Chapitre 10 : Le réveil

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Ymittos - Janvier 2015

-Cordélia, Cordélia, lève-toi !

La voix de Justin me parvient étouffée comme s'il parlait à travers une multitude de tissus. Mes paupières papillonnent, le monde est flou... Pas de yeux bleus pour m'agresser, je suis juste étendue sur le canapé de la loge que je partage avec mon meilleur ami. Il est penché sur moi et il a l'air furieux. Qu'ai je encore fait pour mériter ce regard plus noir que marron ?

-Allons lèves-toi feignante, c'est bientôt à ton tour, tu crois que je te paie à dormir ?

Je soupire avant de froncer les sourcils. Comme toujours, j'ai du mal à immerger de mes rêves. J'ai toujours un instant où je me demande où se trouve la réalité. Je m'appelle Cordélia Mc Stone, je suis l'attraction vedette du cabaret de Justin : Hécate la femme magicienne et voyante. J'ai travaillé dur pour en arriver là, mais depuis toujours, je suis assaillie par des rêves qui semblent plus vrais que ma vie. Je me redresse en passant mes mains sur mon visage tout en grommelant quelques mots incompréhensibles même pour moi. Cela semble convenir à Justin, car lorsque je relève la tête, il est déjà parti.

J'entends à travers la porte de ma loge les acclamations du public alors que je me lève pour me poser devant ma coiffeuse. Je m'observe un long moment, encore sous l'effet de mon dernier rêve. J'ai encore rêvé de l'homme aux yeux mordorés et celui aux yeux azur, ils se disputent de ce que je me souviens, j'ai l'impression que cela me déchire le cœur. Parfois aussi, je rêve de cet homme que je supplie de ne pas faire quelques choses qui pourraient détruire un monde auquel je tiens, c'est un ami, mais il ne m'écoute pas. J'ai l'habitude maintenant de ces rêves, ils font partie de moi, pourtant, j'ai toujours ce sentiment qu'il me manque une partie de ces visions oniriques pour en comprendre le sens.

J'entends l'appel sur scène, c'est bientôt à moi. Ce soir, je me contente de mon numéro au violon, la voyance, c'est seulement le jeudi. Je sors de la loge pour aller observer la salle, cachée derrière le rideau. La salle est comble, mais à l'inverse des autres personnes du monde du spectacle, je n'ai pas de stress. Je ne suis pas douée pour ressentir ou exprimer des émotions, mes parents me l'ont souvent reproché. Maintenant, c'est une aide que d'avoir l'impression que cette vie n'est pas la mienne. Soudain, mon regard est attiré dans la salle. Dans un coin, le visage fermé, se tient un homme. Il est immense et sec avec un regard perturbant. Ce regard, je suis presque sûre de le connaître. C'est impossible, je le sais, c'est la première fois que je viens à Ymittos. Je me recule, troublée par l'homme. Je n'ai pas vraiment le temps de me poser plus de questions, car j'entends que l'on me nomme sur la scène, c'est à moi de faire mon numéro...

J'entre en scène mon étui en main, simplement vêtue d'une robe noire longue. Je suis dans la peau de mon personnage : Hécate et plus rien ne compte, pas même l'homme qui me regarde avec intensité. Je dépose mon étui avec une extrême délicatesse sur la table et l'ouvre comme si je m'apprête à en sortir un bijou rare. Ce qui dans mon esprit n'est pas loin d'être vrai, je voue à mon violon un amour que je suis incapable de donner à n'importe quel être humain. La musique a ceci de magique, c'est qu'elle est un langage à elle toute seule qui en dit bien plus que des mots. Il n'y a que lorsque je joue de celui-ci que je me sens vivante.

Je sors mon violon alors que j'entends les murmures de la salle comme un écho lointain. Ils ont presque disparu pour moi, seul reste mon instrument que je cale entre mon menton et mon épaule. Je me redresse enfin, comme une danseuse prête à effectuer quelques pas. Je ferme mes yeux un instant, laissant mon archet frôler les cordes pour en tester le son tandis que la salle fait silence. Un sourire de ravissement éclaire mon visage avant qu'il ne reprenne des traits sévères. Lorsque je me décide enfin à ouvrir de nouveau mes yeux, ils tombent directement dans ceux mordorés de l'inconnu qui m'observe étrangement.

*Déesse je vous ai cherchée tellement longtemps... *

Mes pupilles s'arrondissent de surprise. Est-ce que je suis en train de devenir folle, ou ai-je bien entendu la voix de l'inconnu dans ma tête ? Comme dans un état second, je commence à jouer alors que mes pupilles ne peuvent se détacher de l'homme. Il ne bouge pas, ne parle pas et pourtant, il se passe entre nous comme une connexion. Des images assaillent mon esprit me donnant l'impression que le monde autour de moi vacille. Que m'arrive-t-il ?

Je lâche soudainement le violon et m'enfuis sous les yeux abasourdis des spectateurs. Je me laisse glisser contre le mur de la rue, des larmes troublant ma vue. Je ne comprends rien alors que les images, elles, continuent de défiler sous mes yeux.

Je vois, l'homme qui est dans la salle, je vois l'homme aux yeux bleus et je vois aussi les autres... Ceux qui comme moi n'ont pas échappé à la malédiction. Combien de temps ai-je dormi ? Pourquoi n'ai-je pas pu convaincre Hadès de ne pas jeter son sort ? Avons-nous vraiment perdu l'Olympe ? J'ai soudainement trop de questions et si peu de réponses. Recroquevillée dans la rue, je cherche à comprendre comment puis-je être Cordélia et en même temps Hécate, j'ai le sentiment d'être coupée en deux. Je ne relève les yeux que lorsque j'entends un bruit en face de moi et devant moi se tient l'homme... Alan, il s'appelle Alan et c'est mon apprenti.

-Viens si tu veux comprendre

Je me saisis de la main qu'il me tend sans attendre.

[...]

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