Chapitre 13 : Le piège du serpent

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Cela fait plusieurs heures que je suis assise derrière mon ordinateur. J'essaie de remonter le temps de cette ville, de comprendre qui est qui et, pourquoi. J'ai pu renouer contact avec certains dieux, et même conclure plusieurs accords qui me permettent de rester neutres dans cette nouvelle guerre qui se profile. Pourtant, ce n'est pas assez, bien que je n'aie pas eu de nouvelle de Hank depuis la malédiction dont je l'ai affublé, je sais qu'il se prépare lui aussi. Je l'ai élevé, éduqué et enseigné ce qu'il sait et bien plus encore, à mon plus grand désarroi. Alors, je peux presque sentir chacun de ses mouvements, presque, car il n'est plus celui que j'ai connu. Je soupire soudainement agacée par le tour que prennent mes pensées. Je n'arrive pas me sortir de l'esprit cette trahison. Ce n'est pourtant pas la première fois qu'un sorcier change de camps au profit de Lilith. Celle-là, elle savait jouer sur la douleur pour vous retourner un cerveau. Il y avait autre chose qui me met en colère, mais je n'arrive pas à mettre les doigts dessus. Je me rejette en arrière dans mon fauteuil le regard rivé au plafond. Aquileus, tu n'imagines pas à quel point tu me manques. J'ai besoin de tes conseils toi qui a toujours su décrypter le moindre mouvement de mon humeur mieux que moi-même. Tu n'aimais pas non plus la famille Brythes, je n'ai jamais compris pourquoi et tu n'as jamais su me l'expliquer. Avais-tu ressenti le possible danger de cette famille ? Non, c'était autre chose, s'était dans ton regard à chaque fois que tu nous regardais...

J'interromps le cours de mes pensées par la soudaine vibration de mon portable. Je fronce les sourcils envoyant le numéro d'Alan s'afficher. Nous avons rendez-vous dans vingt minutes ici alors pourquoi m'envoyer un message ? J'espère qu'il n'a pas eu de soucis avec le chef des chasseurs d'Artémis. Lorsque j'ouvre le texto, mon sang se fige et je bondis sur mes jambes presque malgré moi. Mes yeux parcourent une nouvelle fois les mots tandis que la colère me fait serrer le portable au point que l'on entend le plastique craquer sous mes doigts : “les retrouvailles avec ce cher Alan sont vraiment émouvantes. Nous avons beaucoup à nous dire... À toi de nous trouver.” Je n'ai jamais été aussi furieuse, car je sais qui vient d'utiliser le portable d'Alan. Je pianote une rapide réponse avant d'appeler sur le fixe de mon ami et de tomber malheureusement sur le répondeur. Ma seule pensée à ce moment-là est celle de me dire que j'allais prendre un immense plaisir à lui arracher les yeux pour avoir osé s'en prendre à lui. Mon portable vibre de nouveau et ce que j'y lis achève de me mettre vraiment en colère. Il se paie en plus le luxe de se moquer de moi. Je pose les mains à plat sur mon bureau, je compte lentement jusqu'à dix pour m'obliger à me calmer et remettre de l'ordre dans mon esprit avant d'agir. Je saisis de nouveau mon portable pour composer un numéro que je connais par cœur. La voix familière de Sophia répond au bout de deux sonneries.

-Bonjour, c'est Cordélia. Prévenez-les que j'aurais du retard, mais que je veux qu'ils m'attendent ce soir, j'ai à leur parler...

Je ne lui laisse pas le temps de prendre la parole que je raccroche et jette le portable au fond de mon sac. Je ferme les yeux, projetant mon pouvoir dans tous les sens afin de capter l'aura du mage. Il n'est pas difficile de le trouver, un peu trop facile même, mais dès le départ le piège s'était refermé sur moi, au moment même où il a pris Alan pour cible. Lentement, mais sûrement, je remonte son aura comme un poisson la ligne du pécheur. Un rictus se dessine sur mes lèvres parfaitement maquillées alors que je tiens l'endroit où il se trouve et sans attendre je me téléporte bien que j'ai la certitude que mon ancien élève n'attend pas patiemment que j'arrive, les mains dans les poches.

Ce n'est pas une coïncidence qui a poussé Lilith à me voler ce sorcier. Je me retrouve seule dans une clairière de la forêt bordant la ville. Je ne suis pas plus étonnée que cela, il joue au même jeu que moi. Je n'ai pas à attendre bien longtemps pour que mon portable vibre de nouveau pour apporter un nouveau message du kidnappeur.

