Falaise (2)

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Shusendo est la personne la plus proche, en arrivant près de lui, il me dit :

–Je n'aurai jamais pensé revoir ça un jour.

–Quoi donc ?

–Ai qui sourit, elle a l'air tellement heureuse, elle se tient debout avec vous dans son kimono qu'elle affectionne tant, dis-moi pourquoi je vois ça ?

Il a l'air chamboulé, j'essaie de le rassurer :

–C'est parce que tu veux la revoir.

–La revoir ? Non !

Il touche son front avec son index :

–Elle est là ! Et elle y est depuis qu'elle est morte ! Sa voix est à peine audible, un peu comme une pensée lointaine, mais elle est bel et bien là.

–C'est parce que tu tiens à elle, comme tu tiens à nous.

Il me répond en colère :

–Si c'est une blague, elle n'est pas drôle !

Je garde mon sang-froid et affirme :

–Ce n'est pas une blague, c'est ce que tu as au fond de toi.

–Peut-être bien. Nous avons effacé tous ces gens, car nous pensions que c'était juste, que ça apaiserait nos douleurs. Ça n'est qu'en partie vrai, mais nous avons sauvé tellement de gens de la noyade… Tout ceci me faisait oublier mon boulet ; ma sœur et sa maladie. Je la voyais mourir et moi, je ne faisais rien.

–Tu ne lui as jamais dit ce qu'on faisait ?

–Jamais, même si elle devait se douter de quelque chose, puisqu’on parlait de nous tout le temps aux infos. Aucun de nous ne cherchait la gloire, à quoi bon ? On savait très bien que nos messages seraient détournés et modifiés. Et pourtant, on a toujours continué, personne n'aurait pu nous démoraliser. La seule personne que je voulais effacer par-dessus tout, c'était Ai. Je ne pouvais plus la voir, je ne pouvais plus la regarder mourir, c'était beaucoup trop douloureux.

Il finit sa phrase aux bords des larmes et le souffle court, je lui demande calmement :

–Tu vas y aller ?

–… C'est le seul chemin que j'aie et je vais devoir vivre avec.

Il s'avance dans le vide et disparaît, la personne suivante, c'est Aziz qui a de nouveau ses augmentations, il me dit en arrivant à ses côtés :

–Franchement, j'aurais espéré finir en beauté et là regarde-nous, c'est pas vraiment glorieux.

–Tu vas bien ?

–Parfaitement bien !... Mais tu sais, quand tu avances avec juste ta haine, le plus dur ce n'est pas de ne pas avoir d'objectifs, mais c'est de l'avoir alors qu'elle n'a plus aucune raison d'exister.

–Je vois.

–Ce qui m'aidait à l'époque, c'étaient les mots de ma grand-mère, savoir qu'elle me défendait en disant aux autres : "Il n'y a que la mort qui puisse soigner la stupidité !"

–C'était vraiment quelqu'un, ta grand-mère.

–Ça oui, d'ailleurs elle m'attend devant notre immeuble avec vous et ma mère.

–Ta mère est là aussi ?

–Elle a eu beau m'abandonner, c'était parce qu'elle m'aimait, les bliksem ne sont pas censés vivre et quand on l'a affrontée dans le Somnium ; elle n'a pas utilisé toute sa force, même si elle nous avait battus, elle n'aurait jamais rien dit, les Dieux Gardiens l'auraient tué, elle m'a donc testé.

–Je vois.

–Tu sais, ma colère m'a autant aidée qu’elle ne m’a causé de problèmes, mais elle finit par se transformer en poison. Chez les bouddhistes, il existe trois poisons : l'ignorance, représentée par un porc, c'est-à-dire le fait de ne pas chercher à comprendre, ni à en apprendre davantage. Puis l'avarice, sous les traits d'un poulet, et donc le fait de toujours chercher à grignoter un peu plus, à prendre plus que nécessaire et enfin le dernier poison. La colère, représentée par un serpent, celle qui te fait perdre patience et te pousse à vouloir tout détruire. Les principaux remèdes à ces poisons sont la persévérance, l'humilité et la patience. J'ai mis très longtemps à triompher sur ma colère.

–Ça n'a pas dû être facile.

–Ouais, mais j'ai réussi. Bon tout ce qui est adieu, c'est pas pour moi, donc j'te dis à la prochaine !

Il s'avance dans le vide et disparaît :

–Salut !

Je m'approche de Taïba qui est à côté, elle me dit en arrivant :

–Hey ! Comment ça va ?

–Plutôt bien, je vois que tu te portes comme un charme.

–Faut pas se laisser abattre pour si peu, la vie est là pour qu'on soit heureux malgré les moments tristes.

–Le monde est gris, jamais totalement blanc ni noir.

–Ouais, d'ailleurs, on a prévu d'emménager ensemble Claire et moi, dans un petit appart pas trop loin.

–Pourquoi ? L'appartement où on est ne vous suffit pas ?

