XXVII Parfois, on perd...

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Soan

Debout, appuyé contre le garde-corps sur le toit, je profitai d'un moment seul. Je n'avais pas croisé Judith depuis que je l'avais vue la veille, partie de bon matin, en claquant la porte de chez elle. J'avais reçu son message et m'en étais réjoui. Mon père ne s'était toujours pas réveillé et je commençai à angoisser. Le fait d'avoir vécu ces quelques années seul avec lui avait fortifié nos liens. Même si parfois il était celui qui me brisait, je l'aimais. Et depuis que Nic m'avait fourni quelques explications, tout s'éclaircissait. Les choses semblaient bien trop compliquées parfois...

J'entendis du bruit derrière moi et me retournai vivement. Nic m'observait et me sourit :

  • Salut, mon gars ! lança-t-il. Comment vas-tu ?
  • Nic, tu m'as fait peur ! lançai-je. Tu ne peux pas passer par les portes comme tout le monde ?
  • Moins on me voit, mieux je me porte ! Je ne voulais pas t'effrayer, flipette va ! plaisanta-t-il. Allez, viens, faut que je te cause.

Nous nous assîmes dans un coin et après avoir pris des nouvelles de mon père, il m'expliqua le plan qu'il avait pour moi.

  • Tu es en train de me dire que les morceaux ne sont pas dans ma maison ? m'étonnai-je. Mais qui les a emportés ?
  • Euh... Un contact les a déplacés.
  • Un contact ?
  • Exact ! affirma-t-il.
  • Qui est ce contact ?
  • C'est euh...
  • Mais enfin, m'énervai-je, réponds-moi.
  • Je ne peux pas te répondre pour l'instant. Mais ne t'en fais pas, tu vas bientôt le rencontrer.
  • Hum, soupirai-je. Bon, si j'ai bien compris, je ne dois pas rêver ce soir. Vous récupérez les débris et ensuite, Ju s'occupera de la réparer.
  • Oui, c'est ça ! Tiens, prends ce cachet, ça t'aidera à ne pas rêver.
  • Ok, merci, dis-je nerveux.
  • N'aie pas peur, me réconforta-t-il. Tout va bien se passer, tu verras.
  • Tu vas prendre mon apparence et te laisser enfermer dans ce trou à rat ! Et si tu n'arrivais pas à te contrôler ?
  • Comment ça, à me contrôler ? interrogea-t-il.
  • Quand ils me jettent là-bas, ils restent avec moi pendant des heures à me persécuter.
  • Ah bon ?
  • Oui, ils espèrent me pousser à bout pour que je devienne comme eux et que je choisisse leur camp. Parfois, je suis à deux doigts de craquer... confessai-je.
  • Bah, t'inquiètes pas pour ça ! fit-il. Je suis coriace, moi ! Je vais gérer. Allez, fiston, j'y vais !
  • Bonne chance Nic !
  • Ah tiens, j'allai oublier ! s'exclama-t-il. Une nouvelle seringue. Cache-la au même endroit que la précédente et tu ne dis rien à ton père ! On ne sait jamais si son mauvais côté le découvre... Enfin, bon tu vois le drame...
  • Mais ce n'est pas mon père qui avait caché celle-ci ?
  • Tu poses trop de questions, Soan. Chaque chose en son temps, veux-tu ?
  • Très bien, dis-je en levant les mains.

Il me fit un clin d'œil puis s'évapora. Il me tardait de retrouver mes pouvoirs et mon rôle de gardien de la forêt. Tous mes espoirs se concrétisaient enfin. Ma seule inquiétude était Nic. Il était évident qu'il ne tiendrait pas plus de deux minutes avec ces monstres. Et son contact alors ? Qui était-il ? Qui pouvait bien avoir le pouvoir de changer les apparences ? Tant de choses que je ne savais pas et tant de questions sans réponses. Comment savoir sans que les choses ne soient dites ? Enfin, Nic m'avait sauvé une fois déjà, et je savais que je pouvais compter sur lui. Il ne me restait plus qu'à croiser les doigts en souhaitant que tout se passe au mieux...

