Chapitre 22

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Chaque fois que Maxine travaillait le soir, elle rentrait et passait la nuit chez elle. Ils n’avaient jamais instauré de règle spéciale à ce sujet mais depuis qu’ils s’étaient rencontrés, ils l’avaient respectée. Sur le chemin du retour, Maxine eut envie de changer cela. Elle ne savait pas vraiment pourquoi.

« Tu crois que tu pourrais venir me chercher, ce soir, après le boulot ? »

Elle ferma les yeux et attendit la réponse.

« Bien sûr, tu finis à quelle heure ? Parce que je pense qu’il faudra que je mette une alarme pour éviter de me louper. »

Elle sourit. Elle s’était imaginé qu’il aurait demandé pourquoi, qu’il aurait juste refusé parce que demain, il bossait et qu’il fallait qu’il se lève. Enfin un truc dans ce goût-là. Un truc où elle aurait pu dire que voilà, c’était encore un gars comme ça, qui l’utilisait à sa convenance, à qui elle pouvait faire faire n’importe quoi, pourvu qu’elle rentrât dans son fantasme.

Mais Loïc n’était pas comme ça. Elle le savait. Alors pourquoi pas.

« On ferme normalement à vingt-trois heures pour les clients, ce qui fait minuit pour les employés, le temps de tout nettoyer et tout remettre en ordre. Et si on boit un coup après entre collègues, on arrive vite à une ou deux heures du mat. Mais pour ce soir, vise minuit. Je t’enverrai un message s’il y a un changement de plan.

— C’est la pizzeria ? »

Maxine hocha la tête.

« Je pense que c’est la première fois que j’irai te chercher au boulot le soir. C’est étrange. Alors qu’à l’inverse, je crois que je ne saurais même pas dire combien de fois, tu es venue me cueillir à la sortie du mien. »

Elle non plus ne se souvenait plus. C’était un peu comme si son passé disparaissait petit à petit, remplacé par un présent. Juste un présent qui prenait toute la place. Elle aimait ça. Loïc ne lui faisait jamais de promesse, il ne lui parlait jamais d’avenir. C’était sûrement cela qu’elle aimait en fin de compte. La promesse d’un rien, l’engagement pour un nulle part.

Elle posa sa tête contre le siège et regarda au travers la vitre. La pluie s’était mise à tomber. Elle ferma les yeux et s’endormit.

*

Il pleuvait encore à verses lorsque Maxine regarda par la fenêtre après son service pour voir si elle apercevait la voiture de Loïc.

« Il arrive ton gars ? fit Pedro, son collègue, un peu agacé d’avoir à attendre. C’est le gars avec qui tu l’as fait dans les toilettes ? »

Maxime lui mit une claque derrière la tête.

« Qui t’a raconté ça ? Que je lui règle son compte, fit-elle entre ses dents.

— Alors c’est vrai ?

— Non mais c’est quoi ton problème ? »

Pedro l’agaçait avec ses questions ce soir et en même temps, elle n’arrivait pas à nier, cet épisode qui était arrivé un midi pendant le service et qui lui avait valu de pratiquement se faire choper. C’était de sa faute à elle, à l’origine mais Loïc ne l’en avait pas dissuadé. Tout ça pour dire que s’il lui était permis d’en rire en off avec son petit-ami, il était absolument impossible qu’elle l’avoue à quiconque à son boulot. Même Sarah. Surtout Sarah, car Dieu sait ce qu’elle ferait par simple crise de jalousie.

— Il en met du temps ton Jules. Il prépare les préliminaires ?

— Oui, laisse-lui un peu de temps. C’est la première fois qu’il vient me chercher, il ne connait pas bien la route et là, c’est le déluge. Et toi, arrête avec tes allusions salaces si tu ne veux pas te prendre une vraie baffe.

— Ok. Et c’est pourquoi je remercie le ciel d’habiter à trente mètres. »

Quitte à remercier le ciel, autant que ce soit pour de vraies grandes choses. D’aller marcher sur la lune, trouver le remède contre le cancer, des trucs dans le genre. Mais habiter à trente mètres de son boulot, qui plus est, en tant que serveur dans une pizzeria, il y avait franchement un manque évident d’ambition.

« Le voilà ! Je file. Bonne soirée. »

Et Maxine déguerpit en moins de deux pour tenter d’atteindre le plus rapidement possible la voiture.

« Purée, en dix secondes tu es trempée comme une soupe. fit-elle en s’asseyant à la place passager.

— Je confirme. J’imagine comment tu aurais fini s’il avait fallu que tu prennes le tram ou bien que tu coures jusqu’à ta voiture. Pas glop. »

Loïc mit la première et tenta d’opérer un demi-tour mais il arrêta la manœuvre.

« Je crois qu’il vaut mieux que je fasse le tour. On y voit que dalle dans cette purée de pois. Au fait, je te ramène à la maison. C’était ça le plan ? Parce que ça m’a paru évident mais je ne t’ai même pas demandé.

— Peut-être mais t’as bien compris.

— Je peux te demander pourquoi ?

— Je ne sais pas bien. Parce que j’avais envie, parce que je ne voulais pas être seule. Fais ton choix.

