Quelques adieux

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Après une deuxième bière et avoir partagé une planche de fromages, Maria-Louisa et Mathias se décidèrent à lever le camp.

— Waouw, je ne sais pas si je vais réussir à dormir cette nuit, avoua la carpologue en remontant la bandoulière de son sac sur son épaule.

Mathias lui tint la porte. La différence de température leur arracha un frisson.

— Ne t’angoisse pas avec ça, enfin, si tu sens une odeur de fumée, bouche-toi le nez et appelle-moi.

Maria-Louisa rit et remonta ses lunettes, tic qu’elle effectuait toutes les deux minutes. Le gendarme tâta ses poches pour vérifier la présence de son téléphone et de ses clés de voiture.

— Bon je file, merci, vraiment, et…

Son cœur s’emballa. Il pouvait traquer des cambrioleurs, arrêter des voyous, sermonner des conducteurs imprudents, mais pour proposer un second rendez-vous à une femme, les mots restaient coincés au fond de sa gorge.

Sans se départir de son beau sourire, Maria-Louisa se lança :

— Le musée des beaux-arts inaugure une exposition sur les natures mortes. J’ai aidé à concevoir les panneaux pédagogiques qui décrivent les tableaux. Si le cœur t’en dit, on pourrait aller y faire un tour. Tu en apprendras plus sur les plantes comme ça.

Dieu merci les femmes sont courageuses.

— Quelques mots de vocabulaire supplémentaires ne seraient pas du luxe. Je ne te ferai plus des yeux de merlan frit en entendant parler de feuilles stridulées.

Il proposa de la raccompagner jusqu’à sa voiture. Les mains dans les poches, il avançait dans les rues à ses côtés, réagissant à ses bavardages guillerets. Arrivés devant une petite voiture rouge à l’aspect cabossé, elle fouilla dans son sac pour trouver ses clés.

— Eh bah dis donc, tu joues aux autos tamponneuses ? releva Mathias en suivant du doigt les déformations de la tôle.

— C’était la voiture de mon frère. Je l’ai récupérée il y a des années, mais avec les séquelles de ses années d’étudiant. Heureusement, elle passe encore le contrôle technique. Vous pouvez vérifier par vous-même monsieur le gendarme, rit-elle.

Mathias rougit.

— À mon tour de faire des déformations professionnelles.

— Au moins tu te soucies de la sécurité des autres, répondit-elle en sortant un trousseau chargé de porte-clés en tout genre.

Elle se glissa devant la porte conducteur et introduit la clé dans la serrure.

— Bon, alors à bientôt.

— Rentre bien, et conduit prudemment, dit-il avec un air faussement sévère.

Elle rit.

— Promis !

Le bruit de l’ouverture des portes se fit entendre. La fenêtre passager coulissa, Mathias se pencha pour voir Maria-Louisa.

— Tu auras le droit de me tenir au courant pour l’affaire ?

— Je veux bien enfreindre le règlement pour que tu dormes sur tes deux oreilles.

Ils se sourirent. Mathias leva la main en signe d’adieu.

La petite voiture sortit de sa place après plusieurs manœuvres et s’éloigna dans la rue. Le cœur léger, Mathias reprit le chemin de son propre véhicule, ses pensées bientôt rattrapées par les révélations du soir. Il sortit son portable pour appeler Vincent.

Diane chargea ses affaires dans le coffre. Scott tournait inlassablement autour d’elle, en quête d’attention. Les garçons se préparaient au départ un peu plus loin. Elle voyagerait seule, cela l’embêtait un peu. Elle ne se voyait cependant pas demander à Adam de choisir entre elle et son petit ami.

La tête de Léonie apparut au portail. Essoufflée par la montée, elle prit un temps de pause. Diane se porta à sa rencontre.

— Bonjour mémé, comment tu vas ?

L’aïeule lui colla d’office une bise râpeuse sur la joue.

— Bien, bien, j’ai eu peur de vous louper.

— On serait venus te dire au revoir, inutile de galoper dans tout le lieu-dit.

Elle escorta la vieille dame jusqu’à la maison. Marie emballait des parts de gâteau aux pommes dans de l’aluminium.

— Mamannn, grogna Diane. Je t’ai dit qu’on avait ce qu’il fallait.

— Adam en a mangé deux parts hier, je suis sûre qu’il sera content de les trouver, lui.

Elle insista bien sur ce dernier mot.

Les garçons passèrent le pas de la porte.

— On est fin prêt, annonça l’amateur de gâteau maison.

Depuis le canapé, Léonie balaya le couple du regard.

— Vous téléphonez en arrivant, finit-elle par lâcher.

Diane jeta un coup d’œil à son ami. Cette petite phrase était signe que mémé l’avait adopté malgré tout.

Comme quoi, elle peut encore nous étonner.

— Je vais chercher ton père, il est au téléphone avec un client depuis une demi-heure.

— Un client ? Le dimanche ?

— Les gens ne choisissent pas leur jour pour avoir des fuites d’eau, répondit la voix de sa mère tandis qu’elle disparaissait à l’étage.

Ne manquait plus que Mathias, partit en ville pour acheter un pot de fleurs à placer sur la tombe de leur grand-père, selon les souhaits de Léonie.

— Tu dois passer le voir, avait-elle insisté auprès de Diane la veille. Et j’espère bien que tu feras de même quand je serais morte.

