17. Lucas

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Il s'assit sur le bord du lit. Raven fixait la fenêtre, un bras passé sous le coussin et les cheveux emmêlés reposant sur l'oreiller. Elle ne le regarda pas. Elle ne lui parla pas. Elle ne parlait pas depuis des jours de toute façon.

— Il faut que tu tiennes le coup.

Aucune réaction. Pourquoi disait-il ça au fond ? Elle avait déjà baissé les bras. Elle s'était effondrée et ne se relevait plus. Il eut envie de la secouer, de la redresser, lui dire de rester forte, pour lui. Il avait peur de la perdre. Il était terrifié, même.

— Dis quelque chose, s'il te plaît.

Il voulait la voir sourire, l'entendre critiquer les films avec mépris, la sentir contre lui. S'il pouvait lui insuffler la vie dans un baiser, il l'aurait fait. Si seulement les contes de fées existaient aussi dans la réalité. Il avança sa main près de la sienne et effleura ses doigts. Elle ne réagit pas. Parfois, il se demandait si c'était lui qui avait fait quelque chose de mal.

— Raven, j'ai besoin de toi.

Ses paupières se fermèrent brièvement. Il attendit autre chose. Un geste dans sa direction. Sa main qui prendrait la sienne, par exemple. Mais tout ce qu'il reçut fut ces trois mots qui caressèrent ses lèvres.

— Je suis fatiguée.

Il renonça. Son rendez-vous chez Mme Roliterger était dans dix minutes mais la laisser lui faisait peur. Peut-être qu'elle attendait son départ pour se tuer. Que ferait-il quand il rentrerait et découvrirait son corps inanimé ? Il avait déjà connu l'expérience il y avait seulement une semaine, et heureusement qu'elle respirait encore. Ne pas l'emmener à l'hôpital avait été une décision hasardeuse, il avait juste croisé les doigts pour qu'elle n'ait pas eu de dommages crâniens ou ce genre de choses. Mais s'il l'avait emmenée, ils auraient vu les traces de cannabis dans son sang. Et ce genre de problème était la dernière chose dont elle avait besoin.

— Je dois y aller, lui dit-il. Je suis là dans une heure.

Il eut une terrible impression de déjà vu avec son frère. Ironie du sort, c'était toujours dans ces moments-là qu'il devait se rendre chez sa psychologue. Au final, ce n'était peut-être pas lui qui en avait le plus besoin. Comme il ne reçut aucune réponse, il se leva et sortit de la chambre. Il ferma la porte. Et alors, un énorme doute l'assaillit. Il y avait des couteaux dans la cuisine. De l'alcool dans le salon. Des choses pour se tuer, des tas de choses. Il avait la clef de la porte dans le meuble à sa droite. Il tira le tiroir et la prit entre ses doigts. S'il l'enfermait dans la chambre, il ne pourrait rien lui arriver de mal. En tout cas, elle ne pourrait rien tenter. Alors il inséra la clé dans le verrou. Le cliquetis se répercuta dans le couloir.

Il faisait cela pour la protéger. Et après s'en être convaincu, il reposa la clef sur le meuble.

Il arriva chez Mme Roliterger quinze minutes plus tard, légèrement en retard. Elle l'attendait sur son fauteuil vert, une tasse de thé sur le meuble d'à côté.

— Excusez-moi, fit-il en soufflant bruyamment avant d'ôter sa veste en cuir.

— Comment vas-tu ?

— Bien.

Il s'assit lourdement sur le canapé.

— Je ne suis pas quelqu'un que tu croises dans la rue, Lucas. Je te l'ai déjà dit, quand tu me réponds, je veux de l'honnêteté.

Il avait oublié ce détail. Tellement de choses se bousculaient dans son crâne. Il se demandait encore si enfermer Raven était le bon choix, si elle n'allait pas se mettre à hurler et frapper à la porte comme une prisonnière. Il faisait ça pour la protéger.

— J'ai... beaucoup de choses à gérer.

— Comme quoi ?

— Des personnes qui ont besoin de moi.

— Elles ont besoin de toi ou tu crois que tu es indispensable pour eux ?

— Il n'y a pas de différence. Quand l'un a besoin de quelqu'un, l'autre est toujours indispensable pour lui. C'est une suite logique.

— Ou pas.

Elle fit tourner sa cuillère dans la tasse. Pendant quelques secondes, il n'y eut que le tintement du métal contre la porcelaine.

