Chapitre 7 : l'enregistrement

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  J’entrai dans la boîte de nuit par la porte de la ruelle, et fut accueilli par deux armoires à glace, habillées d’un beau costard noir, lunette de soleil, et bien-sûr, la petite oreillette pour communiquer. C'était deux des videurs de l’établissement. Ils étaient aussi grands que moi, ce qui était rare, et forcément, bien musclés pour dissuader les fauteurs de trouble. Ça n’avait pas très bien marcher avec moi. Je les reconnus instantanément, et à mon avis, eux-aussi vu leur tête. 

  • Salut, Daniel. Salut, Jean, leur lançai-je.

Le premier était blond, l’autre brun. Celui m’interrogea :

  • Que fais-tu ici ? Tu as été banni à vie. 
  • C'est pour le travail, répondis-je en sortant mon badge.

 Malgré leur lunette de soleil, bien cliché d’ailleurs, je pus sentir leur surprise. En effet, qui aurait cru qu’une rebelle violente comme moi devienne inspectrice. Je rangeai mon insigne et avançai. Jean posa la main sur mon épaule pour me retenir. Je me retournai et le fixai :

  • Tu comptes bloquer un agent dans l’exercice de ses fonctions. La dernière fois ne t’a pas suffi.

 Il regarda son collègue qui lui fit non de la tête, et il me lâcha. Alexander se trouvait juste derrière moi. Il passa entre les deux gardes à son tour et me demanda :

  • Qu'as-tu donc fait pour être banni à vie ?
  • Une soirée bien arrosée, un idiot un peu trop entreprenant, une mâchoire et un bras cassé.
  • Oh.

 Nous arrivâmes dans la salle principale du bâtiment, lieu de beuverie, de dance et drague. Au centre se trouvait la piste, composée de dalles multicolores qui dans mes souvenirs, s’illuminait au rythme de la musique. Légèrement en contre-bas de celle-ci se trouvait bon nombre de petit salon : des canapés circulaires entourant une petite table. La table de mixage du DJ était surélevée par rapport à la salle. Sur les côtés de l’entrée principale, se situaient deux bars pour accentuer le plaisir de la fête. Le bureau du patron était visible du centre de la pièce, en levant la tête. Le plafond était en verre et permettait au gérant d’observer ces clients. Je me dirigeai vers la porte y menant qui était caché par la table du DJ, toujours suivi par mon collègue. 

 Une fois en haut, je toquais à la porte du bureau et entendis l’invitation à entrer. Une fois dans le bureau, le patron hurla :

  • Que fais-tu ici, toi ?! Je t’avais banni à vie après le bordel que tu avais foutu !!
  • Calmez-vous, insista Alexander. 
  • Non ! Je refuse de parler si elle est là ! Qu'est-ce qu’elle fout là, d’ailleurs ?! J'étais sensé recevoir deux inspecteurs !

 Je sortis mon badge et son visage se décomposa. Voilà cinq ans que je n’avais pas vu cette tête d’idiot. Cela ne me faisait pas plaisir mais c’était pour l’enquête. 

  • Ça tombe bien, répliquai-je. J'en suis une. 
  • Quoi ?! Toi, une inspectrice ?! 
  • Oui, enchaîna mon collègue. Qui l’eut cru, n’est-ce pas ?

 Je lui lançai un regard noir, mais il n’y prêta pas attention et continua.

  • Bon, monsieur Vitote, connaissiez-vous la victime ?
  • Oui. Il s’appelait Jack. Il était sympa et ne dérangeait pas, selon les videurs. Du coup, je le laissais crécher là. 
  • Pensez-vous que quelqu’un aurait pu lui vouloir du mal ? 
  • Non, pas à ma connaissance. C'était un SDF, il n’avait quasiment rien à volé. Peut-être qu’avant, il s’était fait des ennemis. Je crois me souvenir qu’il avait été militaire. 
  • Pourtant, aucune planque n’a été retrouvé avec lui. 
  • Je n’en sais rien ! s’énerva-t-il. Je ne fais que répéter ce que mes videurs m’ont dit de lui. Je ne lui ai jamais parler, moi !

 L’air devenait de plus en plus lourd. Le patron s’énervait. Nous n’étions clairement pas les biens venus ici. Je laissai l’interrogatoire à Alexander et observai la pièce. J'ai pile au centre de la vitre servant observatoire. Le bureau et tous les meubles de la salle étaient sur un vrai plancher. Il y avait deux portes de chaque côté, avec marquées : “Réservée au personnel autorisé” en gros dessus.

 Après de longue minute, mon collègue m’interpella pour partir. Il rangea son petit calpin de note dans sa veste et se dirigea vers la porte. Je lui emboitai le pas. Alors que nous sortions, Daniel s’approcha de moi par derrière et posa sa main sur mon épaule. Alors que je m’apprêtai à lui demander de me lâcher, il enleva ses lunettes et me chuchota :

  • J’aimerai vous parler, inspectrice. En privée de préférence.

 Ses mots s’accompagnèrent d’un regard noir vers Alexander. Celui-ci riposta de la même manière avant de sortir en râlant. Le videur m’invita à le suivre dans les vestiaires... des hommes. Je m’arrêtai à l’entrer, le fixant incrédule. Il m’assura que c’était pour des questions de discrétion. Il finit par passer la porte et vit Jean qui attendait dans un coin, toujours peu ravis de me voir. Je lui souris.

