Le Journal de Mary Grey

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Henry était un jeune homme féru d'Histoire. Peut-être était-ce le fait de porter le nom d'un roi, mais aussi loin qu'il se souvienne, il avait toujours accordé plus d'importance aux vies de rois et de reines qu'aux récits fictifs impliquant des mondes plus extraordinaires encore.

Pour lui, la réalité regorgeait déjà suffisamment de curiosité et il sut tout petit qu'une fois adulte, il deviendrait histoire. C'est en poursuivant son rêve qu'il devint l'un des plus brillants étudiants de sa promotion dans la classe d'Histoire de l'Université de Westminster.

Parmi ses camarades, il comptait sa chère Marie dont il était follement amoureux. Elle l'appréciait pour son intelligence, mais n'entretenait que leur amitié qu'ils partageaient essentiellement à travers leurs études. Pour Henry, il était le prétendant de Marie. Pour cette dernière, il était un excellent collègue.

Ils avaient tous deux une passion dévorante pour les histoires de souverains. Ils aimaient les icones telles que Lucrèce et César Borgia, Marie Tudor, Richard III, tout un tas d'autres personnages historiques qui ont marqué leur époque, les arts et les lettres. Mais plus récemment, ils s'interrogeaient sur une personne bien particulière qui s'était faite toute discrète durant le règne de Lady Jane Grey ainsi que celui Marie Ire d'Angleterre, la plus connue des Marie Tudor, suivi de sa sœur, Elizabeth Ire.

Elle s'appelait Mary Grey.

Mary Grey était la sœur cadette de Lady Jane Grey et de Lady Catherine, qui réclamèrent la légitimité du trône. Elle était décrite comme laide, bossue, probablement souffrant d'une cyphose et n'était apparue que très peu de fois à la cour, après avoir été assignée à résidence, emprisonnée pour avoir épousé en cachette un certain écuyer du nom de Thomas Keyes (qu'elle ne revit plus jamais).

Pourquoi s'intéresser autant à une personne si discrète n'ayant eu aucune influence apparente sur le monde qu'elle fréquentait ?

Eh bien, elle avait été enterrée avec sa mère, la Duchesse de Suffolk Frances Brandon.

Et Marie, la Marie d'Henry, fréquentait le guide de l'Abbaye de Westminster, où reposaient ces tombes.

Petit à petit, elle avait partagé son envie d'en savoir plus sur ces personnages. N'était-ce pas terrible de vivre si près de la tombe d'un souverain, de pouvoir la visiter, l'admirer, mais n'être qu'à une paroi incrustée de gravures et d'armoiries de découvrir leurs corps ? Mary Grey faisait partie de ces personnes invisibles, au point que malgré la nature de son sang bleu, son nom ne fut pas inscrit aux côtés de sa mère. Elle était probablement plus proche du peuple que de sa propre famille. Marie se sentait proche de Mary.

Une nuit, ils décidèrent de céder à la tentation. Ils avaient une trop grande soif de connaissance pour laisser passer cette opportunité. La tombe était là, toute proche, mais seule la bienséance (et la loi, sans doute) leur interdisait de regarder au fond. Mary, Henry et le guide nommé William s'infiltrèrent dans l'abbaye et attendirent que les lieux soient vides avant d'investir les tombes.

Le gisant de Frances Brandon dominait largement toutes les autres tombes. Avec les outils dont ils disposaient, ils soulevèrent le couvercle et découvrirent un peu mieux le contenu du sarcophage.

L'intérieur était surprenant. Ou plutôt, la situation était surprenante. Qui pouvait se gausser d'avoir pu toucher le corps d'une personne illustre cinq-cents ans après sa mort ? Et qui pouvait prétendre, en ouvrant un coffre d'une telle parure, que les premiers mots venus aient été :

"Bon sang, elle a l'air tellement normale."

Henry se sentait touché. Il était passionné par les rois et les reines, mais maintenant, cela lui apportait une toute autre saveur. Quant à Marie, c'était différent. Le corps de la personne qu'elle admirait n'était pas là. Ou plutôt, pas sous la forme qu'elle avait imaginé. Il n'y avait qu'une urne. Une urne en marbre, probablement. Pas de joyaux, pas de parure, rien. A la hauteur de la discrétion de la femme, mais rien qui ne lui en apporte davantage sur sa soif de savoir.

