Chapitre 37

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Loïc bouillait. À voir le flic avancer comme une tortue pour s’approcher de la carrosserie de sa voiture, il crut qu’il allait craquer et se jeter sur le mec pour lui mettre des coups de savate. L’homme ouvrit enfin la portière qu’il dut bloquer avec son corps puisque l’inclinaison ne permettait pas qu’elle tienne toute seule. Le flic alluma sa radio.

« Oui, c’est une gamine, rousse, pas grosse, dans les vingt ou vingt-cinq ans

— Vingt-trois, laissa échapper Loïc qui trépignait.

— Elle est en chemise de nuit. Quoi ?... Euh, attends je regarde. Oui, elle a une peluche… Enfin avait, parce que la peluche est dans un sale état. Elle est juste inconsciente, je pense. L’airbag s’est déclenché, elle a dû le prendre en pleine face… Ouais, elle roulait comme une dingue quand elle est passée à côté de moi. Je me suis dit au départ que j’allais en chier pour la rattraper mais en fait, elle s’est foutue dans le décor toute seule. Quoi ?... Recherchée ? C’est une terroriste avec une peluche dans les bras ? Moi j’arrive plus à suivre… Ah, ok. Je comprends mieux. »

Pendant ce temps, voyant le corps quasi nu de son amie, Sarah courut au coffre de sa voiture et en sortie une couverture de survie. Elle descendit dans le bas-côté un peu en décalage avec Loïc et tenta de s’approcher tout doucement.

« Restez où vous êtes aussi, Madame, fit le flic qui la vit arriver.

— Ok, fit Sarah en levant les bras. Mais au moins, mettez ça sur mon amie, au lieu de la mater comme un pervers. »

Elle balança la couverture aux pieds du flic. Ce dernier n'avait pas apprécié le rappel à l'ordre de Sarah mais ne pouvait pas nier s'être rincé l'œil. Il grommela quelque chose d’incompréhensible et attrapa la couverture pour la déplier et l’envoyer recouvrir Maxine.

« On va rester longtemps comme ça ? demanda Loïc en essayant de contenir les notes agressives de sa voix. C’est quoi le but ? On la regarde crever ? »

Le flic le toisa du regard.

« On attend les secours et le reste de la compagnie. Et la donzelle, pour autant que je puisse le constater, elle va bien. Juste KO parce qu’elle a fait une petite cascade avec votre bagnole et qu’elle s’est prise l’airbag dans les dents. Et elle a une foutue chance de s’en être sortie comme ça, vu la vitesse à laquelle elle roulait. »

Ils restèrent là sans bouger, attendant les secours dont on devinait l’arrivée prochaine puisqu’on entendait au loin les sirènes.

Loïc avait la sensation que le temps était en pleine expansion. Il repassait dans sa tête en boucle la scène depuis l'intrusion de Maxine dans l'appartement. D'où avait-elle débarqué ? Comment avait-elle voyagé vêtue d'une simple chemise de nuit ? Même s'il restait factuel, il y avait un tas de choses qui ne collait pas. Le monde de Maxine était toujours foutu d'un tas d'incohérences, mais en principe, celles-ci ne débarquaient pas dans le monde réel.

La couverture de survie se mit soudainement à bouger et la tête de Maxine émergea au-dessus. Elle semblait totalement hébétée. Elle bougeait les lèvres mais aucun son ne semblait sortir de sa bouche. En tout cas, ni Loïc, ni Sarah n’arrivait à saisir le moindre mot de là où ils étaient.

« Qu’est-ce qu’elle dit ? demanda Loïc et voyant que le flic ne l’écoutait pas, il s’adressa directement à Maxine. Où étais-tu ? Dis-nous ce qui s’est passé. On t’a cherchée partout avec Sarah ! Dis-lui pourquoi t’es revenue à la maison ! »

Loïc avait hurlé pour recouvrir le bruit de la circulation et de la pluie. Il n’avait pas vu que le flic s’était penché sur Maxine pour saisir ce qu’elle tentait de dire. L’homme hocha la tête et lança un regard en direction de Loïc.

Les camions des pompiers et des urgences arrivèrent simultanément et après un petit souci de coordination, ce furent les pompiers qui descendirent dans le ravin et les secouristes qui commencèrent à préparer le brancard pour évacuer. Les pompiers passèrent au-dessus du flic pour attacher une sorte de collier rigide autour du cou de Maxine.

« Faites attention, les mecs, fit le flic. Elle est enceinte et devait se faire avorter… ou un truc dans le genre. Elle s’est enfuie de l’HP. Ils ont fait un signalement sur sa disparition, il y a cinq heures. Donc, vous l’emmenez aux urgences pour faire le contrôle technique et après, faut la renvoyer là-bas. »

Loïc et Sarah étaient sonnés. Tous les mots de ces quatre phrases étaient venus se ficher les uns sur les autres comme pour enfoncer un couteau dans une plaie qu’on venait juste de leur faire. Le flic voyant que les pompiers avaient les choses en main, se retourna et s’approcha de Loïc et Sarah.

« Bon, vous deux, vous avez l’air d’en savoir un peu sur ce qui est arrivé. Donc vous allez me suivre au poste pour qu’on débriefe tout ça. Les secours vont soigner votre copine et la ramener d’où elle vient. Et on va essayer d’expliquer pourquoi votre copine s’est envoyée dans le décor avec vous deux dans ses roues.

— Vous êtes en train de nous dire que vous nous arrêtez ? demanda Sarah.

— Parfaitement. Vous ne m’avez pas l’air bien méchants, mais on ne sait plus vraiment avec les mômes de maintenant. Et essayez de ne pas faire d’histoires. Je n’ai pas envie de vous passer les menottes.