— Est-ce que tu peux citer quelqu'un qui avait besoin de toi mais dont tu ne t'es pas senti indispensable pour lui ?

Un nom tomba immédiatement dans son esprit.

— Elle s'appelait Leila.

— Parle-moi d'elle.

Mais il fronça d'abord les sourcils.

— Vous saviez que j'allais répondre par ce nom, n'est-ce pas ?

— Je ne suis pas psychologue pour rien, sourit-elle. Alors, cette Leila.

Il ne se sentait pas vraiment de parler d'elle, mais face à son air impétueux, il n'eut d'autres choix.

— Je l'ai connue quand j'avais douze ans. Elle était dans le même collège que nous, dans la même classe alors évidemment, les liens se sont tissés tous seuls. Sa mère n'était pas très riche mais assez bien installée on va dire. Son père était avocat dans des organisations internationales, donc l'argent venait principalement de lui. Elle était fille unique, la petite chérie de sa famille. Elle s'est rapidement faite aimer par nos familles. Elle avait un je ne sais quoi en elle qui bousculait, son regard touchait et ne relâchait jamais sa prise. C'était ce qui faisait son charme, et son intensité la rendait populaire. Pourtant, quand on la connaissait un peu mieux, on voyait les fissures derrière son masque parfait.

— Quelles fissures ?

— La manipulation dont elle faisait preuve. Son "pouvoir de persuasion" comme elle l'appelait. Et puis des caprices qui, parfois, la rendaient presque mauvaise. Ça ne m'étonne pas que sa mère l'ait traitée comme une enfant gâtée plus petite et Leila y avait pris goût. Emma et elle se sont rapidement liées d'amitié. Leila s'habillait comme elle, se coiffait comme elle, adoptait les mêmes expressions. Elle n'avait pas à se soucier de l'argent puisqu'Emma lui donnait de quoi rembourser le crédit d'une maison. C'était comme ça au collège. Puis au lycée, les rôles se sont inversés. Leila était populaire, bien plus que nous tous réunis. Emma avait ce désir intense de briller et elle avait réussi jusque-là. Sauf que Leila a pris le dessus. Elle s'est imposée sur elle, l'a littéralement écrasée. J'avais l'impression d'être le seul à voir ce changement, même Emma ne s'en rendait pas compte.

— Et tu n'as rien dit ?

— À qui j'aurais pu dire ça ? On aurait haussé les épaules en disant "c'est Leila quoi". Et j'aurais dit "oui, c'est vrai" parce que oui, c'était vrai. Et puis, ce n'était qu'une histoire de réputation.

— Ça l'est resté ?

— Non. Emma a fini par péter un câble. Elle s'est arrêtée de manger. C'était sûrement pour attirer les regards sur elle, pour qu'on s'occupe d'elle au lieu de Leila. Mais personne n'a rien osé dire. On était trop jeunes, on ne savait pas vraiment ce qu'elle faisait jusqu'au jour où elle s'est évanouie en plein cours de chimie. Ils l'ont transporté à l'hôpital et ont dit qu'elle était en train de mourir de faim. Quand je l'ai vue sans toutes ses couches de tissus sur elle, on aurait dit un squelette. Et Leila était à côté à lui serrer la main, les larmes aux yeux. Je n'ai jamais vraiment su si ses larmes étaient authentiques ou pas. Sur le moment, j'ai pensé que oui. Aujourd'hui ? Aucune idée.

— Tu n'arrivais donc pas à la cerner complètement.

— Personne n'aurait su la cerner complètement. Elle était si compliquée, si impulsive qu'il était impossible de prévoir ses réactions. On ne savait pas si les mots qui sortaient de sa bouche étaient vrais ou pas, ni si son comportement reflétait vraiment ses sentiments. Je ne me suis aperçu que trop tard du tas de mensonge dans lequel elle vivait. Leila était une illusion. Impossible à tenir dans la main, mais devant les yeux, brillante, étincelante. Et derrière, la pourriture qui rongeait les rayons de lumière.

Corine porta la tasse à ses lèvres.

— Quand Raven est arrivée dans notre groupe, reprit-il, elle l'a assez bien pris. De toute façon, elle était tellement collée à Emma qu'elle s'intéressait à peine à elle.

— Donc l'amitié entre Emma et Leila était vrai, tu penses ?