Alec

En attendant Nic, bien à l'abri dans notre planque de la forêt, je me repassais en mémoire les paroles d'Irène. Il était hors de question que ma mère intervienne dans le monde des rêves. Elle était bien trop fragile dans le monde réel pour donner autant d'elle-même. Je savais très bien qu'il serait difficile de la convaincre, mais il fallait que j'essaye. Nic fit enfin son apparition, les choses sérieuses allaient pouvoir commencer.

  • Salut, Alec, es-tu prêt ?
  • Viens, Nic, assieds-toi, l'invitai-je. Nous allons répéter les étapes de notre plan.
  • Okay, répétons...
  • Bon, ayant l'apparence de Soan, tu vas devoir en imiter au maximum les actes. Tu sais que tu n'auras pas sa voix, il est donc très important que tu te taises un maximum. Tu ne dois rien répondre et surtout tout supporter. Tu ne dois pas t'énerver et perdre le contrôle.
  • Oui, je sais... Pourquoi tu ne m'as pas dit que j'allai être persécuté ?
  • De quoi tu parles ?
  • Soan m'a dit que lorsqu'ils l'enfermaient là-bas, ils restaient avec lui pendant des heures à le persécuter.
  • Mince, m'inquiétai-je, tu vas vraiment devoir rester calme alors...
  • Exact ! J'y arriverai !
  • Tu en es sûr, Nic ? fis-je inquiet.
  • Mais oui !
  • Nic, je compte sur toi ! Tout le monde compte sur toi !
  • Ne t'en fais pas, je te dis ! m'affirma-t-il en me posant les mains sur les épaules.
  • Bon, soupirai-je, très bien alors. Allons-y.

Je lui fis boire une potion que j'avais préparée. Ensuite, j'utilisai mes pouvoirs pour le transformer en mon frère. J'avais opéré ce changement que deux fois auparavant et j'appréhendais.

Nic se replia sur lui même. Ses habits et sa carrure commencèrent à changer. Il se redressa et son apparence se transforma complètement. Je fus ému de voir mon frère devant moi. Il ouvrit les yeux et me fixa sans réagir.

  • Nic, ça va ? m'inquiétai-je.

Pas de réponse. Je vis ses yeux changer de couleur.

  • Nic, putain, réponds ! dis-je en paniquant.

Je me retournai et allai chercher dans ma valise de quoi faire un cocktail de plantes pour inverser le processus.

  • Alec ?

La voix de mon frère retentit dans la pièce. Je me retournai vers Nic, le cœur serré.

  • Nic ? articulai-je en m'avançant vers lui.
  • J'ai sa voix ! ajouta-t-il en mettant la main devant sa bouche.
  • C'est surprenant !
  • Oui, c'est troublant.
  • Oui, je suis d'accord ! confirmai-je. Je ne pensais pas réussir autant ! Comment te sens-tu ?
  • Je t'aime, Alec ! me dit-il en m'enlaçant.
  • Nic, est-ce que ça va ?
  • Ça fait tellement longtemps qu'on ne s'est pas vus. Pourquoi avoir autant attendu ?
  • Hein ? Nic, tu es là ?
  • Oui, renifla-t-il, je suis entrain de chialer dans tes bras, putain... Je ressens tous ses sentiments Alec... Tu lui brises le cœur.
  • Comment ? Tu ressens aussi ses sentiments ?
  • Exact, Alec, se défit-il de moi. Je suis plongé à l'intérieur de lui. Il est tellement triste et ...
  • Ce n'est pas le bon moment pour ça ! le coupai-je déconcerté. On doit rester concentrés sur sa boîte et rien d'autre, okay ?
  • Oui, tu as raison, excuse-moi, tous ses sentiments et son passé m'ont envahi d'un coup !
  • Mon frère a un cœur spécial et une histoire particulière. C'est pour cette raison qu'il doit récupérer sa boîte et nous sommes là pour ça, alors reprends-toi ! le secouai-je.

