Les belles choses

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   Pierre.

 Je choisis ce défi « les belles choses » pour parler de vous. J’aurais pu opter pour un autre, traitant des épreuves de la vie, de la maladie, de la souffrance physique, morale, du handicap. Mais non, j’ai sciemment sélectionné celui-ci.

 Nous nous rencontrons il y a de cela quelques années : je suis jeune médecin remplaçante, vous venez de franchir l’illustre barre des soixante-dix ans, avez une brillante carrière dans la finance derrière vous et une belle retraite faite de petits-enfants, de voyages et d’écriture devant vous.

 Seulement voilà, vous peinez à respirer. Les examens biologiques, radiologiques, les consultations spécialisées s’enchaînent pour aboutir à un diagnostic implacable : vos poumons, fidèles alliés depuis sept dizaines d’années, vont vous tuer.

 Mais qu’à cela ne tienne, même si je sais qu’ils auront votre peau, je vous suis à la trace, continue de vous soigner envers et contre tout, vous remonte le moral, vous secoue quand il est trop bas, ris avec vous quand il est au beau fixe.

 Cinq années s’écoulent, qui vous emprisonnent dans un fauteuil roulant et des tubes à oxygène. Mais je persiste à venir vous rendre visite, à la maison maintenant, puisque vous déplacer est devenu trop dangereux.

  J’ai à présent trente-trois ans, vous en avez soixante-quinze, je pourrais être votre fille, votre petite fille même, mais vous écoutez toujours. Je le vois et je le sais, car quand je m’en vais, votre cœur est moins lourd. Nous discutons de longs moments, seul à seul, de sujets futiles ou sérieux, de la vie, de la mort, du bonheur et de la souffrance. J’essaie de vous démontrer que chaque jour vaut la peine d’être vécu.

 J’entends encore votre voix, Pierre, qui me relate les aventures incroyables de votre existence. Votre langage châtié, qui me raconte ô combien le fauteuil roulant électrique était une merveilleuse idée, vous permettant de sortir de votre lit pour contempler à l’air libre le lac qui s’étend devant votre jardin, même si votre épouse râle quand vous prenez les virages sur deux roues.

 Je vois encore votre mine passionnée lorsque vous vous remettez à l’écriture, faute de pouvoir pratiquer une quelconque activité sur vos deux jambes trop fragiles, et que je vous fais une démonstration d’Antidote après avoir rédigé l’ordonnance de vos traitements.

 À vos côtés, je suis le médecin, mais aussi l’amie, l’épaule et parfois la philosophe. Je ne me suis jamais sentie si humaine que près de vous.

 Pierre, j’ai choisi ce défi, car même si vous n’êtes plus et que vous me manquez affreusement, vous m’avez apporté une quantité incroyable de bonheur.

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