XXIII Parfois, je ne sais pas ce qu'est le pire...

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Une bonne heure plus tard, nous décidâmes de redescendre.

  • Ah ! s'exclama Soan, ce petit moment m'a fait un bien fou !
  • Oui, à moi aussi ! Punaise, je ne te savais pas si bon danseur !
  • Eh bien, me taquina-t-il, laisse-moi te dire que tu ignores beaucoup de choses sur moi encore.
  • Ah oui ? fis-je intriguée.
  • Eh oui ! dit-il en faisant un clin d'œil.
  • D'où te vient le goût de la danse ?
  • De ma mère, déclara-t-il, elle est portoricaine.
  • Ah oui ? fis-je en passant devant lui. Ton père est argentin alors comment se sont-ils rencontrés ? demandai-je curieuse.
  • Ben... fit-il, à vrai dire, je ne sais pas trop.
  • Ah... Bon, vu nos parents, ne t'en fais pas, je comprends ! m'exclamai-je en ouvrant la porte donnant sur notre palier. Pour tout te dire, moi non plus je ne sais pas comment les miens se sont rencontrés. Trop de cachotteries et de demie-vérités. Mais bon, parfois j'en viens à me demander ce qu'est le pire entre ignorer et savoir. Et finalement, ignorer les choses dans certains cas, ce n'est pas si mal !
  • Oui, acquiesça-t-il, je pense aussi comme ça.
  • Enfin bref, dis-je en me retournant, merci pour ces moments So. Pendant ces quelques heures passées tous les deux, j'étais ailleurs qu'ici.
  • De rien, sourit-il en m'attrapant par la taille. Viens par là, amorcito mio...

Un bruit sourd venant de chez moi nous parvint.

  • C'était quoi ce bruit ? paniquai-je en me précipitant dans l'appartement. Mila ?

En ouvrant la porte, nous découvrîmes ma sœur, debout sur les meubles de la cuisine en train d'essayer d'attraper un paquet de gâteaux.

  • Mila ? répétai-je. Mais qu'est-ce que...
  • Ju, m'appela ma petite sœur, je n'ai pas fait exprès. Je vais ramasser. Je...
  • Mais c'est quoi ces meubles-là ?
  • C'est papa, me dit-elle en souriant.
  • Papa ? interrogeai-je Soan qui leva les épaules. Où est maman ?
  • Elle ne se réveille pas Judith, dit-elle en baissant les yeux.
  • Comment ça ?
  • Judith, intervint Soan, va voir ta mère, je m'occupe de Mi.
  • Okay, je...
  • Tu m'appelles au cas où, okay ? m'encouragea-t-il. Je reste là, avec Mila.

J'acquiesçai en angoissant. Je me dirigeai vers la chambre de ma mère et l'ouvris.

  • Maman ? tentai-je.

Pas de réponse. Je fis le tour du lit et vins m'asseoir près d'elle.

  • Maman ? la secouai-je. Réveille-toi !

Je la retournai et elle se laissa faire sans aucune résistance. Son corps était chaud et ses paupières tressautaient. Elle rêvait. Je posai mes mains tremblantes sur elle, espérant être plongée dans ses rêves.

J'atterris dans un endroit sombre en étouffant. J'essayais de me repérer, mais n'y arrivai pas. J'étais en terre inconnue et il faisait noir.

  • Maman ? criai-je.
  • Judith ? perçus-je. C'est toi ?
  • Oui ! criai-je de nouveau. Où es-tu ? Je ne te vois pas !
  • Judith ? hurla-t-elle.

Je me dirigeais au son de sa voix qui n'arrêtait pas de crier mon nom.

  • Maman, je t'ai trouvée !

J'accourus près d'elle. Elle était assise par terre, et était apeurée.

  • Judith, pleura-t-elle.

Elle tâtonnait le sol comme une aveugle pour me toucher. Je lui saisis le bras, elle tourna le visage vers moi et son regard me choqua. Ses yeux étaient blancs et j'eus juste le temps de les voir avant d'être ramenée au monde réel.

Je revins à moi calmement et observais ma mère prendre une grande bouffée d'air qui lui fit ouvrir les yeux à son tour.

