XXXI Parfois, c'est le cœur qui lâche...

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Gislann

Trois semaines s'étaient écoulées depuis l'accident de Judith. Elle était toujours dans le coma et moi, je plongeais doucement dans les bas-fonds de l'enfer. J'avais recommencé à boire et n'arrivais pas à remonter la pente. Sans Judith, j'étais perdue. Mila était très affectée par tous ces événements et l'assistante sociale de l'école m'avait proposé son aide. Il fallait se rendre à l'évidence, je n'arrivais pas à m'occuper de moi-même alors comment pouvais-je m'occuper d'une enfant ?

Nolan et Emma continuaient de me téléphonner, mais je ne leur répondais plus. Élé était passée me voir, et je lui avais gentiment raconté des salades qu'elle avait eues du mal à avaler, mais dont elle s'était contentée.

Hier, je repris mes antidépresseurs et en regardant la plaquette de cachets, il me vint l'idée de tous les avaler avec un bon verre. Je secouai la tête à cette idée sortie de nulle part et me ressaisis.

En me regardant dans le miroir ce matin, je ne pouvais me mentir plus longtemps. L'idée de mettre fin à mes jours me taraudait depuis de très longues années et maintenant plus personne ne pourrait me retenir. De toute façon, c'était sûrement la meilleure des choses à faire, vu mon cas.

Sans compter sur cette maudite assistante sociale qui m'avait trouvé une remplaçante. Elle me disait qu'elle voulait que les choses s'arrangent pour moi et que je devais remonter la pente. Pour ce faire, une personne m'aiderait dans mon rôle de mère. Et Mila se sentait bien avec le substitut de mère qu'elle trouvait en Déborah. La première fois que j'aperçus cette femme, elle ne m'inspira pas du tout confiance. Elle avait une tâche près d'un œil qui ressemblait à une goutte rouge. Elle faisait tellement de manières que s'en était écœurant. Elle puait l'hypocrisie à plein nez. Je n'avais pas trop le choix de constater que ma fille et elle passaient de plus en plus de temps ensemble. Et c'est alors que Déborah se fit une place dans nos vies, me faisant bien comprendre mon inutulité. Avec ou sans moi, personne ne verrait la différence.

Affalée dans le canapé, je me laissais écraser par mes réflexions. Je regardais cette bouteille, bien pleine, qui se dressait devant moi. Une bien bonne fidèle amie celle-là. Je la saisis et la portai à ma bouche. Son liquide m'apaisa et réchauffa mon gosier desséché.

Judith

  • Hey, attends-moi Judith ! criait Soan.
  • Tu es trop lent So, me moquai-je en m'arrêtant.
  • Tu es sûre que tu veux le faire ?
  • On ne va pas encore en reparler, si ?
  • J'ai peur pour toi et si...
  • Arrête Soan, nous allons tous nous réunir et voir comment nous allons procéder. C'est le jour J et je ne suis pas sentie aussi bien depuis longtemps. Comment va ma mère au fait ?
  • Ça fait plusieurs jours qu'elle n'est pas venue te voir, je ne sais pas comment elle va, avouai-je.
  • Ah... fis-je déçue. Et mon père ?
  • Toujours rien...
  • Une fois que tout sera fini, promets-moi de t'arrêter chez ma mère pour voir comment elle va.
  • Promis !
  • Nous sommes arrivés au point de rendez-vous, affirmai-je. Tu es prêt ?
  • Oui, souffla-t-il stressé.

Nous nous regardâmes une dernière fois et je claquai des mains faisant apparaître un endroit secret où tout le monde nous attendait.

Lucas, ma tante et mes cousines, étaient là. Je savais qu'Alec et Iris viendraient au dernier moment comme convenu. C'était la plus grosse partie du plan. J'espérais que Soan vivrait bien le fait de revoir sa mère et de comprendre qui était vraiment Mr Aubry. Lucas m'avait aussi averti d'événements dont Soan ne se souvenait pas et qui risquaient aussi de le perturber. En plus, faisant partie du mauvais clan, il attirait vers nous les maudits qui nous pourchassaient. Nous fîmes rapidement un point, omettant certaines petites choses qui avaient pourtant toute leur importance.

Nous convînmes de nous rejoindre sur place dans quelques minutes.

Je montai Zorig et pris ma tante avec moi. Lucas s'occupait de conduire les autres au point de rendez-vous.

Une fois tous sur place, Lucas, Val, Gal et Zorig assuraient notre protection. Un bouclier protecteur serait émis par Val au moment le plus critique et Lucas nous déplacerait si nécessaire. Protéger et déplacer autant de personnes ne s'était jusqu'alors jamais produit et nous espérions tous mener à bien notre mission.

Agathe et moi passâmes le seuil d'entrée. Elle fut assaillie par de nombreux souvenirs de gaieté et me sourit en me faisant comprendre que le lieu était favorable. Ma tante et So entrèrent et elle me fit régurgiter la boîte. Les gouttes jaunes et rouge sortirent et au vu de leur couleur, ma tante me regarda quelque peu angoissée. Elle m'expliqua que les gouttes jaunes représentaient la lumière et le bon, et que les rouges représentaient le sang et la peine. Une goutte rouge par face faisait beaucoup. Les gouttes se placèrent au milieu de nous et je tendis les mains pour les recevoir. Elles vinrent se déverser dans mes mains formant ainsi un liquide épais et brillant.