— Et ma voiture ? s’inquiéta Sarah.

— Je vais demander aux collègues à ce qu’on la mette sous scellés. »

Loïc n’écoutait pas le flic. Il regardait les pompiers sortir Maxine de la voiture et la porter vers le brancard. Il aurait voulu croiser, ne serait-ce qu’une seconde son regard.

Il avait l’image de son visage lorsqu’elle était au pied du lit et elle allait tourner en boucle dans sa tête. Maxine était enceinte et devait avorter : pourquoi ? Pourquoi s’était-elle retrouvée internée ? Pourquoi s’était-elle enfuie ? Des milliers de questions étaient en train de germer dans son esprit. Il sentait la révolte monter en lui, une colère sourde. Clairement, il aurait voulu pouvoir frapper. Frapper n’importe qui, n’importe quoi pour faire exploser en miettes ce qui était en train de se passer. Tout cet enchaînement d’événements était absurde.

Maxine était enceinte.

« Moi j’adore ça, avoir des papillons dans le ventre. »

C’était ça qu’elle lui avait répondu quand il lui avait parlé du fait qu’ils ne se protégeaient pas pendant leurs rapports. D’où aurait-elle brutalement changé d’idée ? Cela n’avait pas de sens.

Il se retourna vers le flic.

« Cela tombe bien que vous vouliez m’arrêter. Moi, je veux porter plainte.

— Porter plainte ? Contre qui ? La petite donzelle qui a dégommé votre voiture ?

— Rien à foutre de ma voiture, dit sèchement Loïc. Et la petite donzelle, c’est ma petite amie et elle a un nom. Maxine. Et non, je ne vais pas porter plainte contre elle, je vais porter plainte contre X pour internement abusif et aussi, je veux m’opposer à cet avortement. »

Sarah faillit défaillir en entendant la dernière phrase de Loïc.

« T’es fou ? T’entends ce que tu es en train de dire ? Je sais ce que tu penses. Mais je sais aussi comment les gens vont entendre ce que tu dis. Tu vas te faire démolir. “Il veut remettre en cause le droit de sa copine à l’avortement parce qu’il estime qu’elle n’a pas les capacités de décider parce qu’elle est bipolaire”.

— Tu sais très bien que c’est faux. C’est tout le contraire.

— Sauf que Maxine ne sera pas dans ton camp, cette fois-ci et qu’on va t’empêcher de l’approcher. »

Le flic qui écoutait les échanges, écarquillait ses yeux chaque fois un peu plus à chaque échange. Il finit par reprendre de force la main sur la discussion.

« Bon allez, on va au poste. Vous allez m’expliquer tout cet imbroglio là-bas dans le détail car je n’ai pas tout pigé de quoi vous parlez. »

*

Sarah n’était jamais allée dans un poste de police et encore moins dans une salle d’interrogatoire. Malgré ses protestations, on l’avait séparée de Loïc. Ce n’était pas qu’elle voulait rester avec lui mais elle ne comprenait pas ce qu’on pouvait attendre d’elle, toute seule.

Malgré cela, une fois arrivée sur place, on l’isola dans une pièce. Une femme en uniforme commença par lui expliquer ses droits, puis elle lui fit une prise d’empreintes digitales et des photos. Mais jusque-là, même si elle ne comprenait pas toute cette mascarade, ça pouvait passer. Ce fut la phase de fouille corporelle qui la choqua le plus.

« C’est la procédure standard, Madame. » se contenta de dire la policière.

Procédure standard ou pas, Sarah sortit de là avec un certain dégoût. Ensuite, vint l’interrogatoire. C’était le flic qui était intervenu sur le terrain et un autre gus qui s’en occupèrent. Les questions s’enchaînèrent mais Sarah comprit assez vite que les deux gars n’avaient aucune idée sur ce qu’il fallait chercher. En soi, c’était assez normal, car hormis les propos de Loïc sur le fait qu’il voulait porter plainte, aucun élément n’avait de rapport avec l’affaire. Elle se demanda combien de temps, ils allaient pouvoir la garder. Au bout d’une demi-heure, elle fut fixée. Un gros bonhomme bedonnant entra dans la pièce, toucha deux mots aux deux gus et finit par lui dire qu’elle pouvait rentrer chez elle.

*

Sarah se retrouva dans l’entrée du commissariat, seule. Elle demanda à l'accueil où était passé le garçon qui l’accompagnait.

« Il est toujours en salle d’interrogatoire.

— On l’accuse de quelque chose ?

— Non. Mais lui, oui.

— C'est-à-dire ?

— Il parle d’hospitalisation sous contrainte abusive. »

Sarah encaissa la nouvelle. En même temps, que pouvait-il faire d’autre ? Elle regarda l’heure. Il était trois heures du matin. De toute manière, elle ne voyait ni comment elle pouvait retourner au boulot, ni comment les choses allaient se passer, elle pouvait l'attendre.

Plus elle se repassait le film des événements dans la tête moins les choses s'éclaircissaient. C'était surtout le comportement de sa meilleure amie qui était erratique.

Elle comprenait d’autant moins que lorsque Maxine lui avait dit qu’elle ne se protégeait pas avec Loïc, elle lui avait confié que si elle devait avoir des enfants plus tard, ce serait forcément avec lui, car c’était le seul à le lui avoir demandé. Elle n’avait pas bien compris la dernière partie mais la première ne faisait pas débat.

Maxine pouvait changer d’humeur. Mais de mémoire, Sarah ne se souvenait pas qu’elle ait pu changer d’avis.

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