— Ah, ça oui. Je n'en doute pas. Il se peut que Leila ait volontairement écrasé Emma par jalousie, envieuse de son argent et de son avenir resplendissant, et peut-être même qu'elle a pris du plaisir à la voir s'écrouler, mais leur amitié se basait sur ça. S'entre-déchirer pour s'aider à se relever mutuellement, puis s'entre-déchirer à nouveau, se tirer à nouveau par la main, encore et encore. Elles avaient besoin l'une de l'autre, même si se besoin reflétait un désir d'autodestruction. L'amitié c'est comme l'amour, ça peut être sain ou totalement toxique.

— Je vois. Et donc elle ne s'est jamais vraiment tournée vers Raven, c'est ça ?

— Pas au début, non. Je me suis rapproché de Raven sans qu'elle n'en sache rien. Je n'ai rien caché, c'était juste elle qui ne s'y intéressait pas. Puis est arrivé l'année de Terminale. Son regard s'attardait plus souvent sur moi. Elle me souriait pour un rien pendant les cours, elle me proposait de passer des après-midi ensemble. Et moi j'avais juste en tête d'essayer. Je n'avais eu aucune petite amie jusque-là parce que ça ne m'intéressait pas, mais en voyant mon frère passer autant de temps avec Madden, en voyant le jeu auquel ils se prêtaient, j'ai voulu moi aussi en apprendre les règles. Leila s'offrait à moi si facilement, je n'avais qu'à tendre la main. Au début, je suis resté un peu sur mes gardes mais elle était si avenante que ça n'a pas duré longtemps. Une sorte de complicité s'est créée. Intérieurement, je pensais vraiment qu'il y allait avoir quelque chose. Elle était jolie, et malgré ses défauts, je l'aimais quand même. Puis un soir, on marchait sur la plage et elle m'a demandé de l'embrasser. Je l'ai fait. J'ai embrassé une fille pour la première fois, je me suis plutôt bien débrouillé. Et elle avait l'air heureuse. Mais ce n'était pas comme je m'y attendais. Je n'ai rien ressenti de vraiment spécial, et la première chose qui m'est venu en tête au moment de poser mes lèvres sur les siennes était de les écarter définitivement. Alors j'ai compris à ce moment-là qu'elle n'était qu'une amie pour moi et j'ai commencé à refuser ses invitations. Je me suis peu à peu tourné vers Raven et là j'ai senti quelque chose de beaucoup plus fort qu'avec Leila. J'ai passé presque tout l'été avec Raven. Aucun de nous n'a osé exprimer à voix haute ce qu'il pensait, du coup j'étais certain que mes sentiments n'étaient pas réciproques. J'avais peur qu'elle ne soit comme moi avec Leila, qu'elle ne me voit comme un ami sans penser à plus. Après tout, c'était ce qu'on avait été depuis des mois et ça marchait plutôt bien.

— C'est là que débarque le Mur, non ?

— Ouais, c'est là. J'avais entendu l'histoire d'une malédiction qui touchait ceux qui refusaient d'obéir au Mur et je trouvais ça tellement stupide. Pour moi, que le Mur me nomme ou non, j'en avais rien à faire. J'étais à Memphis pour étudier et j'allais étudier. Mon frère m'a traîné de force à la soirée du Mur, une fête qu'ils font le premier dimanche de la rentrée pour célébrer la vie avant le carnage. Leila insistait sur son pressentiment d'être nommée et je l'écoutais sans grande attention. Évidemment, c'était une occasion en or pour elle de se faire remarquer, encore une fois. Alors c'était naturel qu'elle souhaite ça. Puis quand je me suis retrouvé face à mon nom je n'ai pas compris tout de suite. J'ai pensé que c'était une blague. C'est rare que des premières années soient nommés, et pourtant, c'était bien mon nom avec celui de Leila inscrits le Mur. Le fait qu'il y ait eu cette énorme coïncidence m'a fait douter sur mes positions. On a commencé à me raconter toutes les preuves de la malédiction, on m'a vivement conseillé de me mettre avec elle. Je l'ai fait.

Les yeux de Corine s'agrandirent de surprise.

— Tu t'es mis avec elle ?

