Chapitre 43

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Le lendemain matin, à six heures, après le café, Loïc ouvrit la porte-fenêtre du salon en grand pour fumer une cigarette. Il regarda au loin, les voitures passer sur la voie rapide dans un sens et dans un autre. Depuis la veille, depuis qu’il avait raccroché avec Maxine, son cerveau s’était mis dans une configuration étrange. Il n’avait pas pu dire non à Maxine, mais dans sa tête, restait cette interrogation lancinante : n’y aurait-il pas d’autre solution ? Il y avait le doute qui avait motivé la décision de Maxine. Mais dans ce doute dû à l’éventualité de l’autre, si elle lui avait tout dit cette fois-ci, était faible. Demander un test de paternité pour prendre une décision était une idée horrible même si, naturellement, il en était venu à se la poser. Mais de toute manière, ceci était illégal et impossible avant la neuvième semaine.

Il regarda l’heure. Il fallait qu’il se presse. Il fallait qu’il aille chercher Maxine au centre psychiatrique pour l’emmener à l'hôpital universitaire. Le même où il l’avait emmenée trois semaines plutôt. C’était ainsi, c’était la vie. Il écrasa son mégot dans le cendrier, ferma la porte-fenêtre et s’activa pour aller prendre la voiture de location qu’il avait réservée pour l’occasion.

*

Situé à la lisière d'une zone d'activité industrielle, le centre psychiatrique se trouvait à une demi-heure de chez lui. Lorsqu'on approchait de ses abords, on avait l'impression de découvrir une immense ferme dotée d'un ensemble de bâtiments pouvant aisément servir de résidences, abritant une multitude de communautés atypiques. Cette vision était uniquement perceptible de l'extérieur, car une fois à l'intérieur, l'aménagement offrait un aspect résolument moderne et conventionnel.

Lorsqu’il arriva dans le hall central du centre psychiatrique, Maxine était déjà assise sur un banc, une valise à ses pieds, devant le bureau d’accueil avec une infirmière à ses côtés. Celle-ci était affairée à mettre la touche finale au chignon bohème tressé de sa patiente. Cette coiffure était parfaite et s’accordait à merveille à son visage.

« Bonjour, fit l’infirmière à l’adresse de Loïc, voyant que le regard de Maxine s’était éclairé d’un seul coup dès qu’il avait passé les portes automatiques de l’entrée.

— Bonjour. »

Maxine se leva et s’avança à sa rencontre d’un pas mal assuré. Elle se posta devant Loïc et relevant les yeux vers lui, elle chercha à savoir ce qu’elle devait faire. Lui secoua la tête, s’avança aussi pour l’entourer de ses bras et la serrer contre lui.

La fougue n’était plus de mise, juste de la tendresse encore convalescente. Mais pour elle, c’était déjà trop. En tout cas, c’était ce qu’elle tenta d’exprimer en posant sa tête sur la poitrine de Loïc. Les stabilisateurs d’humeur, eux faisaient leur office en lui empêchant de ressentir pleinement ses émotions. Elle aurait voulu crier, hurler, pleurer mais il y avait comme une chape de plomb posée au-dessus de son cerveau. Elle détestait ça.

Loïc relâcha son étreinte pour attraper la petite valise posée à côté du banc. Maxine tenta de croiser de nouveau son regard sans succès. L’infirmière s’approcha de Loïc et lui tendit un dossier.

« Ce sont tous les papiers relatifs à l’hospitalisation. En cas de souci, n’hésitez pas à appeler. »

Loïc la remercia et se retourna.

« Allez, on y va. C’est dans moins d’une heure, ton rendez-vous. »

Maxine s’accrocha au bras gauche de Loïc pour lui signifier qu’elle était prête et ils sortirent de l’établissement.

*

Durant le trajet jusqu’à l’hôpital, ils ne prononcèrent aucun mot. Loïc n’avait aucune idée de quoi parler dans ces moments-là. Maxine, bloquée par ses médicaments, se contentait d’apprécier autant qu’il lui était possible d’être à nouveau aux côtés de Loïc. Elle et lui n’étaient pas comme avant mais c’était toujours mieux qu’hier ou avant-hier. Il était toujours là, malgré tout. Pourquoi ? Elle repensa à son père. Qu’aurait-il fait à la place de Loïc ? Aurait-il fui comme avec sa mère ?

Le Centre Hospitalier Universitaire était assez spécial côté architectural. Loïc ne l’avait pas remarqué la fois précédente mais chaque grand secteur était signalé par des plaques de verre de couleur y compris les urgences. Le secteur de la chirurgie ambulatoire gynécologique était dans la nuance rose. Il se gara et ils entrèrent dans l’établissement. Loïc avait pris la main de Maxine pour éviter de la perdre dans les couloirs. Les médicaments faisaient certes leur effet mais il n’en restait pas moins qu’il pouvait y avoir une réaction imprévue de sa part. Pendant qu’il cherchait l’accueil des yeux, il ne put s’empêcher de se dire que finalement, il aurait dû demander lui aussi un traitement car même s’il essayait de ne rien laisser transparaître, son cœur battait la chamade et il sentait une certaine pression au niveau de sa cage thoracique.