  • Bon, commença le blondinet...
  • J'étais contre te parler, l’interrompit l’autre videur. Mais je pense que l’on a pu le choix.

 Je ne dis rien, les observant tours à tours, les bras croisés.

  • Il y a un an. Le patron a commencé à recevoir des visites étranges, et à rester à des horaires anormaux.
  • Pour ce dernier point, ce n’est pas extraordinaire, répliquai-je.
  • Certes, mais pour lui, c’était surprenant. Depuis huit ans que je travaille ici, il n’avait quasiment jamais fait ça. On fait souvent la fermeture Jean et moi, et d’un coup. Il se met à la faire tout le temps.
  • Suspect en effet. Mais quel rapport avec la victime ?
  • Jack était un ami à moi. On avait servi ensemble. Je n’avais pas hélas les moyens de l’aider plus. Tout ce que j’arrivais à faire c’est lui apporter de la nourriture et de quoi le protéger du froid. Du coup, discrètement, j’ai réussi à installer un micro dans le bureau du directeur.
  • Sérieusement ? Fis-je surpris.
  • Oui. Cependant il est limité. Il n’a que trois jours de mémoire et on est obligé d’aller extraire les enregistrements surplace.
  • Problématique, en effet. 
  • Mais avec cette affaire, reprit Jean. J'ai réussi à le récupérer et... un passage nous a laissés perplexe.
  • Comment ça ? Demandai-je.

 Il sortit un téléphone portable et me tendit l’oreillette d’un écouteur. Je l’installai et il activa son enregistrement :

  • Qu'Est-ce que tu fous là !? Hurlai Vitote, Victor de son prénom si je me rappelais bien.
  • … 

 J’écarquillai les yeux. Quelle était cette langue ? Et cette voix venant des enfers ? On aurait presque dit des grognements. L'inconnu avait-il un appareil pour la modifier ? Ça continuait :

  • Je m’en fous de ça !! Tu te rends compte de la merde que tu as amené avec toi ?!
  • … 
  • Je te parle comme je veux ! Tu sais à qui tu t’adresses au moins pour dire ça ?!
  • Je préfère ça. 
  • Quoi ?
  • Sérieusement ? On va dire que ça compense cet incident. Et tu l’as avec toi ?
  • Et merde. Et qui ?
  • C'est maigre comme description, mais ça ne court pas les rues, heureusement. 
  • … 
  • Il y a intérêt. Tu n’as plus le droit à l’erreur. Je vais en informer qui tu sais. 
  • Ne râle pas ! Je suis fidèle, moi ! Contrairement à certain...
  • À qui la faute ? Allez, prends ça et casse-toi !
  • C'est ça.

 Je les fixai tour à tour, ne sachant pas trop ce que j’avais écouté.

  • Alors ? reprit Daniel. 
  • Alors... je ne sais pas quoi en penser. C'est une piste mais rien ne nous garantit qu’il parle bien du meurtre, ni que son interlocuteur est le tueur.
  • Mais ? Et cette voix étrange ?
  • Un appareil pour modifier sa voix, un problème de micro, les raisons peuvent être multiples, hélas. Puis-je en avoir une copie ?
  • Tiens, fit Jean en me tendant le téléphone. C'est un jetable, et j’en ai déjà fait une copie. 
  • Merci. Même si je doute pouvoir en faire grand-chose.
  • Comment ça ?
  • Un enregistrement obtenu illégalement, avec peu de preuve concrète... merci encore.

 Je sortis et rejoignis mon collègue dans la ruelle, apparemment occupé à prendre note sur son petit calpin. Les gars de la police scientifique avaient semblait-il fini d’embarquer les preuves. La morgue emportait le corps décapité ainsi que sa tête. 

  • C'est bon ? Allez, on y va. Il t’a dit quoi ?  
  • Je t’explique au poste.

 Une fois là-bas, elle lui confia ce que les videurs lui avaient dit et lui fit écouter l’enregistrement.

  • Ouaip. Comme tu l’as dit, c’est difficilement utilisable. Au moins, on sait qu’il traine dans des affaires louches.

 Nous terminâmes la conversation peu après, concentré sur le travail. Je fouillais les antécédents de notre victime. En effet, à moins qu’un terroriste ait été très rancunier, personne ne semblait lui en vouloir. Pas de famille. Il n’avait pas eu de chance à la sortie de l’armée et s’était retrouvé à la rue quelques années après. 

 La journée se terminait et on avait à peine avancer. Nous attendions patiemment que l’autopsie soit faite, ce qui allait prendre un peu de temps car récemment le nombre de meurtre était monté en flèche. De quoi avoir envie de sortir en ce début de printemps.

 Plus tard dans la soirée, aux alentours de dix-neuf heures, mon téléphone sonna :

  • Allo, inspectrice Disperet à l’appareil.
  • Allo, inspectrice...

 Après quelques secondes, je hurlais en me levant. Je pris aussitôt toutes mes affaires et partis en fureur. Un policier venait de m’informer que mon appartement avait été cambriolé.

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