Tout seul

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Tout seul

Commençons déjà par un lieu commun : tout petit déjà…

Ouaip, depuis tout petit, déjà, je rêve d’être seul. Tout seul.

D’abord un coup du sort (chance ou malchance, je ne sais pas). Celui d’avoir failli très tôt être quasi sourd alors que les parents se foutent sur la gueule quelque chose de bien. Ça permet, en tournant le dos à ce cirque alcoolisé, de pouvoir continuer à jouer. Avantage très appréciable. Par la suite, et ce, à coup d’opérations multiples et diverses dont une ou deux faillirent quand même me tuer, on s’échina à corriger tout ceci, à normaliser tout ça… Et maintenant j’entends bien le fracas bordélique du monde. Chouette alors !

Mais avant ce grand barnum qui me fait fuir dorénavant tout hôpital comme la peste, je découvris un truc extraordinaire : l’eau. Plus exactement sous l’eau. Bon la baignoire, c’était rigolo mais bon…

Apprentissage en plusieurs temps, par étapes marquantes.

D’abord à la descente de l’avion, en arrivant à l’hôtel, mes parents, réglant les diverses paperasseries, nous laissèrent ma sœur et moi dehors sous ce soleil si particulier du Maroc. Ce jour-là ma sœur se décida enfin à apprendre à marcher puisque sa curiosité enfantine fut attirée par une jolie fontaine où nous trempâmes gentiment nos tendres petits petons, mais il n’y avait pas que de l’eau dans cette vasque…

Car dans ce bassin, une tortue géante et un crocodile coulaient des jours paisibles.

Dans un deuxième temps et au même âge d’ailleurs, je découvris la piscine.

Disons que moi, j’y étais parfaitement bien au fond, à nager peinard sans rien demander à personne dans un silence parfait, là où régnaient ces lumières étranges et si fascinantes. Mon 20 000 lieues sous les eaux prit fin brutalement. Empoigné par le bras, arraché comme un malpropre de l’eau et secoué comme un prunier en m’invectivant sans trop chercher d’ailleurs à me rassurer. Sauf que moi, j’y étais bien, là ! J’y suis retourné, en cachette cette fois-ci.

Non mais !

Là, il faut imaginer le regard noir et buté que j’ai pu avoir. Que j’ai toujours d’ailleurs…

Puis ça a été la découverte, à la télé, en noir et blanc à l’époque bien que mon souvenir travestisse cela avec les nuances vertes de l’océan, la découverte donc de L’Homme de l’Atlantide !

Ah ! Quels sacrifices n’aurais-je pas commis afin de pouvoir, comme lui, nager dans les profondeurs sans jamais devoir remonter en surface ! Les gens de ma génération se souviennent essentiellement d’un Goldorak, d’un Casimir ou d’un Albator, pas de l’homme de l’Atlantide. Tant mieux. Ça reste ainsi mon jardin secret.

Et me voilà devenu adulte, bien qu’il me faille encore grandir, mais malgré tout bien adulte depuis quelque temps déjà. Et toujours me taraude cette volonté impérieuse d’être seul, tout seul, qui me poursuit. Ne pas, ne plus entendre les autres et leur affligeante vulgarité.

Et un jour, j’y suis arrivé…

J’avais taillé la route, longtemps, impulsivement, alors que le simple fait de conduire produit chez moi un état de stress peu commun. Ça me demande en temps normal un vrai effort. Là, histoire de pimenter mon odyssée, j’ai subi une série d’orages, mais déterminé, j’ai poursuivi dans cette intuition, ce besoin d’être seul. Je me suis fait violence et je ne le regrette pas. Et arrivé à destination, la météo s’est enfin calmée. En apparence du moins.

Le lendemain, je découvris une plage déserte, résolument déserte.

Le bonheur !

Je me suis mis à l’eau et j’ai nagé au moins deux longues heures dans des vagues hallucinantes. C’était à chaque fois un combat, une vraie lutte, mais aussi un tel plaisir de jouer avec les éléments, de les faire siens, sans crainte, d’en prendre la mesure et le rythme et d’aller de l’avant, encore et encore sans aucune volonté de retour. L’horizon comme tentation absolue. Les mouettes qui, tels des chats curieux, tournaient et virevoltaient au-dessus de moi en agréable compagnie criarde. Cet océan vert profond, secoué, salé, traversé de courants, immensément puissant, sans personne alentour fut une vraie jouissance.

De retour sur la plage, je suis resté un long moment encore pour savourer ces instants-là, épuisé… Sereinement, en accord enfin avec moi-même. Heureux.

Le lendemain, on m’apprit que le pavillon avait été orange, limite rouge m’ont dit les CRS-maître-nageur-sauveteur-alerte-à-malibu-boys.

Moi, j’ai seulement joué et, comme à mon habitude, tout seul.

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