  • Maman, lançai-je.
  • Judith... souffla-t-elle en cherchant autour d'elle.
  • Regarde-moi maman, exigeai-je.

Ses yeux étaient recouverts d'écailles opaques et sèches. Elle posa la main sur ses yeux et se les enleva. Elle ouvrit le tiroir de sa table de chevet, rempli d'autres écailles de toutes sortes de couleurs, et les y déposa. Je restais dans l'étonnement. Ses gestes avaient l'air d'être automatiques et vu la quantité d'écailles que comportait ce tiroir, j'en conclus que c'était loin d'être la première fois que cela arrivait.

  • Est-ce que ça va ? m'enquis-je.
  • Maintenant que je suis à la maison, déclara-t-elle, oui ça va !
  • Tu veux en parler ?
  • Je...
  • Maman ? la petite voix de Mila vint bruire à l'entrée de la chambre.
  • Hey, ma puce ! sourit-elle.
  • Maman ? Tu es réveillée ! s'écria-t-elle en s'asseyant au creux de ses jambes.

Ma mère souriait et j'en profitais pour aller retrouver Soan. Je lui expliquai rapidement ce qu'il venait de se produire et il détourna la tête.

  • Pourquoi tu fais cette tête, So ?
  • J'ai déjà vu ça, Judith... avoua-t-il.
  • Et qu'est-ce que ça signifie alors ?

Mila et ma mère firent irruption dans le salon et nous surprirent.

  • Et si nous faisions des crêpes hein ? proposa-t-elle.
  • Oui ! s'écria Mila. Des crêpes, des crêpes !
  • Soan, lui dit-elle, reste avec nous, si tu veux.
  • Euh... Non merci, Mme Berry.
  • Soan, reste avec nous, insista Mi.
  • Non, princesse, trancha-t-il. Je vais aller voir mon père. Une prochaine fois d'accord ?
  • Okay, fit-elle déçue.
  • Bon après-midi à vous, lança-t-il en détournant les yeux de ma mère.

Il était visiblement mal à l'aise et malheureux tout d'un coup. Je le raccompagnai et lui ouvris la porte. Il me serra fort dans ses bras, je l'entendis déglutir et avec une voix refoulant sa peine, il me chuchota :

  • Ta mère se meurt...

Il me laissa là, et s'enfuit chez lui.

Je restais stoïque, debout devant la porte sans arriver à dire un mot.

  • Tu viens, Ju? me fit sursauter Mila.
  • Oui, je... Bien sûr !

Je refermai la porte et allai les rejoindre dans la cuisine. À nous trois, nous fîmes de cet instant un moment magique. Nous oubliâmes les ecchymoses dans le cou de ma mère, nous oubliâmes aussi, sa lèvre ouverte, tous les nouveaux meubles et même mon père. Nous n'avions pas besoin de tout ça tant que nous étions ensemble, finalement le reste comptait peu. Nous nous régalâmes de crêpes, de jus de fruits et de thé. Ma mère mangeait difficilement, mais riait avec nous. Une fois rassasiées, nous nous installâmes devant notre nouvelle télévision, dans notre nouveau et bien plus confortable canapé. Tout cela était tellement superflu...

  • Ah ! s'exclama ma mère. Les filles, ça vous dit de regarder mon film préféré ?
  • Ben oui ! fis-je. Carrément !
  • C'est quoi ton film préféré, maman ?
  • C'est Dirty Dancing ! annonça-t-elle toute contente.
  • Hein ? m'esclaffais-je. Mais non ?
  • Mais si ! rigola-t-elle. Tu le connais ?
  • Ah ben oui ! confessai-je. Et pas qu'un peu !

Ma mère le mit en route et c'est alors que je me mis à imiter les répliques des personnages. Je chantai les chansons et mimai leurs gestes. Grâce à Élé, je le connaissais par coeur et elle avait raison, je commençais à aimer ce film...

Je les observais, assises en face de moi, sur le canapé. Mila libre comme l'air était enfermée dans les bras de ma mère qui elle, était complètement emprisonnée dans cette fichue forêt. Il fallait que je la sorte de là ! Bien au-delà de nos rires et de nos apparences se trouvait une réalité qui nous dépassait : aujourd'hui, nous étions une famille, mais jusqu'à quand ?

