Becoming Jeanne

3 minutes de lecture

« Je regrette que tu m'aies pas vue quand j'étais enfant /

J'étais violente aussi, j'ai cassé la tête de mon frère avec une pomme de pin /

Je me suis cachée dans un arbre et je l'ai visé parce qu'il se moquait de moi... »

Je voulais être une telle perfection pour toi

Chanson extraite de la bande originale du film documentaire Jane par Charlotte (2021), de Charlotte Gainsbourg

Paroles : Jane Birkin

Musique : Etienne Daho

Interprète : Jane Birkin

Ça me fait bizarre de me dire que Jeanne a définitivement éclipsé Jean.

J’ai beau avoir attendu ce moment depuis toujours, contempler le reflet de cette femme nue dans le miroir me donne l’impression de jouer les voyeurs. C’est une sensation étrange, comme si je ne parvenais pas à réaliser que cette femme, c’est moi.

J’ai pourtant passé ma vie à cacher ce corps masculin que j’ai détesté depuis que je suis en âge de comprendre ce que l’identité sexuelle engendre ; je me suis efforcé d’en camoufler les attributs. J’ai grimé cette virilité à m’en faire mal, prêt à tout pour ne plus en être un. J’ai maudit ce Dieu que mes parents vénèrent de m’avoir emprisonnée dans l’enveloppe charnelle d’un autre. J’ai lutté pied à pied pour ne pas ressembler à ce je ne suis pas, un combat quotidien pour être à l’image de mon âme. Alors ce changement de sexe résonne en moi comme une renaissance, la seule qui compte à mes yeux, la reconnaissance de cette féminité qui ne demande qu’à s'affranchir de son fardeau.

Aujourd’hui, les robes à colifichets, les faux cils et le mascara sont superflus. Seulement, je me sens si vulnérable sans maquillage, comme si le vernis de cette transformation physique pouvait se lézarder pour divulguer mon imposture. Comme avant… Seulement, Dame Nature pourra bien faire ce qu’elle voudra, Colombine ne redeviendra plus jamais Arlequin !

Dans quelques heures à peine, j’irai rejoindre Paolo.

J’ai envie de me blottir dans ses bras, mais j’ai peur. Peur de sa réaction, de ce que cela va changer entre nous, de le perdre peut-être…

Encore un peu de gloss, cet irrésistible désir de lui plaire. Un dernier regard dans la glace pour jauger l'élégance de ma tenue. Mes talons claquent sur les dalles marbrées de l’entrée, j’attrape ma veste en nubuck au passage et referme la trop lourde porte de l’appartement.

Comme pour tirer un trait sur mon passé.

***

Un déluge s'abat sur les pavés parisiens, une pluie sale qui ruine mon brushing, dilue le rimmel sur mes joues, s'infiltre dans les pores de cette peau que je voulais si parfaite et la fait éclater comme le masque d'une poupée de porcelaine. Une soudaine appréhension que l'homme ait gagné la bataille que je livre contre lui depuis des lustres m'envahit. Une putain de phobie qu'il reprenne ses droits sur le genre de mon corps et que cette foule hostile me dévisage en l'épiant sous ma carapace. Je voudrais m'enfuir, je ne peux pas, je hurle...

— Mademoiselle ? Mademoiselle ? Ça ne va pas ?

J'ouvre les yeux. Un septuagénaire bienveillant me fait face. Je jette un œil à la fenêtre. Je suis dans un train. Je me souviens. Je suis en partance pour rendre visite à Paolo. Tout ceci n’était donc qu’un cauchemar, un horrible cauchemar.

— Mademoiselle ? Vous êtes sûre que tout va bien ?

Je m'efforce de sourire. Le masque ne se fissure pas.

— Oui. Je vous remercie.

Le train entre en gare. Je guette Paolo, le vois sur le quai. Je me lève et lisse ma jupe, l'air de rien. Juste pour vérifier. Soulagement. Il n'est plus en moi.

***

Paolo, l'étreinte.

— Tu m'as manqué ma belle...

Je suis trop émue pour lui répondre quoi que ce soit, j'étouffe un sanglot. Mon amour me serre contre lui.

— Et si je ne te plaisais plus ?

— Aucune chance, ma princesse. La femme que j'ai devant moi, je la connais déjà. C'est celle que j'aime...

Il me donne un vrai baiser de cinéma, et moi... L'espace d'un instant, je me prends pour Grace Kelly ou Marilyn.

Nous quittons ce quai main dans la main, je n'en finis plus de lisser cette jupe.

— Cesse de t'angoisser ma chérie, tout ira bien. Tu n'as plus à faire semblant d'être, tu es.

Oui, c'est ce que je lis dans ses prunelles d'ébène. Elles s'embrasent, luisent de cette intensité qui m'est si familière. Je sais que désormais je suis une femme.

Une femme comme les autres...

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