Les pas des parents résonnèrent dans le couloir puis dans l’escalier. Ce fut le moment des embrassades et des « soyez bien prudents », « ne roulez pas trop vite », « prenez des pauses ». Toute la famille Brochart accompagna le départ. Jean-Luc bifurqua vers sa camionnette de plomberie, partant pour une intervention. Au bras de Marie, Léonie saluait les enfants de la main, criant encore des recommandations.

Diane s’apprêtait à appeler son frère quand il daigna enfin revenir de chez la fleuriste.

— Désolé, dit-il en calant le pot de chrysanthèmes derrière le siège conducteur, j’avais quelques questions à poser.

— Comme toujours, râla Diane.

— Allez, ne m’en veux pas, tu sais que c’est important.

Il la prit de force dans ses bras, chose qu’il n’avait plus faite depuis des années. Désarçonnée par le geste, Diane pendit mollement entre les biceps musclés de son grand frère. Il lui colla un baiser sur le front.

— Bon, tu connais la chanson…

—… oui, oui, oui, coupa Diane. Je ne roule pas sur les gens, ni à plus de deux cents kilomètre-heure, blablabla.

Elle se dégagea de son étreinte.

— Tu en as appris plus ? Tu ne m’as rien dit.

— C’est que, tu étais tellement obnubilée par mon rendez-vous galant, rit-il. On devrait t’embaucher pour cuisiner les malfaiteurs, tu as un talent certain.

Elle pouffa.

— Pardon, mais avoue que c’est l’info du siècle, tout le monde voulait savoir.

Déjà en voiture, Adam et Malory agitèrent les mains par les vitres ouvertes.

— Je reviens, annonça Mathias en courant vers le véhicule des garçons.

Ils échangèrent des poignées de main et quelques rires, puis la voiture s’éloigna gentiment pour rejoindre la route. Scott couina et vint se coller à la jambe de Diane. Elle lui gratta la tête en attendant que Mathias revienne.

— Bon alors, tu me fais ton rapport ?

— Disons que je suis en train de comprendre beaucoup de choses, et que ce que l’on a trouvé au manoir me semble bien lié à l’affaire.

Diane sembla emballée par ces nouvelles.

— Franchement, c’est trop excitant. J’ai hâte que tu saches le fin mot de l’histoire. Une véritable chasse aux sorcières, bon on ne brûlera personne à la fin, mais tu vois ce que je veux dire.

— Mouais, y’a rien de bien réjouissant, c’est certainement une personne en détresse psychologique.

L’excitation de Diane retomba, elle opina du chef.

Mathias attrapa Scott par le collier pour qu’il ne risque pas de se faire écraser une patte. Diane ne s’attendait pas à avoir le cœur si lourd au moment du départ. Elle regarda dans le rétroviseur sa mère et sa grand-mère. Elle leur fit un signe de la main. Les deux petites silhouettes y répondirent. La voiture passa les maisons du lieu-dit, dévalant la colline boisée qui contenait à elle seule toute la famille proche de la jeune femme. Diane passa le panneau des Trois Poiriers.

À bientôt…

Elle descendit jusqu’à Nantiat et se gara rue de la Croix de l’Homme, devant le cimetière. Diane sortit le pot de fleurs. Elle respira le parfum des fleurs colorées. La tombe de son grand-père, elle fouillait sa mémoire mais ne se souvenait pas s’y être rendue depuis l’enterrement. Se recueillir sur les tombes ne représentait rien pour elle. Elle préférait largement parler aux défunts dans son cœur, leur adresser des prières muettes. On ne pouvait cependant refuser une telle faveur à Léonie. Elle traversa la rue pour passer le portail vert. Le champ du repos se révéla aussi calme qu’un parc d’attractions un jour de pluie.

Moi qui pensais que c’était la sortie du dimanche ici.

Elle se souvenait vaguement des indications de sa grand-mère pour trouver la tombe de Pépé Maurice. Elle se perdit dans les allées, lisant les noms sur les plaques. Certaines concessions croulaient sous les fleurs alors que d’autres mal entretenues, faisaient peine à voir. Aucune chance que Diane finisse dans un tel lieu. Depuis longtemps, elle avait décidé qu’aucun ver jamais ne viendrait la grignoter.

— Un bon coup de chalumeau et on n’en parle plus, disait-elle chaque fois que le sujet était abordé.

Diane arriva au fond du cimetière, ses quelques souvenirs du jour de l’enterrement guidant ses pas. Dans les films, il pleut toujours les jours de funérailles. Pourtant, pour Pépé, le soleil brillait, réchauffant les silhouettes vêtues de noir attendant leur tour pour adresser un dernier mot au défunt. Du marbre, du marbre, du marbre, pourquoi cette pierre recouvrait-elle inlassablement les disparus ? Sa froideur et ses couleurs mornes n’aidaient pas à égayer un lieu déjà bien trop chargé en énergie négative. Diane se rappelait du défilé mêlant proches et inconnus, un mouchoir bien trop utilisé rouler en boule dans la main, leur adressant des condoléances. Voilà pourquoi revenir au cimetière ne l’enchantait pas, cela réveillait des souvenirs difficiles, qu’elle préférait d’ordinaire enfouir.

Elle pensa repérer la tombe un peu plus loin. Dans l’allée, elle croisa une femme, accroupie, les mains sur une sépulture. Diane zieuta le nom du défunt recevant de la visite.

« Nicole Girard »

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