Maman
Le soleil d’automne baignait les rues de la ville d’une lumière douce, presque apaisante. J’avais accepté de retrouver ma mère dans ce petit café que nous connaissions toutes les deux depuis longtemps. J’avais hésité, j’avais craint les reproches, les silences pesants, mais quelque part, je savais que c’était nécessaire. Que je ne pourrais jamais avancer tant que nous n’aurions pas parlé.
Elle était déjà là, les mains crispées autour de sa tasse de thé. Son visage portait cette expression que je connaissais si bien : hésitation, culpabilité et maladresse mêlées.
— Louison… merci d’être venue, dit-elle, la voix presque fragile.
Je lui adressai un sourire poli, pas encore chaleureux, mais sincère.
— Merci à toi d’avoir proposé, répondis-je.
Nous restâmes quelques secondes à nous observer, comme si chacune essayait de deviner ce que l’autre allait dire. Puis, lentement, elle se lança :
— Je… je sais que j’ai été dure avec toi. Peut-être trop… je ne sais pas comment te l’expliquer.
Je restai silencieuse, mes doigts serrant ma tasse. J’avais besoin d’entendre la vérité, même si elle risquait de me faire mal.
— Avec Pauline… j’ai toujours été maladroite, dit-elle enfin. Je… je voulais la protéger, je ne savais pas comment gérer ses réactions, ses émotions. Et… je crois que j’ai cru, à tort, que toi, tu devais “tenir bon” toute seule.
Je sentis la colère et la tristesse remonter, mais je la retenais.
— Tu défendais Pauline à chaque fois que j’osais dire quelque chose, même quand elle avait tort, même quand elle allait trop loin… C’est pour ça que j’ai grandi en me sentant invisible, maman. Et que je suis partie pour mes études aussi loin que possible. Je n’en pouvais plus. Je ne respirais plus. J’avais peur à chaque seconde que, selon mes réactions, elle recommence, qu’elle se mette en danger. Je voyais en toi que tu voulais que je fasse plus, que je sois plus compatissante… mais maman, je l’étais. Je l’ai été toute ma vie. J’ai tout supporté…
Elle baissa les yeux, serrant ses mains sur sa tasse.
— Je sais… je sais, et je suis désolée. Je n’ai jamais su comment être juste avec vous deux. Avec toi, j’ai été dure, parfois injuste… et je me rends compte que mes mots… aux funérailles… je n’aurais jamais dû… je t’ai blessée ce jour-là. Je n’avais pas réfléchi. J’étais dépassée par tout… J’en voulais à la terre entière, mais plus que tout, je m’en voulais à moi !
Je sentis mes larmes monter. Tout ce poids accumulé, toutes ces années de rancune et de malentendus, se mêlaient à ce mélange étrange de soulagement et de douleur.
— Je sais que tu ne l’as pas fait exprès, murmurai-je. Mais ça n’a pas empêché que ça fasse mal…
Elle leva les yeux vers moi, sincère, pleine de regrets.
— Je… j’ai manqué tellement de choses, Louison. Je n’ai jamais su comment te montrer que je t’aimais. Je pensais que tu comprendrais, que tu savais… mais je me rends compte aujourd’hui que je t’ai laissée seule, trop souvent.
Je pris une grande inspiration, essayant de calmer mon cœur qui battait à toute vitesse.
— Merci de me le dire maintenant… c’est dur, mais je crois que j’avais besoin d’entendre ça.
Nous restâmes un long moment silencieuses, chacune absorbée par ses pensées. Puis, lentement, nous parlâmes de souvenirs plus doux, des moments que nous avions partagés avant que tout ne se complique, des petites habitudes, des gestes, des rires oubliés. C’était fragile, mais c’était réel.
— Je veux vraiment essayer de réparer, continua ma mère, la voix tremblante. Pas pour Pauline, pas pour moi… mais pour toi. Pour nous. Pauline a pris beaucoup de place dans ma vie, c’était dur d’être sa maman, dur de ne pas savoir l’aider… Lucas et toi aviez besoin de moi, et je n’ai pas eu assez de force pour tout gérer…
Je sentis un poids se détacher de mes épaules. Pour la première fois depuis longtemps, il y avait de la lumière au bout du chemin.
— Moi aussi, murmurai-je. Je veux qu’on avance…
Nous quittâmes le café avec un sentiment étrange, entre lourdeur et légèreté, mais surtout avec un fil fragile qui se tissait entre nous. Ce fil serait long à renforcer, mais il existait.
En rentrant chez moi, je me sentis plus légère. Ma vie restait complexe, mes blessures présentes, mais il y avait désormais un espoir. Un pas vers la reconstruction. Et je sus, dans le silence de mon appartement, que chaque mot échangé aujourd’hui avait été un petit morceau de lumière, un souffle de réconciliation.
Quelques minutes après être entrée, je remarquai un petit mot glissé sous ma porte. Écrit à l’encre bleue, d’une écriture que je connaissais bien :
"Il me reste de la blanquette… ça te dit ? – Gabriel"
Un sourire monta sur mes lèvres. Même dans le silence de mon appartement, il y avait ces petits éclats de lumière, ces gestes simples qui me rappelaient que la vie pouvait aussi être douce.
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