Je l'observai se déplacer dans cet endroit exigu. Il avait exactement la même démarche et les mêmes manières. Il alla se passer un coup d'eau sur le visage et se tourna vers moi. Son regard me perça à vif et je baissai les yeux.

  • Je suis prêt !
  • Allez, filons avant que je ne m'effondre à mon tour !
  • Bah, t'inquiètes pas, il te pardonne, m'avoua-t-il en me serrant les épaules dans ses mains.

Nos regards s'entrechoquèrent et ne pouvant en supporter davantage, je sortis le premier. L'air frais me ramena à notre objectif et nous partîmes à la recherche d'une troupe de maudits.

Il avait gardé toutes ses capacités : sa force en premier et tous ses autres avantages. Il avait fusionné avec mon frère. Je me transformai rapidement en fouine et me glissai dans son sac. Nous croisâmes Lucas de loin et il comprit que l'opération d'infiltration avait commencé. Il nous fit signe d'aller vers l'ouest et nous suivîmes ses indications. Non loin d'ici, nous tombâmes sur une troupe de monstres qui s'apprêtait à dévaster une maison. Nous nous regardâmes et son visage changea. Il se revêtit de l'apparence hideuse de mon frère.

Nicolas

  • Soan ! m'interpella l'un d'eux. Te voilà, vermine ! Maudit te cherche depuis des heures ! Où étais-tu passé ?
  • Je euh...
  • Allez, viens par là ! On a une maison à visiter.

Ils entraient avec fracas. Ils reniflèrent les recoins et les objets laissés là. Je perçus comme un remous dans une des pièces et Alec se faufila dans ma manche et en sortit. Il alla visiter les pièces rapidement et revint vers moi me chuchoter qu'un enfant s'y cachait. Il me demanda d'occuper ces deux lourdauds, le temps qu'il gère l'enfant et c'est ce que je fis. Quelques instants plus tard, nous repartîmes.

  • Ra ! Mais que va dire le maître ? s'inquiétait l'un d'eux.
  • Écoute, nous mettrons ça sur le compte de ce bâtard de Soan. Il nous servira d'excuses, comme à chaque fois. Il serai enfermé quelques jours et l'affaire se tassera. Ça te va petit larbin ?

J'acquiesçais en silence. Ces deux imbéciles ne savaient pas que ce qu'ils proposaient était une aubaine pour moi.

Je les suivis en silence, attendant mon sort. Une fois le passage devant Maudit fait, ils me mirent un sac sur la tête et me lièrent les mains dans le dos. Je les suivis, ne sachant où j'allai. Je sentis Alec dans mon sac qui gigotait. Cela me permettait de rester concentré sur mes objectifs. Ils me conduisirent pendant de longues minutes. J'essayais de mémoriser le chemin mais au bout du cinquième tournant je perdis le fil. J'entendis une porte s'ouvrir puis ils me jetèrent violemment au sol. Mes nerfs commencèrent à monter. Ils m'enlevèrent le sac et le balancèrent au sol. Je découvris la cellule uniforme et humide. Nous étions bien sous la terre comme des rats et il faisait chaud.

  • On revient pour que tu nous fasses ton petit spectacle, mon petit minot ! prononça l'un d'eux en me méprisant et en rigolant. On te laisse quelques minutes pour te préparer, hein ?
  • Cette fois-ci, ne nous déçois pas ! me dit l'autre en me prenant le visage.

Je vis son horrible apparence et je sentis son haleine immonde. Un haut-le-cœur vint me surprendre. J'avais pourtant l'habitude de voir des créatures hideuses comme eux. Mais là, j'avais tout un mélange de sentiments.

