finalement, tu ne décides de rien en faisant ainsi.

— C’est faux. Tu décides toujours et mais tu t’enlèves l’illusion que tu aurais une quelconque emprise sur le déroulé des choses. Toi, tu dis que Maxine fait les choses pour se conformer à ce qu’on lui dit. Moi, je maintiens que c’est parce qu’on lui dit des choses que Maxine a le choix de les faire ou pas. La nuance est subtile mais au final, tu l’as dit toi-même, c’est juste une histoire de changer de lunettes. Cela n’influe pas le fil des événements. La perception ne change rien à la réalité. Maxine le sait, elle vit avec cela tous les jours. C’est juste qu’on lui dit que sa perception est la mauvaise. Toi tu sembles aimer la confrontation, et moi, ce n’est pas le cas. Qui a raison ? Ce soir, on est tous les deux comme deux cons à essayer de retrouver la même personne pour les mêmes raisons. Notre manière de voir ne nous a pas protégés de quoi que ce soit. »

Loïc se tut. Au départ, ce n’était pas son intention de tuer l’ambiance mais il venait de le faire. Il se mordit les lèvres.

« Désolé, Sarah. Je ne voulais pas… Bref. De toute manière, on trouvera bien quelque chose à faire si tout ça ne marche pas. On n’aura pas le choix. »

Sarah secoua la tête.

« L’important c’est plutôt d’entendre que tu ne baisseras pas les bras. Le reste comme tu dis, n’est qu’une histoire de point de vue et d’interprétation des choses. »

Il y eut un silence. Et brusquement, un coup de tonnerre retentit. Sarah sursauta.

« Ouais, ils ont prévu des orages cette nuit à la météo, fit Loïc. Cela risque de gronder quelques fois comme ça. Y a juste à croiser les doigts que cela s’arrête avant la fin de la nuit. Sinon on va avoir du mal à se reposer. »

Sarah regarda l’heure. Il était temps d’aller se coucher. N'ayant plus faim, elle posa la fin de la part de sa pizza dans la boîte et alla dans la salle de bain.

*

Quand elle sortit de la salle d’eau, Loïc avait déjà tout débarrassé et s’était mis au lit. L’appartement étant sous les toits, la pluie d’orage résonnait énormément au travers des murs et surtout sur les vitres des velux. Sarah n’était pas rassurée avec tout ce vacarme. Elle se glissa sous les draps et au bout de cinq minutes, timidement elle se retourna vers Loïc qui l’observait depuis le début.

« Cela te dérange si ? »

Loïc secoua la tête. Toute penaude et un peu honteuse, Sarah vint se caler contre Loïc et lui l’entoura de son bras.

« C’est juste à cause de l’orage, hein ! murmura-t-elle dans un sursaut de fierté.

— J’avais bien compris. » répondit Loïc dans un sourire amusé et ils s’endormirent ainsi alors que l’averse semblait redoubler d’intensité.

*

Aux environs de vingt-trois heures, peut-être que, sans cette foutue averse d’orage, ils auraient pu entendre le verrou de l’entrée être manœuvré et la porte s’ouvrir. Peut-être se seraient-ils rendu compte qu’une main malhabile et surtout glissante à cause de son humidité, ouvrait silencieusement la porte de la chambre. Peut-être auraient-ils pu faire quelque chose avant que l’ombre qui s’introduisit dans la pièce sur la pointe des pieds, ne les découvre endormis, l’un contre l’autre, sous la lumière d’une lune blafarde accompagnée du flash des éclairs qui grondaient dehors. Peut-être auraient-ils pu voir la douleur incommensurable s’inscrire sur le visage de Maxine dont les yeux s’emplirent de larmes devant ce spectacle qu’elle ne comprenait pas. Elle était là, dans l’encadrement de la porte, au pied du lit, trempée et grelottante, vêtue d’une simple chemise de nuit quasiment transparente à cause de la pluie. Des gouttes ruisselaient partout sur sa peau et s’écrasaient par terre quasiment sans un bruit. Dans sa main gauche, elle tenait le bras de sa peluche au pelage orangé et dans la droite, le jeu de clés de l’appartement. Elle ne respirait plus, les sanglots semblaient bloqués dans le fond de sa gorge. Elle était là. Là où elle croyait s’être bâti un univers, le sien. Elle était là, seule, tellement seule.

