Chapitre 2 : Vacances écourtées

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    J’ouvris, ou plutôt tentai d’ouvrir les yeux. Un horrible mal de crâne tambourinait dans ma tête. Après une rapide inspection des alentours, j’étais allongée, quasiment nue, près du vivarium. Prenant appui sur mes coudes, je commençai à me relever, mais je sentis un poids sur mon estomac. Mon nouveau compagnon était là, enroulé sur lui-même, le museau au bord de ma poitrine. Il dormait, paisiblement.

  D'un seul coup, la mémoire me revint. C'était un mamba noir. J’émis un cri qui me provoqua une douleur supplémentaire et jetai le serpent par terre en reculant. Je fus arrêtée par l’un des pieds de la table à manger. J’avais peur. Je n’osais plus bouger. Le reptile se secoua, perturbé visible par cette soudaine brutalité qu’il avait subie. Il me fixa. Ce n’était qu’un animal mais j’avais presque l’impression de lire de l’incompréhension dans son regard. “Va-t'en. Retourne dans le terrarium.” pensai-je. Et il s’exécuta. À ma grande surprise, il s’exécuta. Il monta sur la commande soutenant le petit micro climat cerclé de verre que j’avais créé, et disparut dans sa petite grotte.

  Totalement interdite, je restai immobile de longues minutes. Je finis par approcher doucement, à quatre pattes. Du coin de de l’œil, je l’observai. Ilc’ s’était rendormi apparemment, en boule comme il était sur mon ventre. Rapidement je me relevai totalement et fermai vite le couvercle en le verrouillant. Je reculai et m’affalai sur le canapé en fixant le plafond.

  • J’ai adopté un serpent venimeux, fis-je à voix haute. Suis-je chanceuse ?

  Mon regard dévia sur le terrarium. Le serpent avait sorti la tête et m’observait. Sa langue siffla.

  • Qu’est-ce que tu faisais là-bas, mon beau ?

 Oui, je parlais avec un serpent, et malgré sa tentative de meurtre, cette espèce restait ma préférée : De couleur sombre, gris métallique, la bouche noire. J’aimais le noir. De plus, cette bête était dangereuse à souhait, extrêmement venimeux. Seulement dix milligrammes de son poison suffisaient à tuer un homme, et sa morsure pouvait en injecter jusqu’à cent cinquante milligrammes. C’était un excellent nageur, et surtout, le serpent le plus rapide du monde, capable d’atteindre les vingt kilomètres heure.

  • Et comment au bureau, ils ont fait pour ne pas se rendre compte que tu étais un jeune mamba noir ? C'est tellement improbable. Ils t’ont peut -être oublié, une belle bande d’abrutis parfois. Ah lala.

  Ma main se posa sur ma nuque, là où je pensais qu’il m’avait mordu. C’était légèrement douloureux et gonflé. Je me levai et allai dans la salle de bain pour m’examiner devant le miroir. Deux petits trous, espacés d’à peu près trois centimètres, au-dessus d’une boursouflure surement causée par la morsure, d’où naissait deux gouttes de sang dont l’une avait coulé jusque ma poitrine. Je restai sans bouger à me contempler. Je n’étais vraiment pas à plaindre niveau physique : plutôt jolie pour les critères de base, de longs cheveux noirs descendant jusqu’en bas de mon dos ; Ils étaient ma fierté, j’en prenait le plus grand soin ; des formes généreuses sans être dans l’excès, que ce soit au niveau des seins ou des fesses, une bonne musculature qui pourrait décourager plus d’un parasite de me chercher. Seul problème à tout ceci, ma taille qui ne plaisait pas à bon nombre de personne du sexe opposé. Les hommes ont du mal avec une femme plus grande qu’eux, un mètre quatre-vingt-dix tout de même.

  Soudain les caractéristiques du venin du reptile me revinrent en tête. Je m’habillai en panique, saisis les clés de ma voiture et pris la direction de l’hôpital. Après une heure d’attente, ma patience en prit un coup, un médecin me reçut. Je ne lui dis pas pour le serpent, mais lui montrai la boursouflure, mentant que je m’étais réveillée avec ça ce matin. Il tata l’énorme bouton, mes ganglions, me fit une prise de sang et me demanda si cela ne me dérangeait pas d’attendre les résultats. Je répondis que non et il quitta la salle.