— Parce que je préfère avoir ma princesse dans mes bras. Cela marche aussi ? »

Maxine était crevée mais elle sourit. Pourquoi n’était-il pas avec elle, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, ce gars ? C’était étrange de penser que Loïc n’était pas quelqu’un de triste ou de gai, qui ne traçait aucun plan sur la comète et pourtant, il était mieux que n’importe quel médicament dès qu’elle s’enfonçait un peu.

« Bah la princesse, elle va se transformer en belle au bois dormant dans pas longtemps.

— J’espère qu’elle ne va pas se réveiller sur les coups de deux ou trois heures du mat comme cette nuit.

— Aucune chance. Promis.

— Bah je n’ai pas dit que j’y étais opposé.

— Moi je suis trop claquée. Ni pour ni contre et bien au contraire.

— Ferme les yeux alors. Si tu dors quand on arrive, je te porterai jusqu’au lit. »

*

Maxine fit semblant de dormir exprès pour que Loïc l’emmène se coucher. Elle adorait qu’il la prenne dans ses bras, qu’il mette ses mains sous ses fesses pour bien la caler et pour monter les escaliers. Il n’était pas un grand sportif alors forcément, il terminait complètement essoufflé, mais même les yeux fermés, elle savait qu’il en était heureux. Il la déshabilla entièrement et l’enveloppa dans les draps. Il mit son pyjama à côté, des fois qu’elle ait froid. A priori, il la préférait complètement nue à ses côtés.

Elle attendit qu’il termine de ranger, d’éteindre les lumières de la salle et de la cuisine, puis venir se coucher tout contre elle, pour faire semblant de se réveiller à moitié.

« Au fait, Loïc, t’as quelque chose de prévu, mercredi soir ?

— Non.

— Tu pourras m’accompagner ?

— Ça dépend de l’heure mais sinon oui.

— Merci.

— C’est pourquoi faire ?

— Pas grand-chose. Juste rencontrer mon père. »

*

Loïc commençait un peu à s’habituer à la manière inconséquente qu’avait sa petite amie d’amener certains sujets. Il reconnaissait que parfois, s’il n’y avait ni bonne ni mauvaise façon de faire, force était de constater que Maxine, si une distinction avait existé dans l’originalité, l’aurait remporté haut-la-main.

« Ton père. Le vrai ? Je croyais que tu ne le voyais plus depuis des années.

— Bien sûr, le vrai, tu ne m’entendras jamais dire père, à propos des autres. J’ai déjà du mal avec un seul, manquerait plus que les autres s’y substituent. »

Maxine laissa passer un silence.

« Sinon, c’est juste qu’il m’a laissé un message hier soir.

— Et il fait cela souvent ?

— Jamais, c’est la première fois. Bonne nuit. »

Maxine embrassa Loïc et se retourna pour se mettre en boule. Le message était clair : elle ne voulait pas s’étendre sur le sujet et Loïc devait en rester là avec le petit milliard de questions qui trottaient désormais dans sa tête.

*

Maxine ne parla plus du rendez-vous jusqu’au mercredi matin. Loïc se demanda même s’il n’avait pas eu une hallucination, mais quand à sa grande surprise, sa petite amie débarqua dans la cuisine pour prendre son petit déj’ au lieu de l’attendre au fond du lit, il se rassura sur son état psychique. En revanche, celui de Maxine l’interpela. Outre qu’elle paraissait parfaitement lucide et réveillée pour l’heure qu’il était, ce fut la sérénité parfaite qui semblait l’habiter quand vinrent les questions, qui ne manqua pas de l’interroger.

« On se rejoint où et quand, ce soir ? demanda le plus innocemment Loïc

— Au petit bouiboui qui fait l’angle vers les quais, vers six heures.

— T’en sais un peu plus sur ce qu’il te veut ? » fit Loïc en évitant soigneusement de prononcer le mot de père explicitement.

Mais Maxine ne réagit pas. Elle se contenta de dire non.

« Et toi, t’as envie de le voir ?

— Je crois. La dernière fois qu’on en a parlé tous les deux, tu m’as dit qu’il valait mieux que je lui pose mes questions plutôt qu’essayer d’imaginer les réponses ou de demander à d’autres d’y répondre à sa place. Du coup, je me dis que c’est le moment. Mais je ne veux pas être toute seule pour ça. Je ne vois pas trop qui d’autre que toi pour m’accompagner. Avec les autres, ça virera forcément au désastre. Pour eux, je ne peux pas penser sans leur assistance. Parce que sinon voilà, on sait ce qui va se passer et où et comment je vais finir. Je ne suis pas d’accord. »

Loïc ne dit rien. Il avait bien décelé des petits changements par ci par là dans le comportement de Maxine, mais ce matin, c’était pratiquement comme si la terre se mettait à tourner dans le sens contraire. Fallait-il pour autant craindre quelque chose ? Pour dire la vérité, Loïc ne craignait rien au sujet de Maxine. En revanche, ce qu’il redoutait c’était la réaction des autres. À plusieurs niveaux et bien que ce n’était pas apparent sur le papier, Maxine était la petite chose des uns et des autres. Et sans que ça l’entrave plus que cela, Maxine dans sa quête de normalité avait accepté ce rôle et c’en était fait même sa liberté. La liberté de faire et de se faire amender. En allant vers Loïc, elle était en train de s’émanciper. En tout cas, de le vouloir.

Bien malin était celui qui devinerait ce qui allait se passer.

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