Chapitre 03.2

6 minutes de lecture

Les civilités étaient terminées, songea Adad.

Rhadamanthe fronça les sourcils.

— Qu’est-ce que tu ne me dis pas, Teutatès. Ce n’est pas seulement cette histoire avec les Kères qui t’inquiète, n’est-ce pas ?

L’Éternel soupira.

— Le voyage a été long. Je suppose que tu ignores les dernières nouvelles.

— Tu le sais aussi bien que moi, lorsque nous sommes en hyperespace, nous ne pouvons ni communiquer, ni recevoir de communication. Nous y sommes restés une quinzaine de jours terrestres. Alors qu’y a-t-il qui te rende si sombre, mon ami ?

— On dit que Darius a été assassiné par un traître. Baal et deux de ses fils, Sanias et Pyhré, ont disparu. On ignore ce qu’il est advenu des autres membres de la Cour.

Adad se sentit pris de vertige. Il dut faire un gros effort pour écouter la suite sans montrer quoi que ce soit des tourments qui menaçaient de le submerger.

Comme pour l’encourager la petite main de Circé serra la sienne un peu plus fort. Il aurait parié ce qu’il avait, même si ce n’était pas grand-chose, qu’elle avait tout entendu elle aussi.

— Et du trésor de Darius, j’imagine ? interrogea Rhadamanthe.

— Trésor… Enfants… Épouses royales ou concubines… Même ce fabuleux vaisseau que Baal a, soi-disant, achevé de construire il y a encore peu de temps. Tout semble avoir disparu entre votre départ et l’assassinat de Darius. C’est tout ce que nous savons actuellement.

— Qu’en pense le Conseil ?

— Tu connais certains de ses membres. Il y en a, parmi eux, qui pensent que Baal et le traître ne font qu’un.

— Je n’y crois pas une seule seconde. Baal et Darius étaient alliés. Si Baal n’est pas mort avec lui, c’est qu’il a trouvé le moyen de fuir.

— Tu sais ce qu’il en est des alliances entre Drægans, le coupa Teutatès. Et Darius n’était pas dans sa meilleure forme ces derniers temps. Cela n’a fait qu’empirer lorsque les troupes de cet Alexandre ont envahi la Perse… Baal ne l’a rejoint que parce qu’il avait été dépossédé de la Phénicie et qu’il pensait que leur union serait suffisamment forte pour repousser l’ennemi et le renvoyer d’où il venait. Cela n’a pas découragé cet homme, au contraire.

Adad ignorait que Darius était un Drægan. Pourquoi ne l’avait-il jamais senti ?

— Et il ne t’est pas venu à l’esprit que ce que voulait cet humain en s’attaquant à deux des nôtres, c’était la Clé ?

Malgré lui, Rhadamanthe avait élevé la voix. Il la baissa aussitôt, non sans jeter quelques regards autour d’eux.

Personne ne semblait avoir accordé une attention particulière au mouvement d’humeur du Drægan.

De son côté, Adad fit mine de s’intéresser à des bijoux sans importance, sur un étal tout proche.

— Bien sûr que, si, répondit Teutatès. C’est même la première chose qui m’est venue à l’esprit. Je me suis demandé comment cet Alexandre aurait pu le savoir. Même moi, je ne sais pas de quoi ou de qui il s'agit. Mais avec la Kèr dans les parages, cela s’explique… À mon avis, celui qui s’est attaché ses services a très bien pu lui en parler…

— L’un des nôtres, grommela le Juge dans sa barbe. Cela ne peut être que l’un des nôtres. Mais qui aurait encore suffisamment de connaissances pour trouver une Kèr et s’attacher ses services. Seuls les anciens le pouvaient, et nous les avons tous tués… ou chassés de cette galaxie.

Teutatès réfléchissait à haute voix.

— Il est possible qu’elle en ait parlé à l’Humain, ou qu’elle le manipule pour obtenir la Clé. Si elle a réorganisé ses armées, cela signifie qu’il doit lui accorder une confiance absolue. Elle peut donc agir en toute impunité, et il la suivra où qu’elle aille. Il fera tout ce qu’elle lui demandera… Surtout si, en contrepartie, il obtient de nouvelles conquêtes, des richesses, le pouvoir et le prestige. Certains Humains ne sont pas si éloignés des Drægans.

— Bon sang, tu comprends ce que cela implique ? Je viens moi-même de suggérer que cela pourrait être l’un des nôtres qui est derrière tout cela…

— Cela dépend de ce que tu entends par "l’un des nôtres".

