Le moulin du diable

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— Alors, quoi de prévu ce week-end ? Moi qui pensais que tu passerais en coup de vent.

Diane venait d’apprendre à son frère qu’ils prolongeaient leur séjour.

— On a fait des recherches et on a découvert qu’il y avait pas mal de légendes dans le coin. Autant faire le plein d’images avant de repartir.

Mathias déposa une pile d’assiettes sur la table. Manger en famille ne lui arrivait pas souvent en semaine, heureusement, ce soir, son planning le lui permettait.

— On pensait aller à Ambazac, reprit Adam. La légende du moulin du diable, tu connais ?

— Ambazac ? Non pas vraiment, mais ça m’intéresse de venir avec vous.

— Tiens donc, tu t’intéresses à nos vidéos maintenant ?

— En fait, avoua Mathias avec gêne, c’est lié à mon enquête.

Diane leva les yeux au ciel en plaçant les fourchettes et les couteaux.

— Si on ne le sait pas que tu mènes une enquête. Tu ne vis que pour ça on dirait.

— Ça me travaille oui. Je n’arrive pas à dormir en sachant qu’un meurtrier se promène potentiellement dans le coin. Imagine que cette personne recommence.

La discussion prit fin quand Marie posa la marmite de ratatouille sur la table.

Le samedi, ils montèrent tous trois en voiture, direction le château de Montméry, monument historique servant de décor à leur nouvelle vidéo. Diane se tordit le cou pour parler à son frère, assis sur la banquette arrière.

— Tu sais où habitent les personnes que tu dois interroger ?

— Oui, j’ai passé un coup de fil au docteur de la victime. Je lui ai parlé en premier lieu, avant que l’affaire ne passe aux mains de Devèze. J’ai baratiné en disant que je devais vérifier des éléments de son procès-verbal.

— Pas très déontologique ça monsieur le gendarme.

— Diane tu me guides, je ne connais pas la région par cœur moi.

La jeune femme reposa ses yeux sur la route et indiqua la direction à Adam.

— Alors, il n’y a pas des endroits de ton enfance que tu aimerais me montrer sur la route ?

— Bof… grogna Diane. À part si tu veux voir le moulin de Chevillou et le lac de Saint-Pardoux.

Mathias éclata de rire.

— Quoi ? demanda Adam avec un sourire.

— C’est les deux seules sorties qu’on faisait avec nos grands-parents. On savait où on allait en fonction de la météo. Soleil, tu peux mettre ton maillot, on va au lac, pluie, k-way et bottes pour le moulin.

— Aujourd’hui ça aurait été Chevillou, fit remarquer Mathias en lorgnant sur les nuages chargés de pluie.

— Pitié que ça ne tombe pas, sinon le tournage va être ruiné ! pesta Diane.

— Vous faisiez quelles activités au moulin et au lac ?

— Mais c’est un véritable interrogatoire ! se plaignit la jeune femme. On a assez d’un gendarme dans cette voiture.

— Excuse-moi de m’intéresser à toi, se renfrogna Adam.

Diane glissa une main derrière sa nuque et lui gratta affectueusement les cheveux.

— À Saint-Pardoux on pouvait se baigner ou faire du canoë. Le lac est artificiel, une ancienne déchetterie ou un truc charmant du genre. Le moulin c’est une petite ferme avec des jeux pour enfants. On caressait les poneys et les chèvres.

— Quand les poneys n’essayaient pas de dévorer Diane, ricana Mathias.

— Une véritable agression ! s’insurgea-t-elle en se tournant vers son frère. Je devais avoir cinq ans, forcément je courais tout le temps, ça a effrayé le poney qui m’a attrapé par l’anorak et hop ! Diane a fait un baptême de l’air.

Le rire moqueur de Mathias résonna dans l’habitacle.

— Ma pauvre, la plaignit Adam en riait également.

— Elle braillait comme un âne et couverte de bave, hoquetait son frère.

Adam et Mathias rirent de plus bel tandis que Diane fit mine de bouder.

Une fois arrivés à Ambazac, ils déposèrent Mathias à l’adresse indiquée par le Docteur Vesplin.

— Tu nous rejoins au château quand tu as fini ? lui demanda Diane par la fenêtre ouverte.