  • Le liquide me brûle les mains ! m'écriai-je.
  • Tiens bon, me soutint ma tante. Tu dois le conserver jusqu'à ce que les faces prennent forme.

Quatre coups secs retentirent. Agathe alla ouvrir et Iris et Alec entrèrent. Soan réagit de suite :

  • Maman ?
  • Mon fils, lui rendit-elle les larmes aux yeux.
  • Mr Aubry ? dit-il perplexe.
  • C'est moi, mon frère, se révéla-t-il.
  • Alec ?
  • Je vais lâcher, criai-je les mains fumantes.

Iris vint vite en renfort et tout le monde reprit place. Je déversai le liquide fumant dans les mains d'Iris et les faces prirent forme directement, laissant les gouttes rouges en apesanteur.

Je vis Soan qui ne tenait plus en place. Son frère et sa mère le perturbaient et je ne savais pas combien de temps il tiendrait sans rien dire. L'heure n'était pas aux règlements de compte et il le savait.

Les faces virevoltaient au milieu de nous. Alec, Agathe, ma tante et So formaient un cercle protecteur et Soan commençait à devenir notre faiblesse. Il doutait et se laissait emporter par ses sentiments. Sa mère fit quelques pas en arrière et prit place à ses côtés. Elle lui tendit la main, mais il lui résista. Les yeux pleins de questions, ils se tournaient vers elle puis vers Alec. Il commençait à se perdre.

Une première face vint se présenter à moi et je vis Soan venir au monde. Je le voyais grandir dans une famille accueillante et aimante. Je le vis en face de moi se détendre et repenser aux bonnes choses qu'il avait certainement oubliées. Puis, leur déménagement pour se rapprocher d'Alec arriva.

Le visage d'Iris commençait à se rider sans trop que je ne sache pourquoi. Alec paniqua lui aussi, et je sentis le stress monter quand une goutte rouge vint entacher la belle couleur dorée de la face qui nous révélait ses secrets. Iris tourna le regard vers ma tante qui lui fit signe de souffler. Elle prit la main de ma cousine qui se trouvait alors à ses côtés. Et tous firent de même. Un cercle se forma autour de moi, et l'amour familial commençait à souder la chaîne protectrice qu'ils formaient.

Nous assistâmes tous au kidnapping de Soan qui devait avoir trois ans aux moments des faits. Deux individus à visage découvert, l'avaient tout simplement pris dans son lit.

Le visage de l'un d'entre eux me frappa et je reconnus en lui la personne qui m'avait renversée. La vue de cette cicatrice traversant son visage me troubla et je commençais à vaciller. Je sentis les mains de ma tante et de ma cousine dans mon dos et me ressaisis.

L'autre personne était une femme et quand elle se tourna, nous vîmes tous son visage. Elle avait une tâche près d'un œil. Une tache qui ressemblait à une goutte rouge qui coulait. Cette femme était le mal.

Une autre face vint se présenter à moi et je vis So, dans un autre endroit et je dirais même dans un autre pays. Tout était différent et je sentis l'odeur de renfermé de sa chambre. Je vis dans la pièce d'à côté les deux ravisseurs en train de jouer aux cartes les enfants qui allaient passer la nuit avec leurs clients. Soudain, j'aperçus un homme, mon père et un Alec tout jeune, se faufiler dans les couloirs. Nous les vîmes passer entre les lits et se saisir de Soan, qui dormait, pour le sortir de là.

Lucas entra subitement et nous prévint que les choses se gâtaient dehors. À la vue de l'homme qui accompagnait mon père et Alec, il fut figé par l'émotion. Il nous révéla que c'était son père et la vie de Soan reprit là où Lucas l'avait interrompue.

Pour eux, tout ne se passa pas comme prévu et les autres enfants, réveillés par le petit bruit qu'ils faisaient, se mirent à leur crier de les emmener eux aussi. Les ravisseurs arrivèrent dans la chambre et prirent Alec en otage. Beny se jeta sur eux et se prit une balle dans le flanc. Mon père, bien en colère, sauta par la fenêtre pour s'enfuir avec Soan. Il transforma le sol pour que la chute soit douce et nous le vîmes partir en courant dans la forêt dense qui jouxtait la propriété.

Lucas pleura de colère et sortit de la maison pour retrouver sa place dans le combat qui allait se dérouler dehors.

Nous vîmes mon père déposer en douce Soan dans son foyer. Puis se faire attraper par Rodrigues qu'il calma en lui expliquant les faits. Il lui promit aussi de s'occuper d'Alec qui était resté là-bas.