–Si, mais c'est que Max m'a dit qu'on faisait trop de bruit durant nos parties de jambe en l'air.

–Même avec de la musique à fond ?

–Même avec la musique à fond, j'te dis pas la gêne que j'ai ressentie quand il m'a dit ça.

–Hé hé ! Tu m'étonnes.

Elle touche son alliance :

–Ma petite femme me manque.

–Elle te laisse l'appeler comme ça ?

–Non, elle déteste ce surnom, je l'appelle comme ça pour la titiller. Ma vie a réellement commencé en venant ici, c'est dur de se dire que j'ai loupée presque seize ans de ma vie en jouant la marionnette pour des pervers. Elle se met à trembler et des larmes pointent le long de ses cils, tu sais juste survivre à leurs grès, c'était tellement dur et il y en a tellement qui subissent encore cette torture, je me sens mal en pensant à elles.

Je pose délicatement ma main sur son épaule :

–Hey, arrête de te faire du mal et rejoint là.

–Merci Rose.

Elle me serre dans ses bras, puis elle part dans le vide :

–Rose ! On se fera plein d'autres souvenirs inoubliables ! Et on cassera les couilles de nos ennemis !

–J'en suis impatiente !

Elle finit par disparaître, la dernière personne présente ici, c'est Max, il ne me dit rien quand j'arrive à ses côtés, je finis par briser la glace :

–Max ?

–Oui Rose ?

–Tu vas bien ?

–Je suis un esprit tourmenté Rose, je ne vais jamais bien, mon cerveau tourne toujours en réfléchissant trop.

–Tu penses trop.

–Je sais et c'est ça qui me fait le plus mal, j'envie les sans cervelle, la vérité, c'est que je me sens seul, terriblement seul. J'ai peur de ce que je peux faire, je ne suis pas tout blanc et ceux depuis bien avant que je ne connaisse le Somnium, ma paresse m'oblige à avancer sans m'arrêter. Et maintenant que je suis devant tous ses chemins qui s'offrent à moi, je suis obligé de marquer une pause, je me rends compte maintenant qu'en plus d'avoir été égoïste, nous avons été bien sots de ne pas avoir su faire suffisamment confiance aux autres. Les sept péchés capitaux sont des êtres bien stupides.

–Je ne comprends pas vraiment la signification que tu as voulue donner en faisant les sept péchés capitaux.

–Il y a deux réponses à cette question, la première se trouve dans La Divine Comédie de Dante Alighieri. J'avais pensé au quatre cavaliers de l'apocalypse et leur monture, mais bon, je trouvais que c'était une mauvaise idée. La deuxième était qu'en fait, je voulais faire de nous un mythe, si jamais on était amené à disparaître, d'autres personnes auraient suivi nos pas et c'est devenu possible grâce à toi.

–Qu'est-ce que j'ai fait ?

–C'est tout con, mais en enlevant ton masque durant ton message, tu as montré au monde qu'on était humain comme ceux qui nous regardaient, on a tous suivis ton exemple. Et tu as entendu comme moi, les gens se sont révoltés. On n'a pas réussi comme on le voulait, mais nous n'avons pas perdu.

–Ouais, mais la guerre gronde.

–Écoute, je vais te dire un truc, ce qu'ils faisaient, c'est exactement ce que je vois là ; il me montre de sa main le vide. Ils te donnent l'illusion d'avoir le choix, mais elles mènent au même endroit, je me répète, mais dans la vie, il n'y a que toi qui puisse décider quoi en faire. C'est faire des choix, c'est pas l'illusion d'avoir le choix, échoué n'est pas problématique, ne jamais essayer l'est. Ne pas toujours gagner c’est ok, nous n’avons pas besoin de gagner. Nous nous sommes battus pour dire qu’on existe, qu’on n'est pas seulement une gène, une maladie ou que sais-je encore, nous n’avons pas à demander pardon de vouloir vivre.

–Suivre le chemin que l’on souhaite.

–C'est ça.

Il s'avance et finit par se retourner :

–Rose ! Je veux t'apprendre un dernier truc.

–Quoi donc ?

–N’ai pas peur de suivre ta propre route ! De te perdre ! Nous sommes tous unis par un lien invisible, un lien que personne ne peut faire disparaître, alors n’oublie jamais ce que je vais dire. Ils peuvent détruire ton monde, ils peuvent détruire ton corps, te séparer de tous ceux à qui tu tiens, mais si tu en as le courage et que tu te dresses contre cela, tu arriveras peu importe la distance à rentrer chez toi.

Je lui souris, on me l’avait déjà dit. Il continue de marcher dans le vide et finit par disparaître. Je me retourne, il n'y a plus personne, la falaise a largement diminué en diamètre, si je fais un pas dans n'importe quelle direction, je tombe dans le vide :

–Bon, entre rester ici éternellement et sauter, je préfère me plonger dans l'inconnu.

Je fais une chute vertigineuse qui semble durer une éternité.

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