Josh Smith s’est réveillé dans un lit qui n’était pas le sien. Ce n’était pas nouveau et il y avait fort longtemps qu’il avait perdu toute idée de posséder un lit pour lui seul, un oreiller sur lequel reposer sa tête, soir après soir. C’est un appareil posé sur une immense table à côté de lui qui a émis une musique, l’air de son dernier titre. Ce matin-là, il ne s’est pas senti en forme, comme enserré dans une espèce de douleur diffuse au niveau de son dos. Un étrange rêve continuait de tourner dans sa tête, les restes d’une nuit de sommeil qu’il venait de terminer brusquement. Un avion, un renard, un homme et des étoiles, voilà quelques images qui lui restaient. Il y avait cet enfant qui voyageait de planètes en planètes, guidé par un destin merveilleux. Josh se prit à rêver que cet enfant aventurier, ce petit prince, ce soit lui.

  La porte de cette chambre dont il ne voyait pas les limites, s’ouvrit brutalement. Une femme entra et lui apporta un plateau garni d’un petit déjeuner avant de repartir presque sans dire un mot. Il n’avait pas fini de contempler l’ensemble de qu’il allait pouvoir manger qu’une autre femme est apparue devant lui. C’était Monica, sa secrétaire, qui lui faisait le compte de rendu détaillé de sa journée à venir : une répétition de chant avec Kean, son coach vocal, une réunion avec son conseiller en communication, un déplacement dans sa maison de production pour travailler au nouvel album, une série d’interview dans un studio d’enregistrement pour faire la promotion de son dernier single, dont le titre lui échappait. Sa vie lui semblait insupportablement millimétrée. Il remarqua une caméra fixée sur le mur en face de lui. Il n’avait pas souvenir de sa présence. Il ne faisait aucun doute qu’il n’avait plus un seul instant de réelle intimité et que sa vie entière appartenait à un plan média sans fin.

  Pendant sa répétition de chant, Josh s’est demandé qui était cet homme bien plus grand que lui. Il ne semblait pas s’intéresser à lui mais seulement à cette chanson qu’il voulait lui faire répéter. Kean faisait son travail du mieux qu’il le pouvait, s’efforçant de mettre à l’aise Josh qui, de son côté, cherchait à dédramatiser la situation par des propos qui se voulaient plein d’humour.

  « On ne voit bien qu'avec le cœur. L'essentiel est invisible pour les yeux, n’est-ce pas ? »

  Avec la maison de production, la journée se chargea un peu plus d’une pesanteur fatigante. Tous les contours de son prochain album étaient dessinés. Les textes des chansons, les musiques, le design et les premiers titres à sortir, tout était fixé. Josh se retrouva devant un produit dans lequel sa participation était nulle au stade de l’élaboration. Depuis quelques disques déjà, il sentait que les ingénieurs du son faisaient des améliorations significatives de l’enregistrement de sa voix. Cette vie de chanteur, il l’avait pourtant tant désirée. Son rêve de gosse avait pris forme au début, lorsqu’il chantait dans un petit groupe, à l’université. C’est lorsque des vidéos ont été mises en ligne sur You tube que la machine s’est emballée. Peu à peu, son public a changé. Ce n’était pas sa musique ni le son de sa voix qui les faisaient accourir auprès de lui. Des nuées de mobiles le prenaient en photo. Des filles criaient son prénom. Très vite, les producteurs lui imposèrent de chanter en playback pour que lui et un groupe de danseurs puissent exécuter les chorégraphies. Son rêve avait fini par être totalement dévoré par sa vie.

  En fin de journée, il y avait cette interview avec Oprah Winfrey. Comme elle avait lieu en direct, Son conseiller en communication avait passé une heure à lui répéter ce qu’il devait dire. Josh avait écouté sans rien retenir. Le petit garçon de son rêve lui répétait une phrase qu’il avait envie de faire sienne, profondément sienne.

  Oprah a commencé par un long discours sur les succès de Josh avant de poser une question sur le prochain album.

  « Je vous remercie pour ces compliments. Je ne peux pas dévoiler ce qu’il y aura dans le prochain disque. Il sera étonnant. Cette nuit, j’ai fait un rêve étrange. Un enfant qui pose des questions et à qui on donne des réponses. J’ai gardé l’une de ces réponses. La perfection est atteinte non pas lorsqu'il n'y a plus rien à ajouter, mais lorsqu'il n'y a plus rien à retirer.

  - Vous n’allez pas retirer beaucoup de ce que vous avez fait jusque-là, gloussa l’animatrice.

  - Quand j’étais adolescent, je rêvais de musique, de contact avec les gens, de créativité. Ce soir, je vous annonce que je veux retrouver ce rêve perdu. Il n’y aura pas de prochain album, je ne veux plus enregistrer de disques. Je ne veux plus faire que de la musique live devant un public qui ne me connait pas.

  - Quelle nouvelle ! Quelle nouvelle, mes amis!

  - Quelque chose se referme est c’est très bien comme ça. Parce qu’une autre chose va s’ouvrir, plus précieuse, plus profonde, plus intérieure.

  Dans les coulisses, le conseiller en communication imaginait un plan pour expliquer l’inattendu de cette décision. Le producteur, présent également, imaginait une catastrophe arriver et des pertes financières suite aux dépenses déjà engagées pour le prochain disque.

  Quelques mois plus tard, Josh marchait sur le sable d’un désert, quelque part en Namibie. Depuis l’annonce de son retrait, les ventes de ses disques s’étaient envolées. Pourtant, un mouvement s’était emparé auprès des jeunes comme des moins jeunes. Un challenge qui se propageait sur la toile. Se dépouiller, se débarrasser de l’inutile, marcher vers les autres, spécialement ceux qui sont différents. Il n’y avait pas d’images ni de vidéos pour montrer ces vies qui prenaient un autre chemin. Des témoins le racontaient. Assis sur une pierre, une soirée un peu froide, Josh vit passer des étoiles dans le ciel. Il reconnut la sienne et la suivit.