Le temps passa et ils revinrent près des Pradel où l'harmonie revint dans leur famille. Alec était aussi réapparu et une tache rouge vint colorer le tableau. La maladie de sa mère entacha leur vie et tout dégringola de nouveau. Un Soan perturbé par les drames familiaux fit son apparition, et sa joie de vivre s'effaça de son beau visage. Les deux faces s'assemblèrent dégageant une très forte onde de lumière.

Une troisième face vint et j'arrivais de moins en moins à maintenir mes mains tendues. Tout était si éprouvant. Je les avais en face de moi. Soan se contenait, sa mère pleurait et Alec tentait de supporter la vision de leur passé commun. Mon cœur s'emballait et je le sentais cogner dans ma poitrine. Je déglutis et eus la vision de la face tâchée qui était devant moi. Un mélange d'amour et de haine se dévoila aux yeux de tous et nous vîmes un Soan complètement détruit par un père malade qui ne guérissait pas de ses maux. Nous assistâmes à leur départ précipité. Nous le vîmes plâtré, hospitalisé, malheureux et battu. Implorant la mort de le cueillir tant la vie était dure. Mais son heure n'était pas venue. Je ressentis toute l'aversion qu'il avait envers son géniteur. Et tout son amour qui prenait sans arrêt le dessus, nous éclata au visage. Une lutte perpétuelle entre l'amour et la haine se livrait dans son cœur d'enfant devenu alors un adolescent. Toutes ses questions restaient sans réponses. La face s'assembla aux autres.

Une autre vint et je vis au travers de ses yeux sa façon de me regarder, de m'aimer et tout son amour m'envahit. Je pris le temps de chercher son regard qui se perdait dans sa boîte. Nous nous fixâmes et il s'avança vers moi. Nos souvenirs vinrent défiler devant nous et de la musique retentit dans la maison. Tout le monde sourit, et une tâche rouge vint salir nos bons moments. Elle représentait le doute et la peur et nous découvrîmes un Soan perdu, qui avait peur d'aimer et d'être aimé. Tout le monde se resserra et s'approcha de moi. Je commençais à sévèrement avoir de plus en plus de mal à calmer mon cœur qui s'emballait. Je portais une main sur ma poitrine, laissant tomber la face. Iris la rattrapa avant qu'elle ne touche le sol et nous vîmes le bouclier de Val se déployer. Tout s'accélérait dehors, et nous devions faire vite. Iris vint me porter secours et assembla la face aux autres parties.

Nous fûmes soudainement transportés dans une prairie et mes pieds touchèrent l'herbe douce. Une bonne odeur de fraîcheur me parvint et mon cœur ne se calmait pas.

Les deux faces restantes représentant son futur s'assemblèrent au reste. Entachées elles aussi, elles vinrent compléter sa boîte. Elles me révélèrent des pleurs, de la joie, de la musique et des promesses . Seules Iris et moi pouvions les percevoir. Elle vit que je n'allais pas bien du tout et finit le travail. La boîte vint vers moi pour que je la recueille dans mes mains. Je les tendis pour la réceptionner. Je fermais vite les mains puis les réouvris pour que la boîte éteinte puisse retrouver son propriétaire. Quand je les réouvris, mes mains étaient vides. Tout le monde paniqua et je levai les yeux vers Iris et ma tante qui me regardaient ahuries. Je répétais l'opération, mais elle ne réapparaissait pas. Soan s'approcha de moi et me prit les mains. Il me dit :

  • Ça ne va pas ? me dit Soan.
  • J'ai le cœur qui s'emballe, je n'en peux plus.
  • Arrête alors, je ne veux pas t'épuiser.
  • On touche au but Soan, je ne vais pas abandonner.

Je refermais les mains et les réouvris, mais la boîte ne réapparaissait pas. Je commençais à paniquer.

  • Je n'ai jamais vu ça, dirent ma tante et Iris d'une même voix. Pourquoi ne réaparaît-elle pas ?

Nous nous tournâmes vite vers le brouhaha qui nous parvenait au loin. La lutte nous poursuivait et se rapprochait. Ils avaient fini par nous trouver.

Paniquée, je répétais l'opération plusieurs fois, mais rien ne se passait. Agathe et Alec qui s'étaient concertés, s'approchèrent et mirent une main sur moi. Aux conseils de ma cousine, tout le monde fit de même. Alec nous commanda d'inspirer grandement. Tout le monde devait bloquer l'air en faisant le vide puis expirer vers le ciel et moi et Soan vers la terre. Ils nous placèrent au centre d'eux et l'un face à l'autre, les mains ouvertes et superposées, nous expirâmes ensemble, d'un même air vers la terre. La boîte prit forme dans notre souffle projetant une intense lumière. Je ne pouvais la regarder plus longtemps. J'avais l'impression que mon coeur sortait de ma poitrine. La douleur devenant trop intense, je m'agenouillais au sol avec la boîte de Soan entre les mains. Je les fermais rapidement espérant que cela fonctionne du premier coup. Elle s'éteignit et je la tendis vite à Soan qui la récupéra et la fourra dans sa gorge.

Je portai les mains sur ma poitrine et basculai sur le côté. Mon cœur se serra et s'arrêta net.

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