Quelques heures plus tard, la journée touchait à sa fin. J'allais dans ma chambre, abandonnant ma mère et ma sœur qui jouaient aux cartes, et me souvins de la parole de mon père. J'ouvris le tiroir de mon bureau et y trouvais tout un tas d'argent. Je le refermai en le claquant, énervée et dégoûtée.

Je montais dans mon lit en fureur. Mais enfin, croyait-il vraiment qu'un vulgaire paquet de fric et de nouveaux meubles suffiraient ? Je passais mon bras sous mon coussin pour l'entourer. Je sentis une lettre. Je l'attrapai et l'ouvris. C'était encore lui : "Ma fille" qu'il disait... Je déchirai ses mots en quatre et les jetai à l'autre bout de mon lit. Pas envie d'entendre ses foutaises... Ah non ! Pas envie du tout...

Je m'endormis sur ma colère et mes rêves en furent bousculés.

  • Lucas ?
  • Judith ? fit-il surpris. Mais où sont Val et Irène ?
  • Je ne sais pas, je viens tout juste d'arriver.
  • Ici ? Près de la forêt ?
  • On dirait bien que oui !

Il descendit de sa haute monture étrange et merveilleuse et vint me rejoindre.

  • Est-ce que ça a un rapport avec ta mère ?
  • Pourquoi demandes-tu ça ?
  • Je l'ai vue plusieurs fois y entrer et je l'en ai sortie à chaque fois. Mais elle se débat, elle veut y rester. Je pensais qu'Irène viendrait la raisonner. Ah ben, justement, les voilà !
  • Tata ! m'écriai-je, en lui sautant dans les bras.
  • Ma fille, mais enfin qu'est-ce qu'il y a ?
  • Papa est revenu.
  • Comment ? Raconte ?

Je lui racontais les derniers évènements.

  • Tu as pris des risques en rêvant avec Soan. Mais cela t'a permis de sauver ta mère. Tu dois éviter d'entrer dans la forêt. Il y a des gardiens et ils sont là pour ça.
  • Je ne pensais pas qu'elle y serait.
  • Oui, tiens, la revoilà qui y revient.

J'allais aller vers ma mère, mais ma tante me retint.

  • Laisse-moi m'en occuper. Et puisque vous êtes là tous les trois, cherchez la maison de Soan. Il faut retrouver sa boîte les enfants.
  • Oui, allons-y ! intervint Val.
  • Montez les filles, je vous emmène.

Val monta derrière Lucas et il fit apparaître à côté de lui, une monture semblable à la sienne. Cette créature ressemblait à une espèce d'animal avec des pattes, ayant un aspect de dragon avec un corps recouvert de plumes étincelantes. Tête ronde et regard saisissant, la bête imposante se tourna vers moi et me jaugea. Elle approcha son regard du mien et nos fronts se rencontrèrent. Son souffle me souleva, me rendant légère. Lucas et Val me regardaient ébahis. Elle me reposa à terre et s'abaissa pour que je puisse la chevaucher.

  • Judith, c'est extraordinaire ! Zorig t'a choisie.
  • Zorig ? répétai-je envoûtée en passant ma main dans ses plumes.
  • Le dernier à l'avoir monté est mon père. Son nom signifie bravoure et maintenant, il t'a choisie et tu deviens son maître. Commande-le et il te mènera où tu le souhaites. Allez, Gal on y va !

Lucas partit en premier me laissant seul avec mon nouvel ami. Je ne savais pas trop comment faire. Je montais maldroitement sur son dos et je lançais :

  • Zorig, suis-les.

Il démarra en courant gentiment. Nous les rattrapâmes sans trop de difficultés. Cet animal dégageait une puissance incroyable.

  • Judith, accroches-toi ! me cria ma cousine.
  • Pourquoi ?
  • Zorig, Gal ! ordonna Lucas en me regardant tout sourire. Feu !
  • Hein ?