  • Allez, Horreur, viens, on se casse d'ici. On doit s'occuper du mec de la cellule d'à côté.
  • Okay, Damn, dit-il en s'éloignant de moi, comment qu'il s'appelle celui-là déjà ?
  • Bertil, annonça-t-il. Tu oublies tout ! rit-il de son rire écœurant en refermant ma prison.
  • Mais non, Horreur, ce n'est pas ...

Je n'entendis plus leur voix. Je passais vite mes mains devant. Avec le corps fin de Soan, c'était vraiment trop facile. Je me libérais et ouvris mon sac. Alec en sortit en quelques instants et alla renifler le sol. Il trouva facilement l'emplacement et commença à creuser. Je vins lui porter main forte et nous tombâmes sur les morceaux de la boîte de Soan. Nous les assemblâmes pour vérifier qu'il n'en manquait pas puis je vis Alec les avaler. Une fois le tout englouti, je le pris dans les mains et le regardai dans les yeux.

  • Tu as entendu qui est à côté, n'est-ce pas ? Va vérifier que c'est bien lui avant de sortir d'ici.

Il acquiesça et j'entendis les monstres revenir. Il me noua vite les mains dans le dos et se cacha à l'arrivée des monstres.

  • Bah alors, mon petit Soan, dit Damn en ouvrant ma cellule, tu parles tout seul ?
  • Il voulait qu'on revienne ! ricana Horreur. C'est ça, hein?
  • Alors Soan, tu es prêt ?
  • Prêt à quoi ? m'exprimai-je à voix basse.
  • Ben à danser, gros naze !
  • À danser ? répétai-je.
  • Oui à danser ! me cria Damn en me frappant violemment. Ah ! Que c'est soulageant de te frapper !
  • Ah oui ? dis-je les dents serrées.

Je vis mes mains qui commencèrent à changer d'apparence. Alec sortit de sa cachette et commença à se faufiler vers la porte. Les deux maudits me remirent le sac sur la tête et me frappèrent à tour de rôle. Puis ils m'enlevèrent le sac pour me demander si je savais qui m'avait donné un coup. Ne sachant que répondre ils jouèrent à me battre en me demandant qui frappait le plus fort. Les nerfs commencèrent à me chauffer. Mes yeux changèrent de couleur et je me recroquevillais sur moi-même. Alec atteignit la sortie et passa au travers des barreaux de la porte. Il se retourna vers moi, me faisant non de la tête mais il était trop tard. Je fermais les yeux quelques instants et pris une grande inspiration. J'ouvris les yeux et le vis disparaître. Je brisai les liens qui me retenaient et me redressai d'un bond, ayant retrouvé mon corps, mes muscles et mes poings.

  • Alors les gars, ça vous dit de danser ? lançai-je au travers de la cellule.
  • Mais qu'est-ce que ...

J'attrapai Damn par le coup et l'étranglai d'une seule main. Horreur se mit à crier : "code rouge" et n'eut pas le temps d'en prononcer plus, que je lui balançai Damn dessus. Ils s'écroulèrent tous les deux contre le mur. Je me dépêchai de sortir d'ici, lorsque je vis toute une troupe de maudits se jeter sur moi. J'en attrapai un pour frapper l'autre. Ma force se décuplait. Je joignis les mains devant moi et les serrai. Je les détachai et martelai mes genous. Une onde sortie de moi et les cloua au sol. J'ouvris mes bras, et les levai au ciel. Je claquai mes mains entre elles et au bruit qui retentit dans la pièce, ils se changèrent en poussière. J'ouvris mes mains et fis un cercle avec mes bras puis me mis à souffler et toute la poussière s'envola. Je n'eus pas le temps de me remettre qu'une autre troupe arriva. Puis une autre, bien plus grande et bien plus forte. À bout de force, ils me capturèrent et me ligotèrent avec une corde tressée. Ils me bâillonnèrent puis me trainèrent par les pieds et me jetèrent dans une autre cellule en fermant la porte à double tour. Plus de lumière, plus de son, je restai à terre, ne pouvant ni crier ni me libérer. Ils avaient réussi à me faire craquer et j'étais devenu leur prisonnier.

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