* C'est ici que tout commence. Suis le file, "Thésée" et tu trouveras peut-être celui que tu cherches. *

Enfin, j'aperçois le sang dans l'herbe et les traces de pas. Mon cœur manque un battement bien que je sache que cette mise en scène n'a d'autre but que me faire peur. Il y arrive parfaitement. Il sait bien que je ne supporterais pas qu'il puisse arriver quoique se soit à Alan. Je n'ai pas d'autres choix que de suivre les indices qu'il me laisse au compte goutte. Même avec la souffrance qui doit lui brûler le corps, il arrive à réfléchir, c'est impressionnant et effrayant tout à la fois. Rapidement, les traces semées à mon intention s'arrêtent face à un vieux chêne. J'y discerne facilement des symboles occultes gravé sur l'écorce et je comprends agacée que ceci n'est qu'un leurre. Mes doigts tracent machinalement les gravures tandis que je cherche de nouveau l'aura du mage noir. Je suis bien moins sereine, le temps glisse à une vitesse folle laissant tout le loisir à Hank de torturer celui qui avait été comme son frère. J'aimerais me rassurer et me dire qu'il ne lui fera rien, mais l'homme que j'ai maudit n'a plus rien à voir avec celui que j'avais laissé le jour de son mariage. Enfin, je retrouve sa sombre aura pour me téléporter de nouveau.

J'apparais dans le sous-sol d'une maison à l'abandon de la ville. Malgré le manque de lumière, mes autres sens sont saturé par la présence de sang, de putréfaction et de moisissure dans l'atmosphère. Je ne retiens pas une moue de dégoût tout en portant ma main sous le nez. Lorsque ma vue s'adapte enfin, je peux découvrir le décor qu'il a laissé là pour moi : les murs et les sols sont recouverts de tracé cabalistique issu de cette magie que j'ai interdit. Je détourne le regard pour voir une table en fer rouillé repoussé dans un coin de la pièce ainsi que d'autres ustensiles qui ne laissent aucun doute sur les expériences qu'il a menées ici. Il veut que je les voie et je l'enregistre. Je ne suis plus en colère maintenant, je ne pense qu'à lui retirer Alan le plus vite possible. Une fois que j'ai bien profité de la vision qu'il m'offrait, mon portable vibre à nouveau. Pour délivrer son message.

* Tu as plongé dans le terrier Alice, c'est bientôt l'heure du thé ou du supplice.... *

Je ferme un instant les yeux avec un soupir. Je dois encore une fois me concentrer pour le retrouver et faire abstraction des abominations qu'il a étalé sous mes yeux comme autant de pions dans un immense puzzle. Il n'imagine certainement pas à quel point cela me fait souffrir, mais au moins cela rend certaines de mes décisions plus fermes. Il est certains secrets qu'il est hors de question qu'il découvre maintenant. C'est forte de ces pensées que je lui réponds par message.

*Alice s'est laissé pousser des griffes, monsieur Brythes ...*

Encore une fois je me téléporte jusqu'à l'aura du mage sans plus attendre pour me jeter directement dans la gueule du loup. Je prends forme dans une pièce d'un blanc immaculé. Tout est tellement blanc que l'espace d'une seconde, je sens mon corps chanceler, mais lorsque j'essaie de me rattraper, je bute à un champ magique qui m'oblige à rester debout et m'empêche de tomber. Mes sens mettent quelques secondes à retrouver des repères stables. Je suis prise d'une légère nausée alors que mon regard se fixe sur le seul point de repère qui ne soit pas blanc... Le corps d'Alan reposant inconscient sur un canapé tout aussi blanc. Derrière, les mains sur le dossier de bois du sofa au style baroque se tient Hank. Il met du contraste frappant dans l'ensemble, tout de noir vêtu. Sa voix résonne étrangement à mes oreilles.

- Des griffes ? C'est d'autant plus intéressant.

Un sourire éclaire son visage. Une vive colère me pousse vers l'avant, mais je me heurte une nouvelle fois au champ magique qui m'empêche de bouger. Je baisse alors le regard, presque certaine de ce que j'allais découvrir. Des runes couleur sang sont à mes pieds. Je reconnais la magie utilisée pour me retenir prisonnière, mais il n'a pas la puissance pour l'utiliser en principe... Des questions naissent rapidement en moi. Pourtant, je les repousse pour affronter à nouveau le regard du sang noir comme il aime se faire appeler. J'ai accepté tous les risques pour sauver Alan et cette faiblesse qu'il exploite contre moi. Je souffle un bon coup et laisse glisser tous sentiments hors de moi. J'écarte les bras montrant ainsi que je n'ai rien pour me battre pas même la moindre magie. Je n'ai qu'une seule idée en tête qui consiste à récupérer mon ami en un seul morceau.

