Prologue : L’empreinte de Melville

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Sidarta Gautama le Sage, dit le Bouddha, se saisit d’un morceau de craie rouge, traça un cercle et dit : « Quand des hommes, même s’ils l’ignorent, doivent se retrouver un jour, tout peut arriver à chacun d’entre eux et ils peuvent suivre des chemins divergents. Au jour dit, inéluctablement ils seront réunis dans le cercle rouge. »

Citation d'ouverture du film Le Cercle Rouge (1970), de Jean-Pierre Melville, attribuée à Rama Krishna selon le cinéaste

Dans les bleus pénombres de la nuit et le bleu gris de l'hiver, le destin se pare de couleurs froides, annonciatrice de l'inéluctable tragédie que la citation d'ouverture prédit.

Le rouge du cercle final, gun fight d'apothéose crépusculaire dans lequel tout se joue, n'affleure que dans cette scène où Alain Delon enduit de craie écarlate la queue d'un billard français, et malmène deux boules virginales aux prises avec leur jumelle rouge sang sur un tapis feutré aux tonalités turquoise.

Il y a aussi ces longs silences nimbés de minutie, ces hommes chapeautés d'élégance, aussi taiseux que le code d'honneur qui les (dé)lie : on y croise un Delon dont le mutisme fascine depuis sa première collaboration avec le cinéaste, un Montand toujours aussi impressionnant de charisme, et un Bourvil à contre-emploi dans son dernier rôle sur pellicule.

Avec Le Cercle Rouge, l'enfant terrible de la Nouvelle Vague exprime la quintessence de sa vision du polar à travers cet avant-dernier film testamentaire, l'aboutissement même de ses rêves d'Amérique, en y inventant les grands espaces que nous n'avons pas, la longue berline sombre qu'il emprunte à lui-même et qu'il immortalise sous la neige. L'étrange ballet de samouraïs des temps modernes se savoure lentement au gré des poursuites et des fugues brillamment mises en scène par un Melville au sommet de son art, et qui fit par la suite de bien glorieux disciples reprenant à la lettre les codes du film noir que son Cercle Rouge érige. Les Corneau, Tarentino ou John Woo n'auront depuis de cesse de louer le cinéma de ce réalisateur aussi singulier que misogyne…

« Est Melvillien ce qui traduit la solitude, la violence, le mystère, la passion du risque et l'âpre goût de l'imprévisible et de l'inéluctable, ce qui met aux prises des hommes enfoncés dans leurs manies, prisonniers de leurs obsessions et serviteurs de leurs codes. »

Philippe Labro

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