Il leva un pouce vers elle. La voiture reprit son chemin vers la demeure du porcelainier Théodore Haviland. Le monument, d’ordinaire fermé au public, se dévoila à ses visiteurs d’un jour. Le propriétaire les mena à travers le parc, comptant avec plaisir des anecdotes sur le lieu.

— Un monument unique voyez-vous ! Son architecte venait de New York. Le seul château américain en France ! Le corps de ferme rénové depuis peu a rouvert en tant que gîte. Nos clients profitent de la vue sur le parc au réveil. Ici vous apercevez un tilleul argenté importé tout droit du Japon…

Diane décrocha du discours de leur hôte pour reporter son attention sur la fonction notes de son téléphone. Elle y retranscrit le conte du moulin au diable d’Ambazac, lu plus tôt sur internet.

Non loin d’Ambazac se trouvait un moulin. Il appartenait à un riche meunier qui avait l’ambition de faire accroître davantage ses richesses. Pour cela, il comptait marier sa fille unique, une docile et gentille créature, à un gentilhomme. Mais par n’importe lequel, le prétendant devrait se targuer d’avoir des dents en or.

De son côté Mathias patientait dans le salon d’une maison de ville cossue. Assis sur un canapé en daim, une tasse de café fumante devant lui, il attendait que la maîtresse de maison revienne de la cuisine. La femme âgée vint prendre place à l’autre bout du sofa. Elle ajouta un carré de sucre de canne dans sa boisson à l’aide d’une pincette en argent.

— Alors jeune homme, dites-moi ce qui vous amène. Vos collègues sont déjà venus nous parler vous savez. Nous avons même dû nous déplacer jusqu’à Nantiat. Oh, moi je ne conduis plus, c’est mon beau-frère qui prend le volant.

Mathias, impatient, empêchait tant bien que mal son genou de tressauter.

— C’est pourquoi nous avons jugé qu’il était préférable que je vienne en personne, cela vous évite le déplacement.

De jeunes hommes parés de toutes les qualités se présentèrent en nombre au moulin, mais tous repartir d’où ils étaient venus devant les exigences paternelles. La pauvre jeune fille commençait à s’inquiéter, elle qui ne comptait pas finir ses vieux jours célibataires.

La vieille dame lui sourit en croquant dans une galette au beurre.

— De ce que nous savons, vous êtes les derniers parents de monsieur Reignac.

— Hélas oui, à ma connaissance, mais ce n’est pas ce que pense la jeune femme qui retrace ma généalogie. Elle est très gentille, j’aime bien les jeunes gens polis.

— C’est une personne de votre connaissance ? Je peux la consulter pour le dossier ?

Un matin, un nouveau prétendant frappa à la porte du meunier. Il était fort noblement vêtu et montrait une fière musculature. L’homme en fut séduit, cependant, il n’oublia pas ses conditions pour épouser sa fille et les dicta à l’étranger. À peine eut-il fini, que le jeune homme dévoila une dentition dorée.

La femme tripota son collier de perles en réfléchissant. Elle se releva en poussant ses poings contre le canapé. Elle traversa la pièce pour ouvrir le tiroir d’un petit vaisselier en acajou. Elle en tira un papier qu’elle tendit au gendarme.

— Elle est venue me trouver un matin, elle m’a dit qu’elle s’intéressait aux vieilles familles limousines. J’ai noté son nom et son numéro de téléphone. Je voulais me renseigner sur les héritiers de cousins éloignés. C’est bien embêtant ces affaires de succession, sans compter les frais de notaire.

Elle fit un geste impatient de la main avant de reprendre sa tasse et sa soucoupe.

— Et vous dites que cette… il déchiffra l’écriture en pattes de mouche, Vanessa Charbonnier, est venue récemment.

— Oh, ça doit bien faire plusieurs mois, tenez c’était un jour où je suis allée chez le coiffeur. Ce doit être inscrit dans mon agenda. Je note tout ce que je fais, ça fait travailler mon cerveau.

La jeune fille fut aussitôt promise au visiteur. Néanmoins, le père ne voulait pas en rester là et ajouta une nouvelle condition pour le mariage. Il voulait que son futur gendre soit capable de prouver sa force et sa vaillance en détournant le cour d’eau tout proche pour l’amener sous la roue du moulin, et cela, avant le chant du coq.

