Chapitre 2: Naissance du cercle

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Ymittos - Années 901

Mon regard se perd sur les derniers vestiges d'une terre que je quitte sans regret. Les nuages s'amoncellent en une masse grisonnante, menaçante. Une nouvelle colère de Zeus va s'abattre sur la Grèce, faisant claquer les voiles de notre navire. Aquileus se tient droit comme la justice derrière moi, m'arrachant un sourire bien malgré moi. À ma demande, c'est la première fois qu'il prend le bateau et quitte son pays. Depuis qu'il est à mes côtés j'ai l'impression de devenir bien moins déesse. Il me certifie que c'est la meilleure des choses, bien que j'en doute. Je me retourne pour lui faire face, mes cheveux noirs viennent gifler mon visage. Je me demande un instant pourquoi il a décidé de me suivre, mais n'ose pas lui poser la question. Je préfère lui tendre mon carnet de note, c'est une idée -suggestion- de sa part, qu'il reçoit avec un sourire qui se cache bien moins maintenant. Je me détourne pour venir me pencher au dessus des flots et déposer sur ma main un baiser que j'adresse à mon ami Poséidon.

-Es-tu sûr de vouloir me suivre ? A partir de maintenant j'avance sans savoir ce qui en sortira, l'avenir se trouble déjà beaucoup trop pour que je puisse t'assurer que tout ira bien.

J'ai parlé fort sans me retourner pour couvrir le bruit du jeu de Éole. J'ai obtenu beaucoup d'aide pour partir car nous devons nous cacher, moi et ma fille. Je l'ai confiée à l'une de mes soeurs. J'espère que Scylla sera en sécurité sans moi, mais je n'ai pas le choix. Les dieux de l'Olympe ont prit la décision de ne pas prendre parti dans la guerre qu'ils se livrent entre eux comme une trahison. Je me rappelle la convocation, les regards braqués sur ma personne et Zeus lui-même qui m'interroge à la manière d'un être suprême. Ses propos lui laissant croire qu'il m'a mise à ma place alors qu'en fille de titan j'étais là bien avant lui et la horde des douze olympiens. Tenant chacun leur tour le bâton de la parole j'entends encore leur plaidoirie, certains contre moi, d'autre comprenant l'engagement que j'ai pris. Ensuite mon réveil brutal au milieu de la nuit par Phorcys, son dernier engagement à m'aider alors qu'il est clairement pour cette guerre. Je soupire en revenant au présent attendant la réponse de celui qui en plus d'être mon apprenti est désormais mon ami. La voix grave et rieuse de mon compagnon me tire de mes souvenirs.

- Je t'ai reconnu au moment où ta main a rencontré la mienne. L'avenir s'écrira avec toi Déesse ou ne s'écrira pas, c'est ainsi maintenant et pour les siècles à venir qu'importe ce qui m'attend au-delà de cette mer. Ne cherches-tu pas plutôt une excuse pour te débarrasser de moi ?

Je laisse un rire cristallin filer dans le vent alors que mes mains attrapent mes cheveux par poignée pour les maintenir en place. Il est malin et il a raison, j'invoquerais n'importe quelle excuse pour ne pas l'entraîner avec moi dans l'inconnu. j'ai encore en mémoire l'attaque de la vision, ce regard bleu qui me menace de mort puis les autres visions qui ont suivi et m'ont poussée à faire naître cette idée un peu folle. Aquilus est le premier de ce qu'il a nommé le Cercle. Bien sur je lui ai demandé pourquoi ce nom-là et la réponse fut à la hauteur de ce que j'avais déjà perçu comme potentiel. Il avait simplement rappelé son symbolisme en mathématiques mais aussi chez les prêtres : Il représente le tout fini et infini, l'unité et le multiple, le plein et la perfection et c'est à cela que devrait tendre chaque membre qui le rejoindrait. Je suis plutôt d'accord avec lui. Il donne des mots à mes idées et renforce ma présence en ce monde. Je n'ai jamais possédé un corps humain aussi longtemps et cela semble avoir des effet sur celui-ci. Je devrais étudier cela lorsque je pourrais, sans oublier de le reporter sur mon carnet ou Aquileus m'en voudrait. J'ai parfois l'impression qu'il me prend pour une petite fille, dans un certain sens c'est presque cela. Je le sens se déplacer pour se placer près de moi contre la rambarde et je n'ai pas besoin de le regarder pour comprendre qu'il veut discuter avec moi du dernier carnet que j'ai écris pour lui. Je sais que certains passages lui semble flous voire incompréhensibles, il ne le sont pas moins pour moi. J'attends juste qu'il ose prendre la parole alors que je découvre que mon corps souffre vaguement du mal de mer, ou alors ce sont tous ces marins et leurs cris qui me rendent mal.