Je n'eus pas le temps de dire un mot de plus que Zorig traversa la plaine comme un éclair. Nous parcourûmes des endroits magnifiques. Des étendues de verdure s'étalaient devant nous. J'étais complètement époustouflée de voir tant de beauté. Mes cheveux aux vents, je laissais l'adrénaline monter en moi. Je m'accrochai à ma monture tellement heureuse, que j'en resserrai mes mains dans son cou. Ses plumes étaient solides et magnifiquement colorées. Elles étaient soyeuses et magiques. Je regardais devant moi et je vis une faille qui séparait deux vallées. Lucas regarda Zorig et lui fit un signe de la tête. Zorig acquiesça et je commençai à paniquer. Je vis Gal la sauter sans difficulté, mais Zorig accéléra. Je le maintenais encore plus fort puis, arrivé au bord, il se laissa tomber dans le vide. Je me mis à crier, la boule au ventre. Des haut-le-cœur me saisirent et je faillis vomir. Zorig me regarda plein de compassion et ouvrit de grandes ailes sorties de nulle part. Je pris peur et en sursautant, je glissai subitement de lui, n'arrivant pas à me rattraper. Zorig se tordit pour tenter de me remettre en selle, mais n'y parvenant pas, je finis par tomber dans le vide. Prise de panique, j'hurlai en essayant de me concentrer pour me téléporter. Mais impossible, l'angoisse était bien trop grande. Je vis Zorig replier ses ailes en arrière et foncer sur moi. Il disparut soudainement et je vis apparaître sous moi comme un nuage de plumes qui m'accueillit en douceur. Ses plumes m'enveloppèrent et me gardèrent enfermée jusqu'à ce que nous regagnions la terre ferme. Le cocon de plumes s'ouvrit et je sortis sous le choc.

  • Judith est-ce que ça va ? s'enquit Lucas.
  • Non mais, Lucas ! m'écriai-je. Tu aurais pu me prévenir, merde ! J'ai failli mourir là !
  • Mais non... s'éclaffa-t-il. Serais-tu une trouillarde, ma chère ?
  • Hein ? Non mais tu te fous de moi là ?

Zorig me tapa dans le dos avec sa tête et je redescendis de ma colère. Je regardais mes cousins se tordre de rire du coup qu'ils venaient de me faire. Je ris avec eux en relâchant ma nervosité et ils vinrent m'enlacer.

  • Moi, j'ai eu peur, annonça Val. Ça va ?
  • Oui, ça va...
  • Tu es sûre ? demanda Lucas.
  • Toi ! Tu vas voir ! ris-je.
  • Allez, cousine, on y va !
  • Cousine ? intervint Val.
  • Nous avons plein de choses à te raconter Val...

Nos montures se fondirent dans la nature et nous continuâmes à pied le restant du chemin, racontant à Valéria tout ce que nous savions. Elle en tombait des nues et fit le rapprochement familial entre Lucas et elle. J'en profitai pour leur raconter les derniers événements passés entre ma mère, Rodrigues et mon père. Lucas nous relata les derniers essais ratés que Soan et lui avaient faits dans le but de retrouver sa maison.

  • Mais comment nous allons faire si nous n'avons pas un membre de la famille ou quoi ? remarquai-je.
  • J'ai ça ! dit Lucas en brandissant le carnet de la mère de Soan.
  • Le carnet de sa mère ! dit Val. Quelle bonne idée ! Il faut essayer.
  • On y est ? demandai-je.
  • Oui, elle pourrait être vers là.

Je marchais sur l'étendue vaste avec le carnet à la main. Soudain, il s'illumina et dévoila une maison.

  • C'est sûrement ici ! chuchotai-je.

Nous entrâmes tous les trois dans la maison prenant bien soin de vérifier que personne ne nous suivait. Nous refermâmes la porte derrière nous, et le carnet brillait de plus en plus fort. Je le rendis à Lucas qui le glissa sous sa veste pour en atténuer l'éclat. Je marchais dans la pièce quand soudain, il s'éteignit. Je posais mes mains au sol pour en révéler les souvenirs quand subitement quelqu'un entra dans un fracas. Lucas et Val disparurent, me laissant seule. Je regrettai de ne pas maîtriser mes pouvoirs aussi bien qu'eux. Je me retournai sur un homme complètement voilé. Il déposa un chariot rempli dans un coin, et m'attrapa par le col de ma veste pour me soulever contre le mur. Ses yeux se révélèrent, je lui défis son voile puis lui chuchotai le plus calmement possible.

  • Alec ?
  • Judith ?

Je me réveillai haletante et toute transpirante.

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