La belle Samantha

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 Samantha était chez elle, dans sa salle de bain. Elle scrutait son reflet, analysait attentivement son visage à la recherche de la moindre imperfection. Son nez était presque collé à la glace alors qu’elle observait de près les pores de ses joues dans le miroir grossissant. Une très légère trace au niveau du creux de son nez avait réveillé son inquiétude. Après un soin effectué avec patience et précision, elle vérifiait le résultat qui semblait la satisfaire.

Elle tourna la tête pour s’attarder à nouveau sur une zone aux coins de ses yeux, là où chez d’autres personnes les rides s’y accumulent avec l’âge. Cette opération suscitait une grande anxiété, mais elle vérifiait malgré tout avec attention, à la recherche de la naissance d’une quelconque ridule. Rassurée de voir que rien n’était venu souiller sa peau douce, elle expira profondément, ne s’étant même pas aperçu qu’elle avait retenu sa respiration tout ce temps. Son soulagement était intense. Elle jeta un coup d’oeil au-dessus de son épaule pour s’assurer que son dos ne présentait pas de défaut non plus, ni tâche, ni marque de quelle sorte que ce soit ou traces de graisse, et apprécia quelques instants supplémentaires la vue de son corps qui prenait la forme d’un huit impeccable. Elle esquissa un sourire satisfait à la vue de ses courbes délicates, se félicitant intérieurement de son apparence très enviable. Les années passants, c’était sa plus grande fierté. Aucune femme ne pouvait rivaliser avec elle. Aucune femme ne s’était battue contre le Temps qui passe comme elle l’avait fait. Et aucun homme n’avait jamais résisté à ses charmes inégalables.

 Quelqu’un sonna à la porte.

La belle Samantha sortie de la salle de bain en enfilant un peignoir léger en soie rose sensiblement transparent sous une certaine lumière. Il laissait subtilement apparaître le galbe de ses seins et le creux discret sous sa clavicule. Elle traversa le long couloir qui la séparait de l’entrée. Ses jambes interminables apparaissaient et disparaissaient derrière le peignoir à chacun de ses pas. Les miroirs couvrant les murs les reflétaient à l’infini, donnant l’impression d’une danse de cabaret.

On sonna à nouveau.

Ses cheveux souples et soyeux semblaient se précipiter après elle alors qu’elle sautillait.

 - Oui, j’arrive tout de suite. Lança-t-elle d’une voix mielleuse.

Devant la porte, elle arrangea sa coiffure et remonta un peu son peignoir, laissant entrevoir juste assez pour éveiller la curiosité. Affublée d’un sourire espiègle, elle ouvrit. Un livreur dans les premières heures de sa vingtaine attendait. Sous son parka mouillé par la pluie, il portait un petit carton emballé à la hâte. Son sourire s'élargit.

 - Bonjour !

Le jeune homme lui répondit sans la regarder et semblait pressé.

 - C’est pour moi ?

Il acquiesça sèchement et lui tendit un moniteur et un stylet. Samantha lui prit gentiment de la main et ajouta doucereusement, laissant son peignoir descendre imperceptiblement sur son

épaule.

 - Vous désirez avoir ma signature ?

Le garçon lui indiqua abruptement l’endroit où il fallait signer.

 - Vous savez, tout le monde n’a pas la chance de l’obtenir si facilement, susurrait-elle alors qu’elle apposait une signature compliquée sur l’écran tactile.

Il remballa aussitôt son matériel et s’empressa de repartir en lançant machinalement les strictes mots de politesse nécessaires dans ce genre d’échange. Samantha resta interdite face à cette attitude froide et distante. Elle n’avait jamais eu à faire à une situation similaire auparavant. D’ordinaire, la gente masculine était perdue devant sa beauté indiscutable et son charmant sourire irradiant tout sur son passage. Ce comportement inhabituel réveilla une peur animale en elle. Le paquet tenait maladroitement entre ses mains devenues moites. Aussi banale fût-il, il la terrifiait. Elle aurait voulu qu’on l’en débarrasse sur le champ, qu’il disparaisse à jamais de sa vue. Mais aucun sauveur ne vint à son secours.

 Assise inconfortablement sur le rebord d’un meuble, le papier qui entourait le paquet commençait à s’humidifier à son contact. Il lui était impossible d’estimer depuis combien de temps elle était restée ainsi inerte. Elle avait le pressentiment que quoi qu’elle fasse, elle ne pourra jamais s’en défaire. Ce paquet sera le fardeau qu’elle devra porter jusqu’à son dernier souffle. Le poids des années commençait à peser de plus en plus sur ses épaules, la tassait au point de la forcer à se courber. Ses cheveux se raidissaient, devenaient rêches et délavés. Ses épaules se tassaient et sa peau se flétrissait. Elle savait au fond d’elle qui était l’expéditeur de ce paquet. Elle savait que malgré toute l’énergie et la volonté qu’elle avait engagé dans ce combat, elle le perdrait, car son ennemi était divinement plus puissant qu’elle ne le sera jamais. Il lui fallu un courage incroyable pour commencer à ouvrir le paquet. En le déballant, de lourdes lames lui coulaient des yeux. Elle pleura au point de se sentir totalement asséchée. Chaque seconde la rapprochait de la triste réalité à laquelle elle devra faire face. En son fort intérieur, elle avait comprit ce qu’elle trouverait dedans. Il contenait ce qui la terrorisait depuis tant d’années. Ses membres lui semblaient mous, son dos lui faisait mal et elle sentait ses articulations grincer à chacun de ses mouvements. Etonnement, sa respiration était moins saccadée et son coeur palpitant moins douloureux à mesure qu’elle acceptait. Le paquet était enfin grand ouvert et son contenu en verre lisse et poli lui renvoyait son nouveau reflet que le Temps avait fini par imposer.

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