— Qu'est-ce que j'aurais pu faire d'autre ? C'était soit ça, soit on me destinait à un sort tragique. J'ai préféré jouer sur la sécurité et Leila paraissait la plus heureuse des filles de Memphis. J'ai fait l'effort, j'ai vraiment essayé. Plus le temps avançait, et plus elle se collait à moi. Je n'osais pas m'en plaindre parce que cette fille, elle était adulée même dans notre groupe. La seule à qui je me confiais était Raven. Nos liens se sont renforcés grâce à ça. Puis un soir, tout a dérapé. J'étais avec Raven et Leila a débarqué à l'improviste, elle nous a vu. Elle a fait une crise de jalousie, insultant Raven de tout et de rien sous mes yeux. J'étais impuissant, je ne voulais pas me mettre d'un côté et me dresser contre l'autre. Mais au fond, mon choix était déjà fait. Après ça, Leila est devenue une vraie harpie. Elle était insupportable, toujours à se plaindre de tout, de la manière dont je la traitais alors que je ne faisais absolument rien de mal, de ma préférence pour d'autres filles, de mon indifférence envers elle. Tous les jours elle sortait des remarques, et tous les jours je gardais ma colère à l'intérieur par peur de dire quelque chose de vraiment blessant. On a couché plusieurs fois ensemble sans que je n'y prenne vraiment plaisir. Je croyais qu'elle allait me lâcher. Je pensais qu'en remarquant ma distance, elle allait se jeter dans les bras d'un autre pour m'oublier. Mais non. Le contraire s'est produit. Elle vérifiait les messages sur mon téléphone, m'épiait sans cesse, m'attendait même à la sortie du gymnase pendant les weekends. À force, je n'ai plus supporté. Toute crainte de la blesser s'est évanouie et je suis allé voir Raven. C'est le fameux soir où je l'ai embrassée pour la première fois. À ce moment-là j'ai su, profondément, que c'était elle que j'aimais.

— Tu penses avoir fait ce qui était juste ?

— Non. Mais je l'assume complètement. Je sais qu'embrasser Raven alors que j'étais encore avec Leila n'était pas la bonne chose à faire, mais honnêtement, j'en avais rien à faire. Ça faisait des mois que j'étais en couple avec Leila et tout ce dont je voulais, c'était que l'année se finisse pour enfin me libérer. Mais on était en février, il y avait trop de temps à attendre. Et le comportement exécrable de Leila n'a pas aidé.

— Elle a su pour le baiser ?

— Non. Ni pour les autres qui ont suivi. Ni pour mes nuits passées avec Raven. Elle ne savait rien du tout et elle se confortait dans ses propres mensonges.

— Tu mentionnes plusieurs fois le mensonge quand tu parles d'elle, remarqua-t-elle.

— Oui, parce que chaque minute de sa vie était un mensonge. Elle ne respirait que grâce à ça. Et elle s'est donnée la mort parce que c'était son unique chance de sortir de tout ce merdier en innocente.

— J'ai regardé ton dossier médical, déclara Corine en reprenant sa tasse de thé. Tu étais sur les lieux quand elle s'est donnée la mort, n'est-ce pas ?

— Je l'ai vue tomber du pont, oui.

Et il la voyait encore. Quand il fermait les yeux, son corps chutait dans les profondeurs de la nuit, ses longs cheveux châtains balayés par le vent, son regard tourné vers lui, des yeux croulant sous les larmes. L'entendre hurler ne lui avait pas suffit pour se retenir. Elle voulait qu'il assiste à sa chute. Le rendre coupable pour le restant de sa vie, lui planter le dernier poignard qu'elle gardait contre elle. Il avait hurlé ce soir-là. Hurlé jusqu'à s'en arracher les cordes vocales. C'était une chose de détester quelqu'un, s'en était une autre de le voir se tuer.

Corine reposa sa tasse avec un air grave.

— Dans les jours suivants où tu as refusé de parler, à quoi tu pensais ?

— Ils ont écrit ça dans le dossier ?

Elle hocha lentement la tête.

— Ce n'est pas que j'ai refusé de parler. Je n'avais rien à dire, c'est tout.

Puis il fixa ses mains en s'étonnant de la saleté de ses ongles. L'huile des moteurs de voiture, certainement.

— Est-ce qu'elle était violente avec toi ?

— Quand elle faisait ses crises, elle lançait des choses sur moi. Parfois je les évitais, parfois non. Elle a cassé une horloge de collection qui appartenait à mon grand-père et mon père m'a fait comprendre le reste juste après. La douleur physique, je connaissais. Et puis ce n'est pas comme si je n'avais rien fait non plus.

— C'est-à -dire ?

— Elle me jetait des trucs à la figure, je faisais pareil, dit-il en haussant les épaules.

C'était si simple, dit comme ça.

— Tu savais que ce n'était pas normal, n'est-ce pas ?