-Je suis exactement là où vous le vouliez, vous n'avez plus besoin de lui. Relâchez-le.

Son regard sérieux passe de moi à Alan, puis ses mains gantées se posent sur les épaules de celui-ci. Il reste ainsi un long moment en silence, sans me regarder. Je peux ressentir toute la haine qu'il peut ressentir pour celui qui fut pourtant comme un frère. Que s'est-il passé en mon absence pour qu'ils en arrivent à se détester ? L'espace d'un instant, je redoute qu'il ne s'en prenne à lui devant mes yeux. Mais mes mots semblent avoir finalement un effet, car il finit par quitter sa place. Il prend la parole alors qu'il contourne le canapé.

-Voilà des jours où je n'ai pas cherché à te trouver, des jours que je cherche le remède à ta malédiction en vain. La seule manière de calmer cette douleur est ta présence, mais aussi ta coopération...

Il vient se camper devant moi un regard reptilien me sondant. Un regard que je connais pour l'avoir vu pendant des siècles dans ses visions. J'ai presque envie de rire tellement la situation est étrange. Je me rends compte qu'il est la vision qui m'a poussé à créer le cercle... Que dans un sens, c'est moi qui l'ai créé. Mon cœur s'affole après avoir marqué un temps d'arrêt. Son sourire s'agrandit alors qu'il continue à m'observer et je comprends que d'une façon ou d'une autre, il peut capter ce que je ressens. Ma mâchoire se crispe sous l'effet de cette nouvelle information. Je me redresse de toute ma hauteur pour planter un regard froid dans le siens. Il n'est plus temps pour moi de comprendre les entrelacs du destin, mais bien de me concentrer à sauver Alan. Je hausse les épaules avec nonchalance pour lui répondre sans trace d'émotion.

-Bien sûr que tu ne peux rien faire contre cette malédiction, c'est une magie oubliée des dieux eux-mêmes. Tu n'as aucun remède à ce mal que celui de mon contact. Relâche Alan et je te soulage de la douleur.

Soudainement, il éclate de rire. Un rire presque normal qui pourtant se répercute contre les murs sans dimension de la salle. J'ai une nouvelle nausée, mais je ne bouge pas d'un pouce pour ne pas donner ce plaisir à Hank. Puis tout aussi brusquement son sourire laisse place à un regard froid, vide et dépourvu d'âme. Il laisse tomber le masque humain qu'il aborde depuis mon arrivée pour me montrer ce qu'il est. Le ton de sa voix se fait sifflant et tranchant, comme un serpent. D'ailleurs à cet instant tout en lui me fait penser à cet animal.

- Crois-tu être en mesure de négocier quoique ce soit Hécate?

Je le vois tendre la main dans la direction du corps de mon ami et lentement, il resserre le poing. Le sang s'échappe du nez d'Alan tout comme de ses oreilles. Ma gorge se noue alors que je n'arrive à penser qu'une seule chose : non, pas lui ! Je tends ma main en avant alors que les mots sortent de ma bouche malgré moi.

-C'est bon, tu as gagné arrête ça !

Je passe à travers la barrière magie utilisant toute ma volonté pour venir saisir son poignet sans cesser de fixer le sang qui s'échappe du corps d'Alan. Le corps s'écroule brusquement au sol telle une poupée de chiffon alors qu'il inverse la situation et saisit mon bras. Il entre presque dans le cercle magique et son torse m'obstrue la vision. Je relève lentement mes prunelles sur les siennes alors que nous pouvons sentir l'énergie circuler entre nous. La douleur que je lui ai infligée par le rituel le quitte peu à peu. Enfin après un temps qui me semble interminable, il me relâche. Il recule avec se sourire satisfait qui m'énerve au plus haut point. Il remet sa tenue en place avant de prendre la parole.

- Tant que tu ne m'auras pas libéré ou trouvé un moyen de me défaire de ce mal définitivement, je continuerais de te traquer et m'en prendre à ceux que tu aimes. Sois-en certaine. Tu es bornée, je le suis bien plus surtout quand je veux quelque chose. Réfléchis bien.

Tout de suite après il disparaît, le sort qui me retient annulé. Je me précipite ou Alan est étendu pour vérifier dans quel état il est. Je pose sa tête sur mes genoux, un mouchoir déjà dans les mains pour essuyer le sang qui macule son visage. Je n'arrive plus à réfléchir correctement et je caresse le visage de mon ami en lui demandant pardon. Je crois être resté ainsi longtemps avant que la main de mon ami vienne caresser ma joue. Sa voix faible me tire vers la réalité alors qu'il me demande à être ramené chez lui. Je hoche la tête et nous fait disparaître de cet endroit infâme.

[...]

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