Elle se pencha pour prendre l'urne.

"Tu ne devrais pas faire ça, Marie, fit William. C'est déjà beaucoup d'y avoir jeté un œil. Ne touche à rien."

Mais elle n'écouta pas. Elle décala l'urne qui, figée par le temps, semblait incrustée à la pierre de la tombe.

Et pour cause, sous l'urne, un compartiment de plomb était logé. Le couvercle était coulissant. Ils s'attendirent à des joyaux, des artefacts, mais il n'y avait rien de ce genre. Seulement un petit carnet. Il était relativement épais, mais le cuir de la couverture et les pages de papier avaient conservé une souplesse exceptionnelle.

Ils avaient trouvé un trésor plus grand encore que ce qu'ils espéraient. Ils avaient entre les mains le journal de Mary Grey.

Ils eurent envie de hurler de joie face à cette découverte. Ils avaient entreprit une démarche dangereuse pour découvrir les secrets d'une personne effacée et pourtant royale. Là, ils avaient accès à de potentiels secrets qui enrichiraient l'Histoire de leurs anciens rois.

Henry était le plus doué en traduction de moyen anglais, alors il eut le privilège de consulter le journal en premier. Comme cela lui prendrait du temps, ils s'accordèrent pour qu'il conserve secrètement l'ouvrage et fasse part de ses découverts au moment venu. Quoiqu'il arrive, ils orienteraient leur doctorats sur leurs découvertes posthumes, replaceraient le journal où il était et ouvreraient de nouveau la tombe en prétextant vouloir vérifier les identités des dépouilles.

C'est en anticipant son avenir d'historien qu'il consulta les pages souples mais néanmoins fragiles du journal de Mary Grey. Les premières journées décrites semblaient terriblement mornes et ne faisaient mention d'aucun évènement particulier. Mais à un moment, il perçut une date. Le 17 novembre 1558, le jour de la mort de Marie Tudor, tout à coup, les pages devinrent extrêmement révélatrices. Elle fit mention de Gilbert, un ouvrier, à qu'elle avait chargé d'empoisonner la Reine. Dans l'histoire, elle était tombée malade, sans plus d'explication. Mais non : elle avait été empoisonnée. Empoisonnée par Mary Grey par esprit de vengeance. Pour venger la mort de sa sœur. Pour se venger de son emprisonnement car elle avait épousé secrètement un écuyer. Pour se venger de la façon dont on lui retira l'étreinte de Thomas Keyes qui mourut treize ans plus tard, sans avoir jamais pu l'embrasser à nouveau.

Le reste de son journal faisait mention de toute la rancune qu'elle éprouvait envers Marie Tudor, et même encore envers sa sœur, Elizabeth Ire, qui fit emprisonner encore la sœur de Mary Grey, Lady Catherine, mort de consomption, emprisonnée elle aussi dans la Tour de Londres, elle aussi pour avoir épousé un homme d'un rang inférieur que la reine ne pouvait souffrir.

"Ces révélations changeront la perception de l'Histoire de la royauté d'Angleterre." Pensa Henry.

Et il n'imaginait pas à quel point.

Les pages suivantes révélèrent que Lady Jane, sa sœur, avait malgré son âge eu un enfant caché. Hors mariage, elle avait couché avec celui qui deviendrait son époux, neuf jours avant sa mort. Guilford Dudley lui offrit une descendance, les jumeaux Marie et Gilbert, en l'honneur de ses sœurs.

Les yeux trempés, Henry réévalua l'Histoire. Si ses enfants avaient été reconnus, la royauté en aurait été bien différente. Mary Grey avait ensuite organisé la protection des enfants et chargé d'autres hommes de l'assassinat de l'entourage de la Reine Elizabeth. Même après sa mort, elle avait eu un pouvoir dissimulé sur la royauté, sans pour autant aller jusqu'à mener sa vengeance jusqu'au bout.

"Il faut que le monde sache !" jura Henry.

Mais tout à coup, il se sentit vaciller. Une douleur lui irradiait la nuque. Il la tâta et ne vit plus que du rouge.

Il entendit alors la voix de William.

"Tu ne m'as jamais demandé mon nom. Je suis William Tudor."

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