À l’accueil, on leur dit de se rendre dans une petite pièce où l’anesthésiste devait venir leur poser quelques questions. La personne du guichet voulut insister sur le fait que Maxine devait y aller seule mais Loïc montrant un extrait du dossier d’hospitalisation, finit par avoir gain de cause.

Lorsqu’il fallut préparer l’entrée au bloc, ce fut aussi l’occasion d’une entorse au protocole habituel. Et là, Maxine manifesta de manière assez claire ses exigences. Ce fut donc avec Loïc qu’elle se déshabilla intégralement avant de mettre la tenue de bloc dans la pièce prévue à cet effet. Pendant cet effeuillage, elle marqua une pause une fois qu’elle eut déposé la totalité de ses vêtements. Elle se tourna vers Loïc et vérifia s’il la regardait. Elle aurait voulu s’avancer vers lui et qu’il fasse comme tout à l’heure au centre psychiatrique. Mais elle se reprit. Elle se contenta d’un timide sourire voyant que Loïc n’avait pas détourné la tête pour protéger une certaine pudeur qui, pour elle, à cet instant et dans la circonstance, aurait été l’expression même de l’indécence vu ce qu’on se préparait à lui faire subir. Elle devait être encore un peu jolie à ses yeux vu l’intensité qu’il mettait dans son regard. Elle clôt ses paupières pour essayer de percevoir au travers du brouillard chimique des molécules de son traitement, les ondes réconfortantes qu’elle pouvait en tirer. Elle rouvrit les yeux deux minutes plus tard et se retourna pour plier ses vêtements et les ranger dans le casier prévu à cet effet. Elle prit la robe de bloc et l’enfila. Elle attrapa les bouts de la ceinture qu’elle devait nouer dans son dos et recula vers Loïc. Elle tourna la tête vers lui.

« Tu peux m’aider à faire le nœud ? »

Loïc hocha en esquissant un sourire qui lui disait : « Tu ne changeras jamais ».

Le nœud fait, elle enfila les chaussons à élastique, le bonnet sur ses cheveux et elle était prête. Ils sortirent de la pièce et avec Maxine accrochée au bras de Loïc, rejoignirent l’infirmière qui les attendait à l’extérieur.

Cette dernière ayant entendu que Loïc accompagnerait sa patiente, y compris dans le bloc, lui donna les instructions et les éléments vestimentaires obligatoires. Les réactions surprises à sa présence permirent à celui-ci d’éviter de penser à la suite. Ce ne fut que lorsqu’il fallut installer Maxine sur la table d’examen et qu’on lui mit ses jambes sur les étriers qu’il commença à réaliser. Et bien qu’il sache pourquoi il était venu, son cerveau continuait à l’interroger sur ce qu’il faisait là.

Étant donné la médication de Maxine, l’anesthésiste avait opté pour une anesthésie locale. La contrepartie, c’était que la patiente exigeait que son accompagnateur soit constamment à côté et en contact a minima visuel avec elle.

Une fois que l’anesthésiste confirma que tout était bon, le gynécologue-obstétricien commença l’opération. Lorsque celui-ci attrapa une bougie de Hégar, Loïc détourna le regard pour ne regarder que Maxine les yeux dans les yeux. Il sentit qu’elle repositionnait sa main dans la sienne pour la serrer un peu plus fort. Elle ouvrit la bouche puis se pinça les lèvres. Elle ferma ses paupières quelques secondes et les rouvrit. Elle ne quittait plus Loïc des yeux.

Le médecin prit alors une espèce de tube. Loïc ne l’avait pas directement dans son champ de vision mais lorsqu’il entendit le moteur de la machine à aspiration se mettre en marche, il secoua la tête à l’attention de Maxine et ferma les yeux. Elle en fit de même, en même temps qu’elle resserra ses doigts jusqu’à broyer de toute sa petite force les métacarpes de Loïc. Ils restèrent ainsi, durant les sept minutes les plus longues de leurs vies.

Peu importe pouvaient-ils s’essayer à empiler les si et les peut-être dans leurs têtes, il fallait qu’ils se convainquent en silence autant l’un que l’autre que chacune de ces secondes avait une signification. Loïc, bien que rien n’allait dans ce sens dans sa tête, bien que ses entrailles le rappelaient à son instinct, martelait, gravait sur chacun de ses neurones que l’avenir était dans la future Maxine et pas dans celle dont il tenait la main.

Celle-ci, on était en train de lui arracher ses ailes alors il ne fallait pas lui en vouloir, ni même la juger. Quand on avait rimé au hasard, les dés avaient bien été jetés. Maintenant il fallait les recouvrir de fard, fermer les paupières. Il fallait croire que l’on ne naissait pas père comme l’on naissait mère en plein été. Et surtout sur l’autel d’un serment qu’ils n’avaient jamais prêté. Il n’y avait qu’un vœu à formuler : celui que comme dans les contes de fées, ces ailes, on puisse les faire repousser.

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