— Il n'y jamais rien de normal dans notre monde. Les gens ferment les yeux face à des évidences parce qu'ils ont peur de ce qui pourrait leur tomber dessus s'ils osent parler. La mère de Leila n'était pas aveugle, elle voyait comme tout le monde les blessures sur sa peau, c'était pareil de mon côté. Mais personne n'a jamais rien dit. Alors on a continué.

— Et elle t'aimait malgré ça ?

— Elle n'a jamais cessé de m'aimer. Et ce qu'elle aimait par-dessus tout, c'était de pouvoir souffrir sous ma main.

Corine laissa un bref silence se poser avant de reprendre la parole.

— Les médecins ont trouvé des séquelles sur ton corps.

Il arracha un morceau de peau de son doigt.

— Je sais.

— C'est grave ce qui t'es arrivé, ça tu le sais non ?

— Pas plus grave que mourir noyée.

Il se redressa et prit sa veste d'une main.

— L'heure est passée, dit-il d'un air détaché.

— Je n'ai pas de patients après, j'aimerais continu...

— Pas moi.

Elle se leva en même temps que lui. Il y avait dans son regard quelque chose qu'il n'avait jamais vu dans son calme olympien, comme une crainte. Il lui avait révélé la face sombre de son couple avec Leila telle que personne ne la connaissait. Et il y avait encore des milliers de choses qu'il ne disait pas et qui pourtant, resteraient gravés à jamais sur sa peau. Ses griffures quand il la plaquait contre le mur, ses gifles qu'il entendait encore dans ses rêves les plus mauvais, les bouteilles d'alcool qu'elle brisait sur lui. Et parfois, sa mémoire lui rappelait ses propres coups, ceux qu'il lui avait enfoncés dans le ventre, les cheveux qu'il avait arraché, tous ces cris de rage qu'il avait poussé quand il ne supportait plus de la voir.

— J'ai été un monstre à une certaine période de ma vie, confia-t-il brusquement. Je me suis détesté pour ça.

Il fixa les portes vitrées en laissant échapper un rire méprisant.

— J'avais l'impression de devenir mon père à force de frapper.

— Est-ce que Raven sait tout ça ?

— Ouais, bien sûr qu'elle le sait. Mais croyez-moi, je n'étais violent qu'avec Leila. C'était elle qui me poussait à bout. Le jour où tout s'est arrêté, j'ai enfin ouvert les yeux et je me suis promis de ne plus jamais lever la main sur qui que ce soit. Ce genre de promesse que si on brise, on se brise soi-même vous voyez.

Corine acquiesça.

— Je comprends.

Puis il n'eut plus envie de parler de tout ça et sortit du cabinet. En roulant, il ouvrit les fenêtres et fuma une cigarette, songeant à toute sa confession. Il ne regretta pas de lui avoir dit tout ça. Il se sentait mieux, plus léger, comme s'il parvenait à effacer Leila un peu plus de sa mémoire. Il arriva chez lui et gagna immédiatement la porte de sa chambre. La clef était toujours posée sur le meuble. Il la saisit et l'enfonça brutalement dans le verrou.

Le regard que Raven lui jeta le tailla en pièces. Elle était assise en tailleurs sur le lit, sa frange cachant à moitié ses yeux bruns, son sweat trop grand pour son corps.

— Pourquoi est-ce que tu as fait ça ? demanda-t-elle d'une voix cassée.

Il serra la clef entre ses doigts.

— J'avais peur que tu te fasses du mal.

— Me faire du mal ?

— Je voulais te protéger, c'est tout.

Il reposa lâchement la clef sur l'étagère à côté de son épaule.

— C'est ce que j'essaie de faire depuis quatre putain d'années sans jamais y parvenir, marmonna-t-il.

Il regagna le salon, déposant sa veste sur le porte manteau. Raven l'avait suivi en silence et s'appuya contre le chambranle de la porte, les bras croisés et un air fatigué planté sur ses traits.

— Ne refais plus ça.

— Toi non plus.

— De quoi ?

— Ne plus me parler comme tu l'as fait.

Elle se mordit la lèvre inférieure puis acquiesça doucement. Ses pieds marchèrent silencieusement sur le parquet puis ses bras vinrent s'accrocher autour de son cou. Il enfouit son nez dans ses cheveux, la serrant contre lui plus fort qu'il n'avait jamais osé.

— Je lui ai parlé de Leila, tu sais, souffla-t-il.

Elle ne répondit pas.

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