Elle se leva de nouveau pour aller chercher l’objet. Mathias allait d’étonnement en étonnement avec ce dossier. Cette femme pouvait être une professionnelle de la généalogie comme un charlatan. Il ne voulait pas inquiéter la vieille dame, bien trop prompt à se perdre dans un flot de paroles intarissables. Le temps qu’elle fouille dans son sac à main, il composa le numéro de la prétendue généalogiste sur son téléphone portable.

— Le numéro que vous avez demandé, n’est pas attribué, répondit une voix féminine robotique.

Mathias jura tout bas, un faux numéro, bien sûr… Le nom devait être également inventé. La vieille femme se rapprocha pour lui montrer son agenda. Le gendarme se retint d’éternuer en aspirant une grande bouffée de son parfum. Il lui demanda un papier pour noter les informations récoltées.

— Quelque chose ne va pas ? s’inquiéta-t-elle en le scrutant de ses billes bleu pâle. Vous me semblez bien soucieux tout à coup.

— Je vais tenter de me renseigner sur cette personne dont vous me parlez. Je veux m’assurer qu’il ne s’agit pas d’une imposture. Des escrocs peuvent se présenter quand il est question d’héritage conséquent.

— Oh Seigneur…

Elle porta une main à sa poitrine et la tapota. Sa lèvre inférieure tremblota un instant.

Le jeune homme s’empressa d’obéir. Bien trop heureux, le meunier alla raconter la chose dans le voisinage. Les bonnes gens prirent un air choqué devant pareil prodige et lui firent la remarque que c’était au diable en personne que l’homme allait marier sa fille.

— Vous pensez… commença-t-elle le souffle court. Vous pensez que c’est une arnaque ? C’est que, je me suis déjà fait attraper par des gens au téléphone, mais…

Mathias se maudit. Il lui sourit le plus gentiment possible.

— Calmez-vous Madame Bellac. Pour le moment nous n’en savons rien. Je prends juste des informations. Décrivez-moi cette personne s’il vous plait.

Elle remonta les boucles de sa permanente avec une main ridée aux doigts vernis.

— Eh bien… eh bien…

Son inquiétude prenait le dessus. La femme n’arrivait plus à organiser ses pensées.

Prit de panique, le meunier courut à son poulailler pour y réveiller le coq. L’entendant chanter, le diable dû bien reconnaître qu’il n’avait pas tenu les délais. Le malin s’enfuit, non sans grincer des dents de s’être fait ainsi attraper par l’homme cupide.

— Respirez, tranquillisez-vous, la calma Mathias. Commençons par des choses simples : ses cheveux, ses yeux, ses vêtements, sa taille, les traits de son visage. N’importe quel détail sera utile.

— Alors, ses cheveux étaient attachés en queue de cheval. Je ne me souviens pas de la couleur, mais je dirais… clair. Pour les yeux marron ou noir. Voyons les vêtements, euh… un gilet vert… et la taille, standard.

Mathias nota les maigres indices sur sa feuille.

— Pour ce qui est de l’âge, vous avez une idée ?

— Une petite jeune, du même âge que vous je dirais. Ah ! Et elle avait des chaussures à talons ! Je me souviens du bruit sur le plancher. Encore du café ?

— Non, merci, ça ira.

La vieille dame hésita puis s’autorisa à reprendre une galette au beurre. Elle tira sur les bords de son cardigan pour recouvrir plus largement ses épaules.

— Je suppose qu’elle vous a posé des questions sur votre famille.

— Oui, je dois dire qu’elle est restée un moment. Je lui ai montré les albums photos, les livrets de famille aussi, et les arbres généalogiques. Ma nièce avait fait des recherches à ce sujet, un travail de longue haleine je dois dire. La jeune femme s’est intéressée au manoir de Cieux, un bien qui est dans notre famille depuis des générations. Je sais que Jacques avait pris la décision de le vendre. Elle a posé des questions à ce sujet.

Tu m’étonnes… pensa Mathias.

Depuis, près du moulin du diable, le ruisseau forme un brusque coude. C’est ici, dit-on que les eaux du Beuvret ont été détournées par le diable juste avant qu’il n’entende chanter le coq.

Le gendarme continua à exposer une mine souriante. Il désirait maintenant partir pour trouver des réponses. Il ne fut pas aisé de prendre congé de madame Bellac. La femme, recevant peu de monde, se montrait bavarde et le retint un moment. Une fois dehors, il prit le chemin du château.

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