— Il me semble que je suis pourtant très clair.

— Darius et Baal avaient de nombreux ennemis. Pas seulement les Primes. Après la guerre, beaucoup de Drægans leur ont reproché de ne pas avoir pris position pour l’un ou l’autre des camps.

— Darius s’est personnellement et publiquement élevé contre le massacre des prisonniers. N’était-ce pas significatif ?

— Pas plus que bien des évènements après la disparition des Primes et des Anciens. Il était temps que les exactions cessent. Et si Baal n’était pas intervenu pour lui sauver la mise, nous n’aurions pas cette conversation aujourd’hui. Aucun de nous ne serait peut-être encore en vie pour cela.

Rhadamanthe ne répondit rien.

Comme le silence s’éternisait, Adad releva la tête vers lui.

Son regard heurta de plein fouet celui du Drægan. Curieusement, le reste de son visage était un masque de neutralité. Adad se sentit pris la main dans le sac. Honteux, il baissa la tête pour ne pas affronter plus encore le regard irrité du Juge. Il sentit à peine Circé lui lâcher la main et se glisser derrière lui, se cachant du Drægan.

Rhadamanthe ne lui fit pourtant aucune remarque. Ce qui était pire.

D’un commun accord, Teutatès et Rhadamanthe s’éloignèrent à une distance qui ne permettait plus à Adad de les entendre.

Adad ne ressentait pas seulement de la honte. Il y avait aussi cette colère qui sourdait au fond de son cœur et de la peur. Qu’allait-il donc leur arriver, à Circé et lui, si leur père ne réapparaissait pas ? Ou s’il était convaincu de trahison et de meurtre ?

Il savait ce qui arrivait aux Humains en de pareils cas. Il savait aussi ce qui arrivait aux Drægans.

Allaient-ils être exécutés, emprisonnés, réduits en esclavage ou bannis ?

Le bannissement était un moindre mal. Inanna avait bien souligné le fait que ce traitement était une exception dans leur monde. Enki avait ajouté que la mort était préférable à certains traitements, en apparence, plus doux. Que pouvait-il faire contre cela ?

S’il devait donner sa vie pour que Circé en ait une meilleure, il n’hésiterait pas une seule seconde.

Mais leur monde ne fonctionnait pas ainsi.

Les Drægans n’étaient pas enclins au pardon, et rarement aux échanges de bons procédés.

Ils n'avaient désormais plus aucune protection. Et vue l'estime que leur portait Rhadamanthe, celui-ci refuserait de les aider. Il l'avait clairement dit : Circé et lui n’étaient rien d’autre qu’une charge supplémentaire pour lui.

Il se rendit soudain compte que Circé n'était plus à ses côtés. Il se retourna pour la chercher.

À nouveau, la peur l'envahit. Puis il la vit…

En à peine quelques secondes, elle s’était éloignée d’une centaine de mètres, alors qu’elle était toujours restée près de lui depuis leur départ de la terre.

Avait-elle suivi cet étranger avec lequel elle discutait ? Non Elle n'aurait jamais suivi qui que cela soit, à part lui.

Qui était cet humanoïde qui ressemblait à un Terrien ?

Il paraissait assez jeune. Guère plus qu’une vingtaine d’années terrestres. Il ressemblait à n’importe quel autre voyageur pouvant porter une arme sous son long manteau…

Il y avait quelque chose qui n’allait pas chez cet être, ainsi que chez Circé…

C’était elle qui parlait, alors qu’elle ne parlait jamais…

Et l'autre ne disait rien… Il écoutait comme s’il y était contraint.

Adad jeta un coup d’œil en direction des pupilles de Rhadamanthe. Les filles étaient occupées à essayer des coiffes avec de longues plumes colorées, et Enki étaient entrés dans une boutique d’armes. Quant au labiré chargé de les protéger, il était posté à quelques pas de Rhadamanthe et Teutatès, et gardait un œil sur les trois jeunes Drægans.

Adad ne voyait pas Calliope, mais il ne s'en inquiéta guère.

Comme à son habitude, Inanna l'avait sans doute envoyée chercher quelque chose dont elle avait besoin sans délais…

Personne ne faisait attention à lui.

Il fit quelque pas dans la direction de Circé en jouant des coudes pour ne pas se laisser emporter par une marée de voyageurs.

Annotations

Vous aimez lire Ihriae ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0