- Ma déesse ?... Les dernières note que j'ai lu sont... Pour le moins édifiantes. Pourtant je pense qu'il vaut mieux brûler ce carnet-là.

Je hausse un sourcil, réellement surprise, et tourne mon visage pour mieux observer son profil. Moi qui pensais vraiment qu'il aimerait, je me trouve décontenancée. Ses lignes pourtant ouvrent de grandes possibilités alors pourquoi vouloir que je détruise le plus important ? Son visage n'exprime rien, rien que cet air niais qui n'est pas lui et pourrait m'agacer si je ne savais pas que s'était son système de défense. Je croise les bras et pose ma tête dessus pour regarder la terre qui disparaît de plus en plus. Je tente de comprendre pourquoi cette demande. Finalement ne trouvant pas de réponse, je me retourne de nouveau.

-Pourquoi ? C'est pourtant le plus grand de tous les pouvoirs alors explique-moi pourquoi je devrais garder cela pour moi ?

Enfin ses yeux sombres se posent sur moi avec un sérieux que je ne lui connais pas. Je frissonne malgré moi en ressentant son pouvoir s'agiter alors qu'il cherche les bons mots pour me faire comprendre son point de vue. Qu'il prenne autant de temps ne me plaît pas et me met mal à l'aise.

-Les dieux et les humains ne sont pas prêts à savoir cela, Hécate. Entre de mauvaises mains ce que tu as découvert pourrait changer beaucoup de choses.

C'est donc cela qui lui fait peur, car c'est de la peur que j'analyse dans son comportement. Je me redresse et recule avec une moue nauséeuse. Je prends le temps de réfléchir à ses paroles. Il est sage, je dois bien le reconnaître et sous ses airs de grand idiot il me donne l'impression que les moires lui ont accordé plusieurs vies d'une intense richesse pour pouvoir aujourd'hui tout m'apprendre sur ce monde que j'aime plus que tout. Je finis par hausser les épaules avec un fin sourire.

-Comme toujours, tu es de précieux conseil, je ferais comme tu me le demandes et ce même si je n'arrive pas à saisir la portée de tes propos. C'est pourtant un des principes alchimiques de base, si l'on suit l'oeuvre au noir... Je t'accorde que l'étape la plus difficile n'est pas la mort comme l'on peut le penser mais la putréfaction, il faut que tous les éléments soient réunis... Pardon je n'en parlerais plus jamais non plus... Pourtant n'es-tu pas tenté ?

Il éclate de rire ses deux mains tenant la rambarde pour ne pas basculer en arrière. Il ne reprend son calme que très longtemps après, ses yeux rieurs ne me quittant pas une seconde. Il finit pas secouer la tête avec douceur.

-Je t'adule Hécate, mais jamais je ne voudrais être toi. Toute cette souffrance pour en arriver à ça ? Il faudrait être fou.

Je fronce les sourcils, incapable de savoir si je dois me sentir vexée ou pas. Je passe une main dans mes cheveux alors que je ferme les yeux. Ma main passe subitement sur ma bouche en sentant la nausée se faire plus présente sous le tangage incessant de ce maudit bateau. Je ne reprend pied avec la réalité que lorsque la main rassurante de mon ami se pose sur mon épaule.

-Viens nous allons prendre un remède contre le mal de mer avant que tu ne rendes ton repas.

[...]

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