Ce fut Loïc qui se réveilla soudainement et paniqua lorsqu’il vit cette ombre au pied du lit. Il ouvrit la lumière en réveillant en sursaut Sarah qui dormait la tête posée sur sa poitrine.

« Max ? » firent Loïc et Sarah sans comprendre à un quelconque instant la situation.

Maxine découvrant le visage de Sarah fit volte-face et repartit en courant dans le couloir et fila dans l’escalier.

« Putain ! » fit Loïc qui venait en partie de comprendre qu’il s’agissait bien de Maxine qui venait de s’enfuir.

Il sauta hors du lit, attrapa un tee-shirt et se précipita pieds nus à sa poursuite. Il descendit les escaliers quatre à quatre et se retrouva au pied de la résidence à regarder à droite et à gauche pour savoir par où elle était partie. Il commença à courir pour rejoindre la grande route mais il dut ralentir car il s’écorchait les pieds avec le gravier. Elle ne pouvait pas s’être envolée une seconde fois.

Il retourna sur ses pas. Il y eut un éclair de lumière aveuglant et un coup de tonnerre assourdissant. Il n’y voyait presque plus rien. Il vit juste la silhouette de Sarah vêtue de son sweat et de son jogging, pieds nus aussi, qui lui faisait de grands signes. Il ne comprit ce qu’il se passait que quand il entendit un moteur vrombir dans le vide à cause d’une vitesse mal enclenchée et vit sa propre voiture passer à toute vitesse à côté de lui en manquant le renverser.

« Elle a pris les clés de ta bagnole ! répéta pour la dixième fois Sarah, complètement essoufflée

— Putain, j’aurais dû m’en douter. Mais c’est quoi ce bordel ! »

Loïc se remit à trotter vers l’escalier de la résidence malgré les écorchures sous ses pieds.

« Que fait-on ? demanda Sarah.

— Toi, je ne sais pas mais moi, je remonte chercher les clés de ta bagnole pour partir à sa poursuite.

— Tu sais où elle est allée ?

— Je ne sais pas d’où elle venait mais ce qui est sûr, c’est qu’elle n’est pas venue ici par hasard. Elle voulait quelque chose. Et là, elle est trempée, à moitié à poil avec une peluche pour tout bagage. Je vois que deux solutions. Soit elle est partie se terrer chez elle, soit elle est retournée dans les pénates de Maman. »

Sur ses mots, Loïc remonta les quatre étages. Il enfila un pull, son jean et ses baskets. Il fila dans le salon pour fouiller dans le sac de Sarah.

« Je te prends tes clés. Tu fais quoi ? fit-il à Sarah qui venait de remonter.

— Je viens.

— Alors mets-toi un truc sur le cul et fais vite ! » fit Loïc un peu brusquement.

Mais Sarah ne releva pas. Elle n’était pas sûre de ne pas s’être fait la même remarque dans sa tête pour se secouer un peu. Une minute plus tard, ils redescendaient les escaliers et prenaient la voiture pour filer droit en direction de l’appartement de Maxine.

*

Ils n’atteignirent jamais l’appartement de Maxine. Au bout d’un kilomètre, ils aperçurent le gyrophare d’une voiture de police arrêtée sur le bas-côté avec les feux de détresse enclenchés. En contrebas, complètement renversé sur le flanc, Loïc reconnut sa voiture. Il blêmit.

« Arrête-toi ! » ordonna-t-il à Sarah.

Sarah aurait voulu avoir la force de l’engueuler pour lui dire qu’il n’avait pas à lui parler comme ça, mais sur l’instant, la vision du véhicule accidenté l’avait paralysée et rendue aphone. Elle pila et tous deux sortirent de la voiture.

« Putain, Maxine ! fit Loïc en dévalant le bas-côté.

— Restez où vous êtes, monsieur, fit le flic en l’aveuglant avec la lumière de sa lampe-torche. N’approchez pas. Vous êtes qui ?

— Le propriétaire du véhicule, répondit-il pour éviter de s’exprimer sur la relation qu’il pouvait avoir avec la conductrice.

— Alors, justement. Surtout n’avancez plus, si vous n’obtempérez pas, je serai dans l'obligation de faire usage de la force.

— Loïc, écoute ce qu’il te dit, fit Sarah. Il faut qu’il voie comment va Maxine. Alors ne déconne pas. »

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 13 versions.

Vous aimez lire Eric Laugier ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0