Épilogue

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« Où est-ce qu’on va ? fit Camille en levant la tête et ouvrant tout grand ses yeux couleur émeraude.

— Quelque part où il y a plein de fleurs. Tu verras, je suis sûr que ça va te plaire. »

La petite fille plissa les yeux et fit un peu la moue puis, au bout d’une quinzaine de secondes, finit par dire :

« Bon d’accord, je te crois. Je vais voir Maman pour qu’elle prenne son appareil photo. »

Camille partit alors en courant à l’étage. Sûrement que Maman prendrait son appareil car même s’il commençait à se faire vieux, elle ne s’en séparait jamais. En revanche, il était peu probable qu’elle veuille prendre des photos dans le parc floral. Ce n’était pas que le parc en lui-même ne proposa pas de paysages suffisamment beaux ou qu’il y ait un règlement quelconque qui interdisse d’en prendre, non. C’était juste qu’aller là-bas était un rituel qu’ils s’étaient imposé deux ans avant la naissance de Camille. En vrai, il n’y avait pas de raison particulière pour que ce soit ce parc ou bien un autre lieu, mais il y avait une sorte de proximité géographique qui permettait par association d’idées d’avoir la portée symbolique nécessaire. C’était le problème avec toutes ces réalités physiques auxquelles on refusait le statut d’entité concrète. Il fallait établir tout un jeu de construction mentale pour arriver à vivre avec.

« Tu crois qu’il faut que je mette une petite laine ? demanda la voix un peu étouffée de Maman à l’étage. Qu’est-ce que tu veux, Cam ? Arrête de te mettre dans mes pattes, tu ne veux pas faire tomber Maman ? Prends le sac, il est dans la penderie à droite… L’autre droite. Voilà.

— On est en plein été, Chérie, je doute qu’ils prévoient de la neige dans les prochaines heures.

— Ah, ah, ah ! Je vais quand même la prendre au cas où. »

Camille dévala l’escalier avec le sac de l’appareil photo dans ses bras, rata l’avant-dernière marche et faillit tomber à la renverse. La main de son père la rattrapa par son épaule, à la dernière seconde.

« Ne cours pas dans les escaliers, Cam. Tu t’es déjà cassé la binette, il y a une semaine : tu ne t’en rappelles plus ? »

La petite fille baissa les yeux en hochant la tête puis demanda :

« Quand est-ce qu’on y va ?

— Maintenant. Toi, t’es bien la fille de ta mère !

— Qu’est-ce qu’elle a encore fait la mère ? s’exclama Maman qui était en train de descendre au rez-de-chaussée.

— Rien de nouveau, juste que tu t’es bien reproduite avec l’engin, là !

— Dans mon souvenir, nous étions deux dans l’affaire mais je peux me tromper.

— Ta fille a failli tomber dans l’escalier.

— Ça ce n’est pas de moi, c’est du côté du père qu’il faut creuser pour expliquer ces choses-là. Dans quelque temps, ce ne sera plus un problème, quand elle aura ses ailes. »

Camille eut un grand sourire. Elle ne savait pas trop ce que voulait dire sa mère en disant ça, mais elle avait déjà vu des dessins de jeunes filles avec des ailes de libellules. Cela voulait-il dire qu’un jour, elle pourrait en avoir ? Elle alla ouvrir la porte d’entrée pour se précipiter dans le jardin et courir jusqu’à la porte du garage.

« Elle ne s’arrête jamais ? interrogea Papa.

— Vaut mieux pas, répondit Maman. C’est toujours mieux quand elle est comme ça. »

*

Une fois tous montés dans la voiture et en route pour le parc, Maman constata que c’était un vrai temps estival qui avait pris d’assaut le ciel. Papa avait raison : la petite laine ne servirait pas à grand-chose aujourd’hui. Elle aurait dû s’en douter car le temps était souvent le même d’une année sur l’autre, ce jour-là. C’était pour ça qu’il était toujours délicat d’être en phase entre ça, son humeur et cette météo. Elle entrouvrit la fenêtre pour se rafraîchir.