  Après une nouvelle heure d’ennuie, il revint et m’annonça tout sourire :

  • Tout va bien, madame. Ce n’est qu’une petite infection et une réaction allergique.
  • Pardon ?! M'étonnai-je.
  • Un insecte quelconque, peut-être une araignée vous a piquée ou mordue cette nuit et vous faites une réaction allergique. Avez-vous d’autres passifs de ce genre ?
  • Non !
  • Très bien. Dans ce cas, je vais vous prescrire quelques médicaments et vous pourrez rentrer chez vous.

  Il me donna le document en question et disparut en me souhaitant une bonne journée. Je retournai à ma voiture, totalement ahurie par ce diagnostic. Même si j’avais menti, je pensais qu’il le devinerait facilement, mais non. Il y a cru et pour une raison que j’ignore les analyses l’avaient confirmé.

 Une fois à mon appartement, je me précipitai au vivarium et tapai sur la vitre en hurlant :

  • Mais t’es quoi bordel ?! Un serpent mortel qui ne tue pas avec une morsure qui aurait dû le faire dix fois ! Qu’est-ce que je dois faire de toi, hein ?!

  Je me relevai et me frottai le visage. Après un soupir qui s’inscrivait facilement dans le top trois de tous ceux que j’avais pu faire dans ma vie, je décidai d’aller prendre un bain. Je jetai mes vêtements dans le canapé et me dirigeai vers la baignoire. Ma salle de bain était très petite : sur la gauche à l’entrée se trouvait le lavabo, avec le miroir et un petit meuble contenant mes serviettes et rares produits de beauté, juste à côté les toilettes, et face à cela, une baignoire pouvant servir de douche avec un rideau à fleurs horrible.

  Je pris le pommeau, ouvris l’eau à fond et attendis. Une fois chaude, je m’assis dans le bain jusqu’à que le liquide atteigne le bord, et me laissai doucement bercer par la température. J'en profitai pour réfléchir à la situation : j’avais sept jours de congés, je les attendais depuis longtemps, mais qu’est-ce que j’allais faire de mes journées ? Avant je travaillais pour le concours d’inspecteur, mais maintenant. Ce qui me taraudait le plus était mon nouveau petit compagnon. Qu’allai-je faire de lui ? Il était dangereux, surement responsable de la mort de son vendeur. Et moi, comment étais-je encore vivante ?

  Je passai les trois jours suivants à écrire, en petite tenue. Je n’étais pas très douée mais ça me détendait, une petite histoire de monstres et de démons. J’aimais beaucoup la fantasy.

  Je ne savais toujours pas quoi faire de ce serpent : le garder ? Le ramener à la police ? Pendant mon écriture, je jetais de temps en temps des petits coups d’œil vers son terrarium. Le plus souvent, il me regardait. Je ne saurais dire si c’était en tant que proie ou autre chose, mais à chaque fois ma blessure au cou me lançait. Était-ce une sorte de douleur fantôme ? Un reste de venin ?

  Soudain le téléphone sonna. Il était dix heures du matin. Je tendis le bras et décrochai :

  • Allo ?
  • Allo, inspecteur ?

  Je reconnus rapidement la voix de mon supérieur. Un homme d’âge mur, proche de la retraite, rondouillet, cheveux et barde courts poivre et sel.

  • Oui, commissaire.
  • On a besoin de vous.
  • Mais je suis en congé. Il me reste encore trois jours...
  • J’en suis conscient, mais votre collègue a trouvé une piste sur votre enquête.
  • Comment ça ?
  • Nous avons enfin reçu les relevés de compte de la victime. Alexander pense qu’il payait quelqu’un au black. Il vous l’expliquera mieux que moi.
  • Donc vous voulez que je fasse équipe avec lui ?
  • Tous les deux, vous n’avez pas de coéquipier. Si cette opération se passe bien, cette situation deviendra définitive.

  Décrocher pour entendre ça, j’aurais préféré ignorer l’appel.

  • Très bien commissaire. Je serai au poste à treize heures.
  • Parfais. J'en informe votre collègue. Je suis sûr que tout se passera bien. Ne vous inquiétez pas, ces trois jours vous seront rendus. Bonne journée.

  Je n’eus pas le temps de le saluer avant qu’il raccrochât. Je m’affalai dans ma chaise en soupirant. Je regardai l’horloge : dix heures trente. Je fermai mon chapitre en cours, plus d’inspiration de toute manière, et m’autorisai une petite partie de jeu vidéo.

  Je me garai au parking du commissariat. La motivation partait au fur et à mesure que j’avançais. Qui plus est, je n’étais pas très bien habillée : tee-shirt, pull et pantalon, somme toute classique. Je n’aimais pas les robes, décolletés et autres vêtements aguicheurs. J'avais mis ça en quatrième vitesse et étais partie juste après manger.