« Ça va ? Tu n’as pas trop d’air à l’arrière ? » fit-elle en se tournant vers sa fille.

Camille secoua la tête et se remit à bouder parce que Papa lui avait enlevé le sac de l’appareil photo des mains alors qu’elle voulait jouer avec.

« Tu aurais pu le lui laisser pour qu’elle s’amuse un peu.

— Et si jamais elle te le casse ?

— Bah… Un jour viendra où je devrai m'en débarrasser, ainsi que des souvenirs qui l'accompagnent. »

Papa ne releva pas son affirmation. Il ne reprit la parole que deux minutes plus tard.

« Je t’arrête chez le fleuriste ?

— Oui, merci. Je n’ai pas eu le temps d’y aller hier et puis de toute manière, je préfère y passer le jour même. »

La voiture stationnée en double file, Maman descendit de la voiture et s’engouffra dans la boutique. Elle en ressortit trois minutes plus tard, un bouquet de lys blanc à la main.

« Vas-y, on peut y aller maintenant, dit-elle en fermant la portière.

*

Ils arrivèrent à destination par l’entrée qui jouxtait l’aile droite du château dont le parc floral n’était en réalité que les jardins. Il avait été réhabilité par la communauté d’agglomération qui l’avait transformé en lieu de loisir pour tout le monde.

« C’est grand ! s’exclama Camille en passant le portail d’entrée du parc.

— Regarde devant toi, Cam ! Ne fonce pas dans les gens, lui dit Maman.

— Tu te rappelles l’endroit, Chérie ? Je ne m’en souviens jamais.

— C’est derrière la serre des Papillons.

— Y a quoi derrière la serre des Papillons ? demanda Camille.

— Rien. Rien de spécial, ma puce. Regarde, là-bas. Il y a des canards, j’ai pris un peu de pain dur, tu veux essayer de leur en donner ?

— Je crois que c’est interdit, intervint Papa.

— C’est n’importe quoi. » répliqua Maman, en soupirant.

Ils se mirent en route et Camille joua un peu avec les canards en essayant de les effrayer avec plus ou moins de succès. Au bout d’une dizaine de minutes, ils arrivèrent au niveau de la serre.

« Vas-y, je t’attends là, je surveille Camille en attendant. »

Maman hocha la tête. Elle longea alors le bâtiment sur le flanc qui faisait face à la grande clôture qui délimitait le parc, et une fois arrivée au bout, elle tourna sur la droite. Elle chercha du regard l’endroit, le petit renflement de terre. Mais elle n’eut pas à le faire, car il y avait déjà un lys rose posé sur le monticule. Elle releva la tête, un peu surprise. Elle regarda à droite et à gauche, mais elle ne vit personne. Elle haussa les épaules et se pencha pour déposer son lys blanc. Elle leva la tête au ciel et ferma les yeux. Elle resta ainsi une minute. Elle rouvrit les yeux et considéra les deux fleurs posées en croix, l’une sur l’autre. Elle avait toujours été la première, mais cette fois-ci, ce n'était pas le cas. Cela faisait bizarrement du bien de se dire qu’elle n’était pas la seule à faire ce pèlerinage. Rendre hommage à ce qui n’était pour lui qu’une hypothèse, c’était en même temps beau et un peu pathétique.

Elle resta un peu silencieuse, emportée par une bouffée de souvenirs. Elle inspira un grand coup. C’était du passé.

Elle opéra ensuite un demi-tour et retourna rejoindre Camille et Papa.

« Cela s’est bien passé ? »

Elle hocha la tête.

« Je pense qu’on devrait se poser un peu plus loin.

— Ça ne va pas ?

— Si, très bien, c’est juste que je fatigue vite. » fit Maxine en posant sa main sur l’arrondi de son ventre.

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