  J'entrai et me dirigeai vers un petit groupe de policiers en train de finir leur pause du midi par un café. Je leur demandai s’ils savaient où se trouvait l’inspecteur Tauley. On me répondit qu’il finissait son repas.

  Une fois à la cafétéria, je profitai de ma grande taille pour parcourir la pièce des yeux. Je le vis, assis en pleins milieu, seul à une table. Il était plus petit que moi, d’une demi tête, la trentaine, cheveux bruns en bataille, une moustache reliée à un bouc mal coiffé, les yeux bleus. Cet homme ignorait encore plus que moi son apparence, portant une chemise à carreau abimé, un manteau marron et un jean bleu troué au genou.

  Je m’approchai de lui. Il était en train de manger le contenu d’un tupperware. Il leva les yeux, me vit arriver et retourna à son occupation. Je ne l’aimais pas mais je fis un effort pour rester polie une fois près de lui :

  • Bonjour inspecteur.

  Pas de réponse. Il avala sa dernière bouchée, s’essuya la bouche et s’appuya contre sa chaise pour me regarder, finissant de mâcher. Je repris :

  • Le commissaire m’a appelé ce matin pour que je fasse équipe avec vous. Apparemment vous avez une piste sur la mort du vendeur de reptile.
  • Hmmm...
  • Donc... quelle est-elle ?

  Il se leva, fit le tour de la table et se plaça face à moi. Il leva son index et me lança :

  • Première règle pour travailler avec moi, tu m’tutoies. Je fais pareil, m’en fiche si ça t’plait pas. Deuxième règle...

  Il me lança ses clés de voiture. Je les rattrapai hasardeusement, surprise par ce jet.

  • Tu conduis, grande asperge.

  Il me dépassa et sortit de la salle. Je restai interdite après ce qui venait de se passer. Il m’avait traitée de quoi ?! On ne me l’avait jamais sortie celle-là. Je serrai le trousseau de colère. Je ne l’aimais pas particulièrement avant, mais là, je le détestais. Je m’élançai à sa poursuite.

  Il m’attendait déjà dans sa voiture, un modèle de la marque Mitos, un véhicule de forme allongé, assez basse, cinq portes, celle-ci était gris métallique. J’ouvris la portière, reculai le siège et m’assis avant de lui saisir le col :

  • Moi aussi, j’ai des règles, une seule en vrai. Tu m’insulte encore une fois, je t’enfonce ce qui te sert de nez dans la figure. C’est clair ?
  • Si tu le dis. En attendant, roule. Tu connais l’adresse, dit-il d’un ton désintéressé.
  • Tu crois que je vais t’obéir comme un p’tit chien ?
  • On a une enquête à boucle. Alors tais-toi et roule.

  Insupportable, encore plus que les charmeurs auxquels j’avais affaire d’habitude. Je lui aurais bien répondu que si l’enquête se passait bien, nous bosserions ensemble, mais voir sa tête lorsqu’il l’apprendrait à la fin sera tellement plus amusant. Je finis par démarrer et pris la direction de la boutique.

  Après une petite dizaine de minutes, il me détailla ses indices :

  • Comme tu le sais, un appel anonyme nous a prévenus. Il n’a pas voulu donner son nom ni son adresse et a raccroché très vite. D’après l’opérateur, il s’agissait d’un téléphone prépayé, donc pas plus de piste de ce côté-là.
  • C'est peut-être un passant qui aurait vu le cadavre ou le bordel depuis l’extérieur.
  • Tu n’as pas beaucoup observé la boutique ? Ou t’as déjà tout oublié ?

  J’admettais que je n’avais pas été très concentrée, pensant uniquement à mon petit compagnon. Sans faire attention, je frottai la morsure en me demandant toujours ce que j’allais faire de lui. J'avais mis un pensement pour la cacher au cas où. Il reprit :

  • Bref. Le corps n’était pas visible de l’extérieur. La victime n’était pas mariée et n’avait ni associé, ni enfant, peut-être qu’un cambrioleur a joué au bon samaritain, mais j’en doute. Cependant on a remarqué dans ses relevés de compte personnels des retraits hebdomadaires de petites sommes. On a supposé qu’il payait quelqu’un au black.
  • Donc peut-être que l’un des voisins le connait ou l’a vu passer.
  • Exactement. Bien pour une tête en l’air, rigola-t-il.

  Je ne relevai pas sa moquerie et me concentrai sur la route.

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